«L’US Open ne peut pas devenir le championnat des Etats-Unis.» Voici un mois à peine, ils étaient nombreux, à l’instar de Patrick Mouratoglou, à s’inquiéter d’une hécatombe de forfaits à Flushing Meadows à cause du coronavirus. La crainte est passée et après la première semaine de compétition, il ne reste d’ailleurs dans le tableau du simple messieurs qu’un représentant étatsunien : Frances Tiafoe. Mais l’honneur du continent américain est sauf, car le Canada affiche pas moins de trois joueurs au rendez-vous des huitièmes de finale, plus que tout autre pays.
Déjà historique pour les raisons que l’on sait, cette édition 2020 l’est doublement pour les Canadiens, qui n’avaient jamais été à pareille fête en Grand Chelem. Ce succès, Félix Auger-Aliassime et Denis Shapovalov en sont les fers de lance. Un an et demi après avoir créé l’événement ensemble lors du Masters 1000 de Miami – ils y avaient atteint les demi-finales à moins de 20 ans –, les deux acolytes confirment tout le bien que l’on pensait d’eux à l’échelon supérieur. Plus jeunes membres du top 50 (ils sont même tous les deux dans le top 25), l’avenir leur appartient.

AUGER-ALIASSIME ET L’«UN INSTINCT DE TUEUR»
Mais pourquoi perdre du temps ? Pour la première fois de sa carrière, Auger-Aliassime va découvrir une deuxième semaine de Majeur et il ne compte pas s’arrêter là. Est-ce un hasard qu’il y parvienne après ces cinq mois de pause forcée ? Peut-être pas. Il s’est servi de ce temps pour cogiter, dans le bon sens du terme. «Vu mes capacités physiques, mon mental doit être à la hauteur. Je dois m’affirmer et montrer de la confiance. Il faut que je m’impose. A l’extérieur, je pense être quelqu’un d’assez gentil. Mais une fois sur le court, c’est le meilleur qui gagne. Il faut s’avancer avec un instinct de tueur», a-t-il lancé après sa victoire impressionnante sur Corentin Moutet.
Cette prise de conscience s’est accompagnée d’une analyse précise de ses précédents échec sur la scène majeure. A Wimbledon en 2019, il était passé à côté d’une belle occasion de rallier les huitièmes de finale face à un autre jeune Français, Ugo Humbert. Depuis, il a pris un peu de bouteille. «Je me suis trop projeté et je n’ai pas joué mon meilleur tennis. Cette fois, j’ai été capable de continuer à faire ce que je fais bien, de garder ma concentration et une certaine discipline. Je continue à bien m’entraîner et je pense que je suis à la place où je devrais être, j’ai le niveau pour être régulièrement en deuxième semaine de Grand Chelem. Maintenant, je vais voir jusqu’où je peux aller», a-t-il observé, ambitieux à l’idée de se frotter à Dominic Thiem.
Shapovalov, lui, n’est pas complètement inexpérimenté à ce stade de la compétition. En 2017, dans le sillage d’un Masters 1000 de Montréal où il s’était révélé en battant successivement Juan Martin Del Potro et Rafael Nadal à 18 ans, l’explosif gaucher s’était offert son premier (et seul jusqu’ici) huitième de finale en Majeur. L’an passé, il avait failli récidiver, s’inclinant au bout des cinq sets face à Gaël Monfils au 3e tour. Cette fois, le sort a basculé en sa faveur face à l’Américain Taylor Fritz, et les conditions de jeu n’y sont peut-être pas étrangères.

SHAPOVALOV ET LA PRÉPARATION STUDIEUSE
Ces résultats sont aussi la récompense de derniers mois studieux pendant la suspension du circuit, lors de laquelle il ne s’est pas dispersé. «Je n’ai pas joué d’exhibition, je me suis juste beaucoup entraîné. C’est un défi mental de reprendre quasiment par un Grand Chelem, donc je suis vraiment heureux de me frayer un chemin dans le tableau», a-t-il indiqué.
Face à David Goffin, qui avance doucement mais sûrement dans l’ombre, la tâche s’annonce ardue mais pas impossible pour Shapovalov dont le tennis de puncheur se révèle très efficace sur les courts rapides de Flushing Meadows. Grâce à une saine émulation avec Auger-Aliassime, il matérialise aussi dans ses résultats une réelle progression. «Je pense que nous avons toujours été amis et rivaux, depuis les juniors. Nous avons toujours joué l’un contre l’autre, nous nous poussés l’un l’autre jusqu’au plus haut niveau et je suis sûr que nous continuerons à le faire», a-t-il encore acquiescé.

POSPISIL, L’INATTENDU COUPEUR DE TÊTES
Finalement, la véritable surprise dans le tableau quasi-idyllique du tennis canadien à l’issue de cette première semaine, c’est bien Vasek Pospisil. A 30 ans, le 94e joueur mondial a créé deux sensations successives en faisant tomber son compatriote Milos Raonic, récent finaliste «à» Cincinnati, puis Roberto Bautista Agut, à l’issue d’un combat épique. Plus à l’aise sur les surfaces rapides aussi, il n’a connu qu’un précédent à de telles altitudes : en 2015 à Wimbledon où il avait même poussé son parcours jusqu’aux quarts de finale.
Peut-être galvanisé par la récente création de la PTPA, nouvelle association des joueurs qu’il co-préside avec Novak Djokovic, Pospisil n’en est pas moins lucide sur le travail de longue haleine effectuée par Tennis Canada. «Je pense que le tennis connaissait déjà un boom au Canada avec Genie (Bouchard), Milos (Raonic) et moi. Maintenant, il y a Félix, Denis et Bianca (Andreescu), donc nous connaissons un véritable âge d’or», s’est-il réjoui. Des bons résultats sur la durée dont le Français Louis Borfiga, vice-président du développement de l’élite de la Fédération canadienne de tennis depuis 2006, est l’un des principaux responsables. n