Suite à l’augmentation des cas de contamination à la Covid-19, un tour dans les pharmacies de la capitale permet de constater la panique qui s’est emparée des Algériens qui se ruent vers les officines afin d’acquérir le traitement anti-Covid même sans ordonnance, entrainant des tensions ou la rupture de certains médicaments.

Par Sihem Bounabi
En effet, le constat est que l’automédication prend une grande ampleur ces derniers temps, poussant les spécialistes à tirer la sonnette d’alarme sur un comportement dont les effets sont plus dévastateurs que ses bienfaits.
Dans une des officines à Alger, le pharmacien nous confie que «cela fait près de deux semaines qu’il y a une pression énorme sur les médicaments entrant dans le traitement anti-covid. Nous sommes parfois obligés de nous ravitailler presque quotidiennement tellement nos stocks de médicaments qui entrent dans le protocole de la Covid s’épuisent rapidement». Il explique également que ce qui distingue cette nouvelle vague de contaminations de la Covid, c’est le nombre important de malades qui se présentent avec des ordonnances qui ont pratiquement triplé par rapport aux vagues précédentes. En plus des malades Covid avec ordonnance, dont les pharmaciens ont du mal à assurer la totalité du traitement notamment, il y a aussi l’afflux massif de personnes sans ordonnance amplifiant le phénomène de l’automédication et la rupture de certains traitements.
Il affirme à ce sujet que pour la moitié de la clientèle, c’est de l’automédication, estimant que le plus dangereux c’est ceux qui viennent demander des antibiotiques sans prescription médicale». Enchaînant que «nous essayons de faire un travail de sensibilisation en expliquant qu’ils doivent consulter un médecin, mais on ne peut pas refuser de vendre à un patient des antibiotiques qui n’exigent pas d’ordonnance comme le très demandé Amoxicilline». Le pharmacien se désole que malgré la sensibilisation contre les risques de l’automédication, comme la résistance aux antibiotiques ou des effets secondaires dangereux, les Algériens préfèrent écouter les conseils de leurs voisins ou des réseaux sociaux, illustrant tout le danger de la situation et l’inconscience de la majorité d’un tel comportement.

Fortes tensions sur la disponibilité
Dans une autre pharmacie, le responsable des lieux indique qu’il s’est retrouvé contraint de limiter la vente des médicaments sans ordonnance en expliquant : «Quand j’ai une personne qui vient me demander quatre boîtes de Paracétamol ou de Doliprane, je lui explique qu’il ne peut en prendre que deux boîtes au maximum.» Il souligne à propos de la motivation de cette démarche qu’«au début, je ne limitais pas le nombre de boîtes par personne, mais ensuite, je me suis rapidement retrouvé à cours de Paracétamol pour les malades Covid qui avaient une ordonnance. Par la force des choses, j’ai dû gérer le stock en priorisant les malades avec ordonnances».
Dans la plupart des pharmacies, il a été signalé de fortes perturbations dans la disponibilité du Paracétamol ainsi que des vitamines ou des minéraux comme la vitamine C, le zinc et le magnésium, même pour les marques les plus chères, habituellement boudées par les consommateurs. D’autres produits connaissent une forte tension pour ne pas dire pénurie, à l’instar des corticoïdes, d’une certaine catégorie d’antibiotiques qui nécessitent une prescription médicale et qui sont fortement utilisés dans le protocole thérapeutique Covid, comme Augmentin et les anticoagulants, surtout le lovenox.
Le président du Syndicat national algérien des pharmaciens d’officine (SNAPO), Messaoud Belambri (Lire entretien de Siham Bounabi), a affirmé que «malgré les mesures prises, la semaine dernière, par l’Observatoire national de veille sur la disponibilité des produits pharmaceutiques et ses assurances quant à la disponibilité de tous ces produits, les médicaments utilisés dans le traitement du Covid-19 continuent de faire l’objet d’une forte pression sur le marché national et a entraîné la rupture de ces produits.»
Le syndicaliste a appelé également au renforcement des contrôles pour mettre fin à la «vente concomitante» à laquelle se livrent certains qui subordonnent la vente des médicaments destinés au traitement du Covid-19 à l’achat d’autres produits.
Alerte sur les risques de résistance aux antibiotiques
Face à l’utilisation abusive de certains médicaments par les citoyens craignant d’attraper la Covid-19, plusieurs spécialistes sont montés au créneau pour tirer la sonnette d’alarme.
Dans une déclaration à l’APS, le chef du service «Médecine interne» à l’Etablissement public hospitalier (EPH) de Birtraria, Pr. Ammar Tebaibia, a alerté sur l’amplification du phénomène de l’automédication et de l’utilisation abusive de certains types de médicaments pour le traitement de la Covid-19, à l’origine d’une forte pression sur ces médicaments au niveau des pharmacies.
Il appelle de ce fait les adeptes de l’automédication à s’abstenir de stocker et d’utiliser certains types de médicaments sans avis médical, prévenant que ce comportement pourrait les exposer à des «complications plus graves que la contamination même par la Covid-19».
Il lance ainsi un appel à ses collègues médecins à respecter le protocole et les consignes du ministère de la Santé afin de préserver la santé des citoyens.
Il explique à ce sujet qu’«il est inutile de prescrire des antibiotiques, des anticoagulants et des corticoïdes à des malades qui ne souffrent pas d’inflammation ni d’obstruction artérielle». Le Pr. Ammar Tebaibia regrette que certaines pharmaciens préparent eux-mêmes des «kits de médicaments» qu’ils n’hésitent pas à vendre sans ordonnance. En cas d’apparition de symptômes bénins, le Pr Tebaibia invite les pharmaciens à recommander aux patients de prendre du Paracétamol et certaines vitamines avec du repos, un sommeil suffisant et de bonne qualité pour permettre au système immunitaire de reproduire des anticorps protecteurs.
De son côté, le président du Conseil de l’ordre des médecins, Dr. Mohamed Bekkat Berkani, a indiqué que le citoyen recourt, habituellement, à l’automédication de peur d’être contaminé… Le pharmacien est appelé à lui expliquer qu’il ne devrait prendre de médicaments que sur ordonnance, tout en le mettant en garde contre l’utilisation abusive de médicaments qui pourraient compliquer davantage sa situation.
Pour rappel, l’automédication est un problème posé depuis des années en Algérie bien avant la pandémie. En effet, en 2018, l’Union nationale des opérateurs de la pharmacie (Unop) a réalisé, en collaboration avec le cabinet de sondage Immar, une vaste enquête sur la consommation des médicaments en Algérie. Les résultats de l’étude avaient montré que 52% des personnes interrogées déclarent pratiquer l’automédication.