Une semaine après la libération de Messaoud Leftissi et de ses compagnons de lutte, voici venu le temps de la liberté pour quatre autres pensionnaires de la lugubre prison d’El Harrach hier matin. Aux côtés de celle qui est devenue une icône du Hirak, Samira Messouci, trois preux chevaliers : Aouissi, Kichou et Challal.

Le même scénario que lundi dernier se répète, dès 7h30, devant la prison d’El Harrach. Les familles, les amis et des activistes du Hirak, affluent par grappes et s’agglutinent dans la petite ruelle, au rythme des poussées successives d’un dispositif policier intransigeant. Pas de débordement sur la chaussée.
Dans la foule, les mêmes visages du Hirak et d’autres, inconnus, mais si familiers dans leurs yeux. Il y a les familles, les pères Challal et Aouissi, la sœur de Kichou et les sœurs Messouci, Amina et Fadila dont le nævus sur le menton, et le seul signe qui la distingue de sa sœur jumelle. Il y a aussi d’ex-détenus, venus accueillir leurs compagnons de cellule. Quelques-uns aussi parmi les détenus libérés récemment sont là : Djaber Aïbèche, Samir Guerroudj, Nabil Bounouh, Kamel Bouallouache. Messaoud Leftissi, lui, a fait le trajet de Skikda en compagnie de sa sœur Souad. Il est en attente de verdict, ce jeudi, pour une accusation d’«incitation à attroupement non armé». Le procureur général a requis un an de prison ferme. Pour la même accusation, son frère Samir et quatre autres accusés viennent d’être acquittés. Le sera-t-il aussi ou allons-nous assister à un remake «Sidi-M’hamedien» de la justice à deux vitesses ou selon deux prismes ou, au contraire, s’achemine-t-on vers l’apaisement ?
Beaucoup de femmes ce matin devant la prison d’El Harrach. Des femmes en tenues kabyles. D’autres, arborant des motifs et des symboles berbères. Certaines avec des bouquets de roses. Elles étaient toutes souriantes. L’autre prisonnière du système était également présente : Nour El Houda Yasmine, l’étudiante incarcérée «arbitrairement»…
Beaucoup de ces femmes expriment leur joie avant l’heure. On s’embrasse. On se sert fort dans les bras. Fadila tout comme Amina sont toutes les deux fébriles. Six mois de séparation qui prennent fin. Deux jumelles séparées de leur autre moitié. Pour Fadila, «c’est un grand jour. Je ne remercierai jamais assez tous ceux qui ont lutté, soutenu, aidé ce combat pour la libération des détenus, le réseau, les gens du Hirak et en particulier le CNLD et les avocats pour l’immense travail réalisé. Nous resterons toujours cette grande famille des détenus d’opinion qui luttera jusqu’à la libération du dernier détenu…»
Derrière la foule compacte, un peu en retrait, les filles Smallah. Toujours présentes. Toujours aussi tristes à cause de l’absence d’un père aimant. Et puis il y a les membres actifs du CNLD, ceux du Réseau de lutte contre la répression, Fethi Gherras du MDS et son épouse et non moins militante. Youcef Tazibt et des membres de la direction du PT sont également présents. Du côté du RCD, on reconnaît surtout Feta Sadat, de la direction du parti et beaucoup de militants. Du côté des avocats, on croise le visage souriant de Leïla Djerdjer, alors que Aouicha Bakhti et Samira Nemar, avec beaucoup d’autres avocats, dont Me Assoul et Bouchachi, sont mobilisés au tribunal de Sidi M’hamed pour le procès des neuf activistes du Hirak dont le trublion Raouf Raïs.
L’ambiance est sereine. Calme. Il est 8h30. Quelques 200 personnes prennent leur mal en patience tels des hérauts attendant la sortie de leurs héros. Et puis, quelques minutes plus tard, une silhouette se profile devant l’entrée de la prison. Pour Samira, c’est désormais la sortie…

