« 15-0, 3 titres, Rafael Nadal en 2022… De retour et meilleur que jamais. » Patrick McEnroe a indéniablement un don pour la concision et la formule-choc. C’est par ce tweet que le frère du génial John et ancien capitaine de l’équipe américaine de Coupe Davis a réagi au 91e titre conquis par le « Taureau de Manacor » à Acapulco, dimanche. Il a en quelque sorte retranscrit avec efficacité une impression largement partagée chez les observateurs et amoureux du tennis : un mélange d’incrédulité et d’émerveillement devant la capacité d’un tel champion à revenir sur le devant de la scène alors qu’il semblait avoir un pied dans la tombe.
Les 4 meilleurs départs de sa carrière
Vous pardonnerez ce jeu de mots douteux, mais ce pied, c’était le gauche. Celui que Nadal avait dans le plâtre encore en septembre dernier. Alors qu’il se demandait s’il n’allait pas tirer sa révérence, l’Espagnol est donc revenu, il a gagné, et même mieux que cela : il a enchaîné les victoires comme il ne l’avait jamais fait auparavant, du moins en début de saison. Son précédent meilleur démarrage date de 2014 avec 11 succès d’affilée avant de buter sur Stan Wawrinka aux antipodes. Pour rappel, voici donc les quatre meilleurs départs de sa carrière : En 2009, il perd en quart de finale à Doha avant d’enchaîner titre à l’Open d’Australie, finale à Rotterdam et titre à Indian Wells : 19 victoires, 2 défaites. Puis, en 2013, il perd en finale à Vina Del Mar pour son retour de blessure, avant d’enchaîner trois titres à Sao Paulo, Acapulco et Indian Wells : 18 victoires, 1 défaite n 2014, il gagne à Doha, avant de perdre en finale de l’Open d’Australie puis d’aller chercher le titre à Rio : 16 victoires, 1 défaite n 2022, il enchaîne trois titres à Melbourne, l’Open d’Australie et Acapulco : 15 victoires, aucune défaite.
Renaissance sur dur et progrès techniques
Non seulement Nadal ne s’était jamais retrouvé avec autant de trophées dans la besace aussi tôt dans une saison, mais il fallait remonter à 2013 pour le voir remporter trois tournois consécutifs sur dur, une surface qui met à rude épreuve ses articulations. S’il y avait un déclin ces dernières années chez l’Espagnol, c’était de ce côté qu’il fallait aller le chercher. En sept saisons de 2015 à 2021, il n’avait triomphé «qu’à» six reprises (US Open 2017, Pékin 2017, Toronto 2018, Montréal 2019, US Open 2019 et Acapulco 2020) sur dur.
A ce constat, il faut ajouter qu’il n’a pas perdu le moindre set ni lors de l’ATP 250 de Melbourne, ni lors de l’ATP 500 d’Acapulco, ce qui tend à montrer que Nadal a retrouvé une certaine marge. Indéniablement, à 35 ans, la performance est remarquable. Car pour y parvenir, il a dû faire considérablement évoluer son jeu et prendre un nouveau parti pris, celui de l’agressivité raisonnée. A Acapulco notamment, il a systématiquement écourté le point à chaque fois qu’on lui en donnait l’opportunité. Et son service, comme il l’a lui-même fait remarquer à plusieurs reprises, a très bien fonctionné : 79 % de premières en finale contre Cameron Norrie, 89 % même dans le premier set. Conscient que davantage de joueurs comme le Britannique peuvent désormais rivaliser avec lui dans les échanges longs, il a encore ajouté des outils à son arsenal.
L’absence de Djokovic change tout
En ce sens, techniquement, le Nadal 2022 est un meilleur joueur de tennis, beaucoup plus complet offensivement qu’en début de carrière. Reste que ces observations ne sauraient faire oublier un facteur très important dans la réussite actuelle du Majorquin : l’absence de Novak Djokovic contre lequel il n’a plus gagné sur dur depuis 2013 lui a indéniablement facilité la tâche. Déchargé de cette menace à Melbourne, il en a été libéré mentalement, ce qui l’a sans doute aussi aidé à aller conquérir son 21e titre en Grand Chelem. Si l’on voulait être taquin, on pourrait aussi faire remarquer que le Majorquin n’a plus battu son autre vieux rival Roger Federer sur dur depuis… 2014. Le Nadal 2017 qui s’était incliné face au Bâlois lors d’une finale épique de l’Open d’Australie était-il moins fort que le Nadal actuel ? Difficile d’en être convaincu. Gilles Simon, qu’on ne peut soupçonner de méconnaissance du tennis, lui-même l’affirmait voici quelques semaines. «En finale de l’Open d’Australie, j’ai vu un Rafa qui a joué à 75 % voire 70 % de ce qu’il jouait avant», avait-il observé.
La nouvelle génération tâtonne
Avant de se laisser submerger par la révolte espagnole et peut-être par ses émotions devant un public hostile, Daniil Medvedev avait d’ailleurs montré qu’il avait les clés pour s’imposer en trois sets secs. Dans la filière longue, le Russe dominait assez logiquement un Nadal qui, malgré ses ressources exceptionnelles, n’a plus la vitesse de course alliée à l’endurance phénoménale de ses meilleures années (2008, 2010 et 2013). C’est bien mentalement, par sa volonté farouche de ne rien lâcher, de se battre jusqu’au bout que le « Taureau de Manacor » a renversé la dynamique. Quant à ses autres jeunes rivaux potentiels, ils n’évoluent incontestablement pas à leur meilleur niveau en ce moment et ce pour des raisons différentes. Stefanos Tsitsipas est toujours en quête de repères après son opération du coude droit en décembre. Alexander Zverev, lui, n’a pas su surfer sur sa dynamique impressionnante de 2021. Ce splendide début de saison montre donc avant tout à ceux qui l’auraient oublié que Nadal appartient toujours à une catégorie spéciale de champions. Seul membre du «Big 3» opérationnel, il a confirmé de la plus belle manière ce que l’on savait déjà : si le physique tient, il reste au-dessus de la mêlée. n
