La problématique de la gestion des salles de cinéma, dont la majorité sont passées sous la houlette des APC durant les années 1990, revient sur le devant de la scène avec l’annonce du texte du Projet de loi de finances (PLF 2021), publié sur le site Internet du ministère des Finances. Il stipule que les salles de cinéma, inexploitées ou détournées de leur vocation initiale, peuvent être rétrocédées au domaine privé de l’Etat et dont la gestion est confiée au ministère de la Culture, selon les termes de l’article 109 du texte, qui exclut «les biens immeubles appartenant à des particuliers ».

Il est à noter que les salles de cinéma avaient été cédées, à titre gratuit, au profit des communes sur le territoire desquelles ces lieux de spectacle sont situés, selon les termes de l’article 88 de la Loi de finances pour 1981. Les communes s’attribuent ainsi, la gestion de plus de 251 autres salles majoritairement inexploitées, délabrées ou détournées.
Même si cette annonce a eu un bon écho auprès des professionnels du secteur, toutefois, des réserves sont émises sur la suite à donner après la récupération de ses salles de cinéma, en l’occurrence leur réhabilitation et leur gestion.
A ce sujet, Salim Aggar, directeur du Centre algérien de cinématographie, qui gère le réseau des cinémathèques au niveau national, nous déclare que «c’est une bonne chose et c’est très important de récupérer les salles de cinéma qui ont été bloquées durant de longues années au niveau des APC. Maintenant, la question qui se pose est dans quel état sont-elles ? Car si elles sont dans un état de délabrement avancé, cela va conduire à des dépenses importantes du ministère de la Culture pour leur restauration ».
Salim Aggar explique aussi que pour une réelle réhabilitation d’une salle de cinéma, il faudra l’équiper de technologies modernes, ce qui inclurait l’installation de DCP pour chaque salle. «Cela risque de coûter excessivement cher au ministère de la Culture », souligne notre interlocuteur.
Au niveau du réseau des salles de la Cinémathèque algérienne, Salim Aggar nous confie qu’«actuellement, on a un litige avec deux APC. Il s’agit des salles au niveau des APC de Tébessa et Bordj Bou-Arréridj qui sont passées sous leur coupe depuis les années 1990», ajoutant qu’«aujourd’hui, tous nos efforts sont déployés pour récupérer ces salles ».
Toutefois, le premier responsable du réseau des salles de la cinémathèque soulève la problématique de leur gestion si le ministère de la Culture réussit à les récupérer. Il souligne à ce sujet que «dans les faits, la question qui se pose est que si on arrive à récupérer ces deux salles, il y a un problème épineux qui se pose : comment recruter des personnes pour gérer ces salles sachant que depuis 2015 les recrutements sont gelés ».
Nonobstant ce paradoxe entre les faits et les contraintes, Salim Aggar réitère l’importance de récupérer les salles de cinéma en estimant que «c’est toujours utile. Mais, il faut trouver une démarche pour les prendre en considération et les rendre fonctionnelles en partenariat notamment avec les directions de la culture de la wilaya».
Pour sa part, Drifa Mezenner, réalisatrice et manager de la plateforme «Tahya Cinéma», dédiée aux professionnels du septième art, tout en saluant cette initiative de la récupération des salles de cinéma par le ministère de la Culture, estime toutefois qu’«il y a toujours eu des effets d’annonce sur la problématique de la récupération des salles. Mais, concrètement, les choses ne se faisaient pas dans la transparence, dans le sens qu’il n’y a pas eu de projet clair partagé avec les professionnels du secteur du cinéma pour promouvoir ces salles, ni une transparence concernant les mécanismes qui seront mis en place pour la gestion de ces salles». Elle nous confie dans ce sillage sa crainte qu’une fois ces salles récupérées par le ministère de la Culture elles seront données à des «opportunistes qui vont bénéficier d’un certain budget octroyé par l’Etat et ils ne feront rien pour le bien du cinéma», craint-t-elle.
La distribution, maillon faible du secteur du cinéma
Drifa Mezenner nous affirme par contre, qu’aujourd’hui, il existe un potentiel dans la société civile, qu’il s’agisse d’associations ou de collectifs qui «ont la volonté et les capacités pour l’animation de ces salles parce que, justement, ils ont des projets clairs avec des normes que respectent les mécanismes de la gestion d’une salle de cinéma».
A propos de la problématique du financement de la réhabilitation de ces salles qui, pour la majorité, sont délabrées, la manager de «Tahya Cinéma» nous déclare que «pour l’investissement dans les salles de cinéma, il y a beaucoup de question qui se posent et qui restent sans réponses claires pour que les personnes investissent dans la gestion de ces salles». Elle révèle ainsi, qu’«il y a des personnes qui ont envie d’investir dans le secteur du septième art et qui ont des projets concrets mais, tant qu’il n’y a pas de mécanismes clairs dans ce secteur notamment concernant les mécanismes de la gestion des salles de cinéma, ils ne peuvent prendre de risque ».
Finalement, le véritable intérêt pour la récupération des salles de cinéma, c’est le renforcement du réseau de distribution et c’est là où le bât blesse. Car dans le fond, même si le ministère de la Culture et des Arts comptabilise aujourd’hui 81 salles de cinéma sous sa tutelle, elles sont à peine 25 exploitées.
Forte de son expérience dans ce domaine, Drifa Mezenner souligne qu’«il faut savoir que l’écosystème du secteur du cinéma en Algérie ne favorise pas la distribution de films. Ceci notamment à cause des lois sur les films, sur la distribution, sur les droits d’auteurs… C’est révélateur d’une réelle absence d’un projet global pour le cinéma qui fait que ce maillon important qu’est la distribution n’est pas fonctionnel».
Elle précise que «malgré l’existence de nombreuses salles qui ont été restaurées et réhabilitées, il reste difficile d’y projeter des films pour de multiples raisons ». La manager de «Tahya Cinéma », la plateforme qui regroupe le réseau des professionnels du septième art pour impulser une véritable dynamique du secteur, conclut qu’«aujourd’hui il faudrait penser au devenir du secteur du ciné avec une vision globale. En ayant conscience que la distribution dans les salles de cinéma est un des maillons importants de ce secteur».