Le mouvement syndical dans la sphère privée a fait l’objet d’une intéressante étude menée sous la direction du sociologue Nacer Djabi et présentée au siège de la fondation Friedrich Ebert. A la conclusion de cette expertise qui a été difficile à réaliser en raison de la difficulté d’accès à l’information et aux données, le constat est que l’expérience syndicale dans le secteur privé – une histoire de marge – est en déclin, si elle n’est pas carrément en voie de disparition.
PAR NAZIM BRAHIMI
C’est, en effet, l’une des conclusions à laquelle a abouti l’étude menée par Nacer Djabi, professeur de sociologie à la retraite, auteur de plusieurs ouvrages sur les mouvements sociaux et le syndicalisme, Samir Larabi, journaliste en Algérie et doctorant en sociologie des organisations et du travail, et Abdelkrim Boudra membre fondateur de Think-Tank, et d’associations qui travaillent sur des problématiques de conduite des réformes économiques, de gouvernance d’entreprise et d’éducation-formation.
L’étude intitulée «Algérie, le mouvement syndical dans le secteur privé : état des lieux, acteurs et perspectives», présentée hier par les trois auteurs dans le cadre du Café économique au siège de la Fondation Friedrich-Ebert, a incontestablement le mérite de poser la problématique que vit le monde du travail dans la sphère privée.
Elle vient aussi combler un grand vide en matière de données et de documentations sur l’activité syndicale dans ce secteur. Les 67 pages que compose l’étude, imprimée en langues arabe et française, sont, en effet, riches en enseignements qui devaient vraisemblablement défricher le champ de la recherche dans ce registre.
Tour à tour, les conférenciers ont mis en évidence les conclusions jugées très intéressantes au bout des enquêtes menées dans le secteur privé dont l’exercice demeure très méconnu.
«Cette étude sur le mouvement syndical dans le secteur privé en Algérie s’inscrit dans le cadre des études pluridisciplinaires sur le mouvement syndical post Indépendance. Elle s’intéresse au mouvement syndical dans le secteur privé, ignoré par la majorité des chercheurs et des médias, et méconnu par la plupart des acteurs sociaux ainsi que des institutions», est-il écrit dans l’introduction.
Pourtant, le secteur privé, qui représente l’essentiel de la population active en Algérie, est en pleine expansion depuis les réformes de 1989. Si le secteur privé (national et étranger) est le principal pourvoyeur d’emplois, le taux de représentation syndicale y demeure très faible, ont encore noté les rédacteurs de cette étude.
D’ailleurs, l’objectif principal de cette étude est d’identifier les raisons de la faiblesse de la représentation syndicale dans le secteur privé en analysant «l’environnement juridique et l’impact de la législation en vigueur, la structure du secteur privé algérien en termes de taille, de type d’entreprises, de secteurs d’activité… ainsi que les structures patronales existantes».
Il s’agit aussi d’observer «la perception des chefs d’entreprise privée et des organisations patronales concernant l’action syndicale» et d’analyser certaines expériences syndicales.
C’est dans ce sens que M. Djabi a mis en exergue, dans la présentation d’hier, ce paradoxe depuis des années et selon lequel, «il y a eu un développement du secteur privé, mais qui a été accompagné par un affaiblissement de l’activité syndicale». Il a souligné, à ce titre, le constat selon lequel le secteur privé algérien, en dépit de sa grande importance économique, n’a pas permis l’émergence de syndicats de salariés.
Pour sa part, M. Larabi a pointé «des entreprises peu adaptées à l’organisation syndicale» et des patrons «réfractaires à l’action syndicale». Aussi, et en comparant l’expérience syndicale dans le secteur public à celle dans le privé, les auteurs constatent la différence de nature des revendications de la contestation ouvrière entre les deux qui ne concerne pas uniquement le type de revendications, mais les formes de négociations syndicales.
Champ de difficultés
L’équipe de recherche a signalé, par la même occasion, qu’elle ne s’attendait pas à rencontrer autant de difficultés en entamant l’étude sur l’expérience syndicale dans le secteur privé en Algérie. Ces difficultés portent essentiellement sur le manque de données relatives à la cartographie syndicale dans le secteur privé qui emploie la majorité de la main-d’œuvre nationale (61 % selon les dernières statistiques), ont révélé les intervenants.
«Malgré son expérience et son réseau relationnel auprès de plusieurs acteurs syndicaux et dans l’administration, l’équipe n’a pas pu accéder à certaines données qui sont censées être publiques et habituellement accessibles en Algérie, auprès des syndicats et des institutions dépendant du ministère du Travail, à l’instar de l’Inspection du travail», déplore-t-on. Relevant qu’à cette difficulté d’accès aux données primaires s’ajoute le manque flagrant, pour ne pas dire l’inexistence, d’études académiques sur l’expérience syndicale dans le secteur privé, l’équipe de recherche a indiqué que ce thème n’a, en effet, pas suscité l’intérêt des chercheurs en sciences sociales, alors même que le privé est devenu le premier employeur dans notre pays, à partir des années 1990, avec l’application des politiques de privatisation
«Nous sommes ainsi revenus sur l’histoire de cette expérience syndicale depuis l’Indépendance nationale à nos jours, en vue d’identifier les facteurs explicatifs de cette faiblesse des syndicats dans le secteur privé», ont noté les chercheurs, selon lesquels «cette expérience a gardé sa doctrine syndicale héritée de l’expérience du Mouvement ouvrier français, proche du courant communiste, en étant façonnée par l’expérience du nationalisme indépendantiste qui s’est imposée sur la scène syndicale avec la proclamation de l’UGTA par des dirigeants syndicaux affiliés au FLN, le 24 Février 1956».