La récupération des usines des oligarques par l’Etat et leur exploitation avant la fin de l’année pourraient contribuer à la hausse du niveau de croissance de l’économie nationale et le maintien ou la création de milliers d’emplois. Quant aux perspectives de ces actifs, elles dépendent de l’existence ou non d’une vision stratégique de leur insertion dans une politique de développement industriel du pays.

Par Khaled Remouche
Les ministres de l’Industrie Ahmed Zeghdar et du Commerce Kamel Rezig ont récemment présidé la cérémonie de mise en service d’une chaîne de production qui portera la capacité de la raffinerie d’huile, située dans l’enceinte du port d’Alger, à 400 tonnes/jour. Cette usine qui était détenue par les frères Kouninef a été récupérée par l’Etat à la suite d’un jugement définitif portant notamment sur la saisie de leurs avoirs et leurs actifs. Cette usine située à Alger est devenue la propriété du groupe public Agro Div. Le ministre du Commerce a indiqué qu’avec la rénovation de cette usine et la mise en service de cette nouvelle chaîne de production, la société Mahroussa qui exploite cette usine, filiale du groupe Agrodiv, détiendra 25% du marché. Elle contribuera à organiser le marché et à éloigner le risque de pénurie de ce produit de base dans l’alimentation des citoyens dont ont souffert les ménages ces derniers temps. Il a indiqué qu’avec l’entrée en service prochainement de nouvelles raffinerie d’huile à Oran, Mascara, Jijel et Tipasa, les besoins du marché estimés à 1 600 tonnes/jour seront totalement couverts. Kamel Rezig veut en sorte démonopoliser la filière huile de table, dont le groupe Cevital détenait la quasi-totalité du marché avec une capacité de production de plus 1 600 tonnes/jour qui lui permettait de couvrir tous les besoins du pays et de de dégager des quantités à l’exportation. Mais à quel prix va s’opérer cette démonopolisation? Pas en termes de rapport qualité prix. Si la sortie du monopole de fait de Cevital est une opération qui fait partie des règles du marché, où il faut plusieurs acteurs et pas un seul qui dominent le marché. Cela s’appelle aux Etats- Unis les lois anti-cartel, qui sont très sévères sur ces questions. Rien à dire sur ce point. L’intention est positive. Encore faut-il que les autres acteurs assurent ce rapport qualité/prix et maîtrisent l’aspect logistique qui est déterminant dans le positionnement sur le marché. Le caractère public d’un acteur qui assure 25% du marché semble, en outre, lancer le message que l’Etat veut rester un Etat producteur. Ce qui est à contresens des règles de l’économie de marché. La logique voudrait que l’Etat se déleste progressivement de ses actifs industriels mais pas n’importe comment. L’orienter au profit de professionnels privés intègres avec des garde-fous serait la solution. L’Etat est là pour contrôler et pour réguler le marché et non pour produire. Autre omission : ce qui n’a pas été dit au cours de cette cérémonie de signature, c’est que le groupe public Madar, qui a récupéré l’usine de trituration de graines oléagineuses détenue par les frères Kouninef, est en voie de la mettre en production. Cette usine est très importante sur la voie de l’intégration industrielle de la filière huile qui était très dépendante de l’extérieur. Puisque, au lieu d’importer l’huile brute et la raffiner, une étape de la production s’effectue en Algérie, la trituration des graines oléagineuses. Il ne reste que la production sur place du soja, du tournesol ou du colza pour que le processus d’intégration quasi total de la filière réussisse. Le secteur de l’agriculture a entamé, rappelons-le, la production de ces graines oléagineuses mais pas en quantités suffisantes actuellement. La question est de savoir si cette usine sera bien gérée et si elle constitue une plus-value dans la filière huile. Quant au ministre de l’Industrie, il a indiqué en ce sens qu’entre les actifs des groupes publics et ceux des oligarques récupérés par l’Etat, il est recensé 51 entreprises qui étaient ou sont à l’arrêt, 10 sont entrées en exploitation, 35 vont démarrer leurs activités avant la fin de l’année avec le maintien ou la création de 5 000 emplois. Il faut savoir que les actifs industriels des oligarques ne sont pas négligeables, en particulier, les raffineries d’huile des frères Kouninef et tuberie, cimenterie et projet d’aciérie d’Ali Haddad. Mises en exploitation, elles permettraient de contribuer à la hausse de la croissance du pays. Encore faut-il une vision stratégique de l’évolution de ces entreprises et l’ingrédient d’un bon management de ces actifs. Ce qui n’est pas évident aujourd’hui.
Autre interrogation : pourquoi faut-il interdire actuellement l’exportation d’huile de table alors que l’Algérie a une capacité de production excédentaire par rapport à la demande domestique, si on inclut les capacités de production de Cevital ? Kamel Rezig a indiqué que l’Algérie exportera l’huile dans deux ou trois ans. Pourquoi autant de temps alors que l’Algérie a aujourd’hui les capacités de production excédentaires. A moins que les restrictions sur les matières premières font que la filière doit se concentrer aujourd’hui uniquement sur le marché local et éviter toute pénurie d’huile. Autre problématique pas encore réglée. Un spécialiste avance que si l’entreprise spécialisée dans ce segment de marché s’impose sur le marché international par le rapport qualité/prix tout en contribuant à satisfaire le marché local, on ne devrait pas l’empêcher d’exporter. Là, une question fondamentale se pose : sans la subvention de l’Etat pour l’huile de table, le produit serait-il compétitif sur le marché international ? <