La DGSN n’a peut-être jamais publié autant de communiqués en une seule journée que durant celle du vendredi 12 avril.
Ses services ont, en effet, diffusé au moins six bulletins, dont deux à usage de bilans et un seul pour indiquer que son directeur, Abdelkader Kara Bouhadba, s’était déplacé, en compagnie du wali d’Alger Abdelkader Zoukh, à l’hôpital de police des Glycines pour s’enquérir de l’état de santé des policiers blessés lors des «violences et des destructions» qu’a connues Alger au rond-point de convergence de la rue Didouche et du boulevard Mohamed V. Les termes de «violences» et de «destructions» sont inscrits dans le dernier communiqué de la Dgsn et diffusé par l’APS à 23h20. Ils accompagnent un bilan qui fait seulement état du nombre de policiers blessés – 83 agents – et celui des 108 personnes interpellées durant les échauffourées. Un bilan qui ne fait pas mention des manifestants blessés, les ministères de l’Intérieur et de la Santé ayant été significativement absents dans ce domaine, et les secouristes bénévoles, dont ce n’est pas la préoccupation, s’étant contentés de faire leur travail et de laisser les réseaux sociaux le relayer. Ce qui fait surtout polémique, car pour la Dgsn les débordements et l’usage de la violence spectaculaire par ses agents à place Audin et dans le tunnel des facultés étaient une réplique à une provocation fomentée par des personnes venues spécialement pour en découdre. Selon des témoins dont des journalistes, la Dgsn n’a pas restitué la vérité des faits lorsqu’elle a indiqué dans un communiqué, repris par l’APS à 22 heures 07, que ses agents n’ont pas utilisé de gaz lacrymogènes, comme il est mentionné dans le communiqué, selon lequel «les forces de la police ont fait barrage à un groupe de manifestants ayant subitement adopté un comportement agressif au niveau du tunnel des facultés, en recourant à des fumigènes et des pétards». La même source a ajouté que les éléments blessés de la police ont été «victimes de jets de pierres et d’objets tranchants par des délinquants au niveau du boulevard Mohamed V et Alger-Centre», ajoutant que «plusieurs véhicules de la Dgsn ont été saccagés».
«Ils ont réagi à coups de lacrymogènes», témoignera, par contre, un journaliste se trouvant sur place au moment du dérapage. Selon ce journaliste, «des flics ont volontairement et abusivement chargé des manifestants, dont des femmes, des personnes âgées et des enfants. Ce sont des jeunes qui, par courage et altruisme, leur ont porté secours pour les sortir de là… » Un autre témoin rapporte que des éléments portant la combinaison du Gosp ont délibérément fait usage de balles en caoutchouc (une vidéo montre des éléments de ce service opérationnel présents sur la rampe Ben Boulaïd) sans que les circonstances, selon le témoin, ne les contraignent à l’utilisation de ces projectiles.
Des interrogations sur la présence de «voyous»
Et s’il y a unanimité sur la présence de «voyous» qui ont eu recours à la provocation, les interrogations sont fortes sur la motivation de ces nervis et sur leurs présumés commanditaires. il y a eu aussi accord presque unanime sur le «curieux» communiqué de la Dgsn faisant état, entre 17h30 et 17h40 (l’APS l’a diffusé à 17h44) de la présence d’«étrangers» venus «attiser les tensions et pousser les jeunes à recourir à des formes d’expression radicales, en vue d’exploiter leurs images via les médias et sur les réseaux sociaux».
La police évoque l’arrestation de personnes «en possession d’équipements sensibles, de substances psychotropes à effet hallucinogène, en quantités importantes et qui agissaient en réseaux et sur des points ciblés».
Le communiqué de la Dgsn relève encore que «pendant toutes les semaines, et chaque jour, des délinquants et autres malintentionnés ont été interpellés parmi les manifestants, dont certains tentaient d’écouler leurs marchandises prohibées, dérober les biens des citoyens, voire les harceler ou les agresser», faisant état également «de foules nombreuses, constituées d’enfants innocents ainsi que d’écoliers, de personnes âgées fragiles, voire même handicapées».
Des témoignages recueillis durant les vendredis précédents ont fait état de délits commis par des pickpockets et de petits délinquants.
Le doute s’installe, selon un journaliste présent au moment de la «charge inexpliquée» des manifestants dans le tunnel des facultés, quand la police dit que des «instigateurs aux desseins machiavéliques n’avaient d’objectif que celui de jeter des enfants dans le feu de l’action, au détriment de leurs droits fondamentaux, en interrompant leur scolarisation et en les exposant aux dangers pouvant découler de telles situations».
Cependant, et ce qui a surpris beaucoup de monde dans les rédactions, les réseaux sociaux en ont fait une matière d’humour, c’est l’annonce de «l’arrestation d’un groupe de terroristes qui planifiaient de commettre des exactions contre les citoyens».
Le communiqué indique que les services de police «ont eu également à déjouer des projets criminels d’envergure, tels que l’arrestation d’un groupe de terroristes fortement pourvu en armes et munitions qui planifiait de commettre des exactions contre les citoyens, profitant de la densité humaine générée par la mobilisation».
La Dgsn a fait savoir que les investigations entreprises ont permis d’établir que «certaines armes détenues par ces criminels ont servi pour des assassinats perpétrés contre des membres des services de sécurité durant la décennie noire».
Des révélations qui s’ajoutent au constat que «des ennemis du peuple, de son Histoire et de ses acquis sont déterminés à faire basculer la rue pour mettre en exécution leurs desseins malveillants, dont certains connus par leur alarmisme irrationnel et n’ont pas hésité à altérer calomnieusement l’intervention légale et cohérente des forces de l’ordre pour en faire une action de répression». Un démenti auquel beaucoup de militants du Hirak ne croient pas et ils l’ont fait savoir sur les réseaux sociaux.
Saïd Salhi, vice-président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’Homme, relève que, «pour la première fois depuis le 22 février, on a vu que les services de police, dès le début des manifestations, n’étaient pas là pour encadrer, mais pour perturber et empêcher la mobilisation».