Les héros du Hirak
Il est 8h35 exactement. Samira, sereine, avance d’un pas calme, majestueusement vers la foule qui scande son prénom et tente de briser le cordon de police. Seule Fadila réussira à le franchir pour aller à la rencontre de cette sœur tant attendue depuis des mois, tandis qu’un policier refuse à Amina ce simple droit. Samira arrive dans la foule et celle-ci s’en empare. Difficile de l’approcher tant la masse est dense. La famille, les amis, tout le monde tente de la toucher, de l’embrasser. Certains réussiront quand même l’exploit d’un selfie au milieu de cette cohue.
On lui fait endosser un burnous immaculé. On lui offre des roses et des mots gentils et pleins de reconnaissance. Samira est heureuse, mais aussi très fatiguée. Elle a peu ou pas dormi cette nuit à la veille de ces grandes retrouvailles. Bien qu’elle n’ait pas pu résister à l’émotion et aux larmes, alors que la foule scandait «Djazaïr horra democratiya», ce que l’on découvre, surtout, c’est une femme déterminée, que la prison n’a pas réussi à dompter. La foule la porte haut et scande «anwa wiggi imazighen» (qui sommes-nous ? Des Amazighs) et «dawla madaniya machi askaria» (Etat civil et non militaire).
Dans la foule, un barbu portant kamis, habitué du Hirak, lance : «Vive Samira, la fierté de l’Algérie !» La pression ne baisse pas autour de Samira qui se décide à dire quelques mots à l’assistance et aux dizaines de smartphones braqués sur elle, remerciant le Hirak pour sa mobilisation, le peuple pour son soutien, les collectifs d’avocats pour l’admirable travail en faveur des détenus… Un merci pour beaucoup de choses et de faits militants. «Nous sommes en train d’écrire une nouvelle page de l’Histoire. Notre incarcération avait pour but de nous faire faire marche-arrière, bloquer la révolution, mais le pouvoir a échoué… Quant aux juges qui continuent à condamner des innocents, ils doivent savoir qu’ils signent leur condamnation devant le tribunal de l’histoire. L’histoire ne pardonne pas, l’histoire n’oublie pas, nous sommes la fierté de l’Histoire et ils sont dans sa poubelle !»
Alors qu’une partie de la foule «assiège» Samira, une autre partie accueille dans les larmes et la joie, les trois autres détenus, Aouissi, Challal et Kichou.
La maman de Mustapha Aouissi est aux anges. Son père exulte et crie à tue-tête les chants du Hirak dont le fameux «nous sommes les enfants d’Amirouche et nous ne ferons jamais marche-arrière !» La sœur de Mustapha, Yasmine, pleure tout son soûl dans les bras de Fatiha et de ses amies étudiantes. Elle aura plus tard cette réflexion, «oui, on m’a rendu mon frère, c’est bien lui, je l’ai mordu au bras et j’ai reconnu cette chair dure des Aouissi !»
Fatiha, elle, est heureuse et cela se voit et s’entend. Son frère, El Hadi Kichou, plus déterminé que jamais, «dénonce les conditions d’incarcération inhumaines dans les prisons algériennes», il ajoutera «que chacun de nous se libère lui-même avant que nous nous libérions nous-même !» Enfin, Arezki Challal, en père heureux est admiratif devant son fils désormais libre. Sa fille, Malia, est immensément heureuse. Elle s’est battue comme une lionne depuis des mois, scandant le nom de son frère et de ses autres frères détenus du Hirak, les jeudis devant le tribunal de Sidi M’hamed et les vendredis dans les rues d’Alger. Arezki retrouve dans les larmes et les rires ses compagnons d’infortune, «en prison, dira-t-il, nous étions obligés de tenir le coup, mais la prison reste la prison. Terrible !» Dans ses yeux pourtant, une lueur d’espoir et de persévérance.

L’espoir succède aux larmes
Samira et Amokrane Challal, séparément, mais désormais unis par le sort et la destinée, rentrent à Tizi Ouzou où ils seront reçus avec les honneurs. Aouissi et Kichou, après un détour par la maison paternelle pour tous les deux, se retrouveront au siège du MDS pour un repas à l’occasion de cet heureux dénouement.
Kichou, lui, rendra visite à son beau-frère, Omar Abed, victime d’un AVC et qui n’a, depuis presque 6 mois, ménagé aucun effort dans le combat pour la libération des détenus d’opinion, au sein du collectif des parents de détenus. Il n’est que beau-frère, mais pour beaucoup de personne, El Hadi était comme son fils.
Enfin, un bonheur ne vient jamais seul, serait-on tenté de dire. Au moment où quatre détenus d’opinion retrouvaient la liberté, quatre autres emprisonnés (et cinq sous contrôle judiciaire), passaient devant le juge à Sidi M’hamed pour délits d’opinion, dont le port du drapeau amazigh. Il s’agit de Yebou Ali, Raouf Raïs, Ghanem Fayçal et Messaoudi Khellaf, en détention préventive depuis le 3 novembre dernier et Iheddaden Madjid, Hethout Ahmed, Ramzi, Messaoudi Saïd, Rezoug Fateh et Ammari Adel, sous contrôle judiciaire.
Après un procès que Raouf Raïs ne manquera pas de marquer de son empreinte qui fait la fierté de son père, le verdict tombe : deux mois avec sursis pour les accusés en détention préventive et acquittement pour les autres.
L’espoir est permis. Espoir dans les combats à venir et à mener. La prison n’aura pas eu, en fin de compte, raison de la détermination de ceux qui sont aujourd’hui d’authentiques militants du Hirak. Il y a ceux qui sont sortis cette matinée et ceux pour lesquels on espère la fin du cauchemar. Et ils sont nombreux. Les filles Smallah ont encore pleuré. Et c’est humain. Mais leur calvaire ne prendra fin qu’avec la sortie du papa tant aimé…