La présidente de la Chambre des représentants des Etats-Unis Nancy Pelosi s’est rendue mardi 2 août 2022 à Taïwan contre l’avis de la Chine. Mercredi 3 août, elle déclare déployer comme annoncé par sa diplomatie une série de sanctions commerciales contre l’île, ainsi que des exercices militaires.
Synthèse Anis Remane
Une nouvelle partie d’échecs commence entre Washington et Pékin à un moment particulier où le parti communiste chinois prépare son congrès avec la perspective d’une réélection pour un troisième mandat du président Xi Jinping et la volonté de l’administration américaine de rappeler son leadership mondial et son intention de ne pas perdre ses atouts stratégiques dans l’Indopacifique. Comment cette partie va-t-elle se terminer ?
La réponse n’est pas aisée même si l’option d’une escalade militaire, qui n’est profitable à aucune partie, n’est envisageable. Le recours aux armes étant exclu, c’est probablement le scénario d’une guerre commerciale – la Chine est le premier partenaire commercial de Taïwan, avec des échanges qui ont grimpé en 2021 de 26%, à 328 milliards de dollars- et des batailles de langage qui se profile. Au fond, au cœur même de la partie d’échecs, un souhait américain de maintenir le statu quo sur Taïwan: pas de reconnaissance de son indépendance mais son maintien dans le dispositif stratégique US ; une volonté et un empressement chinois à récupérer l’île quasi souveraine depuis 1949 et la fuite sur son sol des nationalistes du Kouo-Min-Tang.
«Il n’arrivera rien de bon à ceux qui jouent avec le feu. Ceux qui offensent la Chine devront être punis, de façon inéluctable», a prévenu le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi. «C’est une farce pure et simple. Sous couvert de “démocratie”, les Etats-Unis violent la souveraineté de la Chine», a-t-il ajouté depuis Phnom Penh où il assiste à une réunion de l’Asean (Association des nations de l’Asie du Sud-Est). Lors d’un point presse régulier, Hua Chunying, une porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, a évoqué les «mesures de rétorsion» que pourrait prendre la Chine après cette visite. «Il y aura tout le nécessaire. Ces mesures seront fermes, énergiques et efficaces. La partie américaine et les partisans de l’indépendance de Taïwan vont les sentir sur la durée», a-t-elle souligné. Dès mardi, la Chine a annoncé des exercices militaires autour de Taïwan. Certains de ces exercices vont s’approcher jusqu’à 20 kilomètres des côtes taïwanaises, selon les coordonnées diffusées par les médias officiels chinois.
Le ministère taïwanais de la Défense a protesté en affirmant que cela menacera plusieurs ports et zones urbaines de l’île.
Série de sanctions commerciales
Par ailleurs, Pékin a annoncé une série de sanctions commerciales: les douanes chinoises ont décidé mercredi de suspendre l’importation des agrumes et de certains poissons de Taïwan. Elles affirment avoir détecté «de façon répétée» un type de cochenille nuisible sur les agrumes et y avoir enregistré des taux excessifs de pesticides. Des emballages contenant deux types de poissons ont également été testés positifs au coronavirus, a-t-elle assuré. De son côté, le ministère du Commerce a annoncé «suspendre l’exportation de sable naturel vers Taïwan» à partir de mercredi, sans donner d’explications. Le sable naturel est généralement utilisé pour fabriquer du béton et de l’asphalte, et Taïwan dépend majoritairement de la Chine pour s’en fournir. Le Conseil taïwanais de l’Agriculture a également indiqué mardi que la Chine avait invoqué des infractions à la réglementation pour suspendre l’importation de différentes marchandises de l’île comme des produits de la pêche, du thé et du miel.
Côté américain, on semble montrer que le pouvoir exécutif (la Maison Blanche n’était pas enthousiaste à l’idée de voir Mme Pelosi se rendre à Taïwan) et pouvoir législatif ont chacun leur place et leurs prérogatives dans le champ politique et institutionnel aux Etats-Unis. Ensuite, il y a le profil particulier à Nancy Pelosi qui n’est pas à son premier coup d’éclat avec la Chine: la présidente démocrate de la Chambre des représentants a une histoire tumultueuse avec Pékin, qu’elle dénonce avec véhémence, rappelaient hier les grandes agences de presse.
Dans une tribune publiée dans le Washington Post mardi, Mme Pelosi assurait que sa visite à Taïwan a pour objectif d’«être aux côtés de Taïwan (…) où la démocratie est menacée». Ardente critique de la Chine, elle avait déjà provoqué la colère de Pékin en 1991, en se rendant sur la place Tiananmen deux ans après la répression des manifestations pro-démocratie.
Accompagnée de deux parlementaires, elle s’était rendue sans autorisation sur la place et avait déployé une banderole noire et blanche en hommage aux manifestants tués dans la répression, scandalisant les autorités chinoises. «A ceux qui sont morts pour la démocratie en Chine», disait la banderole. Elle s’est aussi liée d’amitié avec le dalaï-lama qu’elle a visité à Dharamsala en 2008 et a rencontré l’archevêque de Shanghai. «Si ceux qui aiment la liberté ne dénoncent pas la répression de la Chine dans son propre pays et au Tibet, nous perdrons alors toute autorité morale pour défendre les droits de l’homme où que ce soit dans le monde», avait-elle alors lancé.
Elle a aussi qualifié d’«héros» les manifestants hostiles à Pékin à Hong Kong et fortement dénoncé la répression de la communauté ouïghour en Chine. n