Reporters : Cela fait un bon moment que Sonatrach parle de la révision des prix du gaz. Jusqu’à présent, ceux-ci ont été révisés avec l’Italie mais pas encore avec d’autres pays, comme l’Espagne, la France, le Portugal. Pourquoi cela prend autant de temps alors que les prix ont nettement augmenté, notamment durant ces derniers mois ?
Tewfik Hasni : Effectivement, cela prend du temps et là, il faut toujours revenir aux contrats. La révision des prix est une clause contractuelle que l’Algérie peut mettre sur la table quand le marché est dans une conjoncture qui le demande. Les prix, dois-je le rappeler, sont en général fixés dans les contrats à long terme allant jusqu’à 30 ans, mais lorsque l’évolution du marché persiste dans un certain sens ou dans l’autre, c’est-à-dire à la hausse ou à la baisse, la clause qui parle d’une révision des prix peut être activée par une partie ou par une autre, le fournisseur ou le client, afin de permettre une adaptation aux nouvelles donnes du marché. En clair, les clauses contractuelles entre les deux parties contractantes permettent la révision périodique des prix en fonction de l’évolution du marché gazier.
Actuellement, le marché gazier est à la hausse et l’Algérie peut faire valoir son droit d’user de la clause en question. Il y a deux ans, quand les prix du gaz étaient bas, l’Espagne a voulu revoir avec l’Algérie les prix d’achat à la baisse. L’Algérie a répondu favorablement et a baissé les prix. Maintenant que les prix ont augmenté, il est tout à fait normal que l’Algérie veuille les réviser à la hausse, et pas seulement avec l’Espagne, à laquelle elle a déjà accordé la baisse demandée il y deux ans, mais avec l’ensemble des pays qu’elle approvisionne.
L’Italie a accepté cette révision vu la conjoncture et aussi parce qu’elle est assurée d’avoir des quantités de gaz supplémentaires de la part de l’Algérie en vertu de nouveaux contrats. Pour les autres pays clients du gaz algérien, que ce soit la France ou le Portugal, il est également tout à fait normal que l’Algérie négocie les prix avec eux pour les mêmes raisons qu’avec l’Espagne et l’Italie, c’est une opération commerciale. La question pourquoi cela prend autant de temps est pertinente et je dois dire qu’il faut revenir au contenu des clauses des contrats.
L’Espagne qui fournit le gaz au Maroc après inversement du GME (Gazoduc Maghreb-Europe) assure, via la presse, que le gaz «n’est pas algérien». Un journal espagnol a parlé d’un fournisseur étranger dont le nom n’a pas été révélé, tandis qu’un autre a indiqué qu’il s’agit de gaz de schiste américain. Ensuite, un responsable d’une société gazière a affirmé que le gaz n’est pas algérien sans autre indication. Comment peut-on interpréter qu’il n’y ait pas une information officielle précise ?
Dans cette opération d’inversement du flux du GME, on ne peut pas contrôler l’origine de la provenance du gaz. Il est impossible de prouver qu’il provient de tel ou tel pays. Et puis, il ne s’agit pas de politiser la situation, ce n’est pas dans les termes Algérie et Espagne qu’on aborde la situation mais plutôt dans les termes Sonatrach et l’entreprise espagnole qui est son vis-à-vis, car le contrat est signé entre la Sonatrach et la société espagnole en charge du gaz. C’est pour cela qu’il faut toujours s’en remettre aux conditions et clauses contractuelles liant les deux parties que sont les deux entreprises.
Pour sa part, le PDG de Sonatrach a assuré que les exportations de gaz algérien n’ont pas changé de destination d’un pays partenaire à un autre, dans une allusion à l’Espagne qui vend du gaz importé au Maroc, et que si cela devait se produire, il existe des procédures que Sonatrach est dans son droit de mettre en œuvre. Quelle lecture peut-on faire de ce message ?
C’est encore une autre clause contractuelle qui ne permet pas la vente du gaz à un tiers sans l’accord de Sonatrach. On peut mettre cette clause en application lorsqu’on peut prouver que le gaz est algérien, or, je le répète, il n’est pas possible de contrôler cela et cette clause est valable lorsque le gaz est sous forme de GNL, donc transporté par méthanier. On se rappelle que lorsque le marché asiatique avait besoin de plus de gaz, il y a quelques années, le méthanier algérien envoyé pour approvisionner la France a été détourné vers la région asiatique pour le revendre. Dans ce cas, lorsqu’il s’est agi du GNL transporté à bord d’un méthanier, il était possible pour l’Algérie de tracer cette opération de détournement et de prendre les mesures adéquates. Mais dans le cas présent, personne ne peut contrôler quel gaz est envoyé via le GME. Dans ce genre d’affaires, il faut avoir des preuves. Sans preuve, on ne peut pas faire activer la clause contractuelle interdisant la revente du gaz algérien à un tiers.
La question qu’on devrait se poser c’est comment l’Espagne pourra encore approvisionner un autre pays alors qu’elle est en déficit gazier, dans le sens où cette opération de fournir un pays tiers ne pourrait peut-être pas durer dans le temps. Cela outre que ça revient cher de revendre le gaz de schiste américain surtout qu’il est plus cher déjà à l’achat. L’Espagne doit alimenter ses stocks pour l’hiver pour atteindre dans les 90%, et l’hiver n’est pas loin… Il faut savoir par ailleurs que la société allemande RWE va acheter du gaz pour le revendre au Maroc via l’Espagne. Elle devrait le ramener du Qatar jusqu’au port méthanier espagnol justement pour venir en aide à l’Espagne qui ne peut pas persévérer dans cette situation, étant elle-même dans le besoin. Mais les vraies raisons de la péninsule Ibérique de soutenir autant son voisin du Sud sont à chercher ailleurs.
Et quelles seraient donc ces raisons ?
Les problèmes réglés entre les deux pays sont autres que ceux qu’on croit, comme l’émigration clandestine, etc. Il faut d’abord savoir que le Maroc avait accepté de céder ses droits sur Sebta et Melilla, mais le plus important, c’est la délimitation des frontières maritimes entre le Maroc et l’Espagne, comme cela a été fait entre la Turquie et la Libye pour le gaz en Méditerranée. Dans l’océan Atlantique, le gaz se trouve aussi entre les îles Canaries, du côté espagnol, et les côtes marocaines. Le Maroc a accepté de ne plus exiger sa part dans le gaz qui a été découvert entre les îles Canaries et ses propres côtes en contrepartie de livraison de gaz par l’Espagne pour compenser le problème avec l’Algérie.