Les Forces de la liberté et du changement (FLC) soudanaises, principal bloc civil d’opposition, ont décrété, hier mardi, deux jours de désobéissance civile en réaction à la répression des manifestations anti-putsch par l’armée et les forces de sécurité.Par Kahina Terki
Durant cette même journée du 18 janvier, trois organisations représentatives des médecins ont annoncé leur « retrait total » des hôpitaux de la police et de l’armée. Elles ont également déclaré observer une grève nationale pour les cas non-urgents d’une durée de trois jours. Ces trois organisations, à savoir le Comité des médecins du Soudan (non-gouvernemental), le Syndicat médical du Soudan et le Comité des consultants et des spécialistes (non-gouvernemental), ont fait savoir dans leur communiqué que « la poursuite de l’exercice des médecins et du personnel médical dans l’armée, la police et les institutions sécuritaires, est une reconnaissance des pratiques des forces putschistes, et une normalisation avec elles, et il est nécessaire de les boycotter socialement et professionnellement ». « Après de longues discussions avec les médecins des hôpitaux gouvernementaux (affiliés à l’armée et à la police), menées par des représentants, des praticiens généralistes, des spécialistes et des consultants, nous annonçons le retrait total des hôpitaux gouvernementaux de la capitale et des États », ont-elles ajouté. Depuis le 25 octobre 2021, le Soudan est le théâtre de manifestations et de protestations, suscitées par les mesures « exceptionnelles » prises par le chef de l’armée, Abdel Fattah al-Burhan, qui a imposé notamment l’état d’urgence et la dissolution du Conseil de souveraineté et le Conseil des ministres de transition. « Un coup d’Etat militaire », ont dénoncé les forces politiques d’opposition dont les militants et les sympathisants font face à une sanglante répression. Lundi 17 janvier, l’une des journées les plus dramatiques en bilan humain, sept manifestants ont été tués parmi les manifestants sortis dans la rue pour demander le départ des généraux. Bravant un quadrillage sécuritaire serré et des troupes équipées d’armes lourdes, des milliers de Soudanais ont de nouveau scandé « Les militaires à la caserne » et « Le pouvoir aux civils » en tentant d’approcher du palais présidentiel à Khartoum, ou ailleurs dans le pays.
« Mettre fin à la violence »
Dans la capitale, les partisans d’un pouvoir civil dans un pays sorti il y a moins de trois ans de trente années de dictature militaro-islamiste ont essuyé des tirs « à balles réelles », mais aussi une pluie de grenades lacrymogènes et assourdissantes et des tirs des canons à eau, rapportent des médecins. Durant tout l’après-midi, les violences ont été continuelles y compris dans les banlieues. A Omdourman, des manifestants ont brûlé des pneus et dressé des barricades pour couper des routes, tandis qu’à Khartoum-Nord, des milliers d’autres manifestants ont crié « Pas de retour en arrière possible ». En soirée, des centaines de manifestants ont cherché à bloquer les rues de la capitale et de ses banlieues pour dénoncer la violence. A Madani, par exemple, à 200 kilomètres au sud de Khartoum, « environ 2.000 manifestants défilaient aux cris de +on ne veut que des civils au pouvoir+ », a rapporté à l’AFP un témoin. Partout, les forces de l’ordre ont poursuivi les contestataires dans les rues environnantes à coups de grenades lacrymogènes et assourdissantes. Elles ont attaqué également des blessés et des médecins dans les hôpitaux, s’indigne l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Lundi, les généraux soudanais au pouvoir ont pris une nouvelle décision répressive en créant une « force spéciale antiterroriste pour faire face à de potentielles menaces ».
En réaction à la répression, l’émissaire de l’ONU au Soudan, Volker Perthes, a condamné « l’utilisation continue de balles réelles » pour réprimer les manifestations, et confirmé qu’au moins sept personnes ont été tuées et « des dizaines blessée ». L’ambassade américaine à Khartoum a critiqué « les tactiques violentes des forces de sécurité soudanaises ». L’envoyé spécial des Etats-Unis pour la Corne de l’Afrique David Satterfield et la secrétaire d’Etat adjointe Molly Phee ont, eux, entamé lundi 17 janvier une tournée en Arabie saoudite et au Soudan pour tenter de relancer le dialogue. Les émissaires américains demanderont aux autorités au Soudan de « mettre fin à la violence » contre les manifestants, selon le Département d’Etat. D’autre part, Washington a annoncé avoir remplacé son chargé d’affaires à Khartoum où les Etats-Unis n’ont plus d’ambassadeur depuis les années 1990.
A New York, neuf des 15 pays membres du Conseil de sécurité de l’ONU ont appelé « toutes les parties à la plus grande retenue », tandis que la mission des Nations unies à Khartoum tente d’organiser un dialogue pour relancer une transition vers la démocratie brutalement interrompue le 25 octobre. Elle multiplie les rencontres avec acteurs du pouvoir, de la société civile, et même associations de femmes ou de jeunes, sans toutefois obtenir un accord pour des négociations directes ou indirectes entre toutes les parties dans l’immédiat.
Depuis le putsch du 25 octobre, 71 manifestants ont été tués. La police de son côté assure qu’un de ses généraux a été poignardé à mort jeudi par des manifestants qui, prévient-elle, seront jugés selon les lois d’exception de l’état d’urgence décrété le jour du coup d’Etat du chef de l’armée. n