Lors d’un vibrant hommage rendu à la mémoire de Maurice Audin, martyr de la guerre de Libération nationale, à l’occasion de sa conférence avant-hier, au SILA 2018, l’historien Gilles Manceron a lancé un appel à la mobilisation citoyenne pour l’ouverture des dossiers encore en suspens, dont la question des disparus civils et militaires français et algériens durant cette guerre, la restitution des archives, la pleine reconnaissance des essais nucléaires et la restitution des crânes et restes humains des résistants algériens conservés en France

La rencontre intitulée «Maurice Audin… et les autres ?» animée dimanche dernier par l’historien Gilles Manceron, au Salon international du livre d’Alger, était l’occasion pour l’historien de revenir sur le travail de mémoire mené par la société civile en France, afin d’aboutir à la reconnaissance des massacres du 17 octobre 1961 et de la responsabilité de l’Etat français dans la disparition de Maurice Audin, mort sous la torture, en juin 1957. En effet, en septembre 2018, le gouvernement français avait reconnu officiellement que Maurice Audin, jeune universitaire, militant de la cause algérienne, était «mort sous la torture du fait du système institué alors en Algérie par la France».
Ainsi, le président Emmanuel Macron a reconnu officiellement la responsabilité de l’Etat français et annoncé l’«ouverture des archives sur les disparus civils et militaires, français et algériens».
Gilles Manceron, commentant la décision du président français, déclare qu’elle est «un premier pas après 60 ans de dénis». L’historien, tout en rappelant la souffrance endurée par la famille de Maurice Audin, soulèvera toutefois le fait que certaines parties d’ombres demeurent dans le cas de Maurice Audin, notamment concernant les circonstances exactes de la mort du martyr de la guerre de libération nationale. Il souligne à ce sujet : «J’espère que cette reconnaissance officielle pourra aider à libérer la parole.
Certains aspects de la déclaration du 13 septembre dernier d’Emmanuel Macron laissent supposer que cela peut être réalisable.» Ajoutant que «jusqu’à présent, il y avait une consigne de silence appliquée à tous les anciens officiers et les anciens soldats de l’armée française, mais la dernière déclaration d’Emmanuel Macron a inversé les choses. Cela leur a donné une liberté de parole.
D’autant plus que certains membres de l’équipe du commandant Aussaress sont encore vivants. Ils savent ce qui s’est passé et ils pourraient parler».

60 ans de mobilisation pour faire éclater la vérité
Expliquant ainsi que le cas de Maurice Audin – et contrairement à d’autres- aura réussi très tôt à marquer l’opinion publique française, notamment grâce à l’action de son épouse Josette Audin. «La disparition de Maurice Audin a marqué l’opinion parce que sa femme, son directeur de thèse de mathématiques ou des personnalités comme Pierre Vidal-Naquet, se sont mobilisés pour en parler».
Tout en mettant en exergue la portée de cette reconnaissance officielle de l’Etat français «tardive mais importante», la conférence aura aussi été l’occasion de poser la question des «autres disparus durant la guerre d’Algérie». L’historien, étant en ce sens l’un des animateurs du projet «1 000 autres» visant à faire connaître et à documenter les plus de 3 000 cas de personnes disparues à Alger en 1957, durant «la Bataille d’Alger».

Délicate question des disparus français

Lors de son intervention, l’historien mettra aussi en avant la question particulièrement «complexe» des soldats de l’armée française encore portés disparus. «En ce qui concerne les Français disparus durant la guerre, les chiffres sont connus. Etant donné que l’armée a tenu un décompte des morts au combat». Il explique, néanmoins, que la question des soldats portés disparus devrait être considérée avec attention. «Parmi eux, il y a plusieurs types de situation, dont les désertions d’appelés d’origine algérienne ou -et cela est peu connu – de soldats d’origine antillaise. Par ailleurs, il y a également eu des désertions dans la légion étrangère, où il y avait toute sorte de nationalités, dont des déplacés de la Seconde Guerre mondiale, ou des antifascistes allemands qui avaient fait le choix de l’engagement pour sauver leur vie». A ce titre, l’historien fait savoir que certains soldats français «portés disparus» avaient en fait pris la route du Maroc «avec le soutien du FLN».

L’Appel à témoins des «1000 autres»

Historien, connu pour ses travaux sur le colonialisme, Gilles Manceron fait également partie du projet «1 000 autres», officiellement lancé le 15 septembre dernier au travers d’un site Internet www.1000autres.org ayant connu «une forte fréquentation durant la première semaine de mise en ligne», confie-t-il.
A ce sujet, l’invité du SILA explique, également, que «nous avons reçu près d’une centaine de témoignages documentés, cela a permis d’ajouter des noms aux milliers que nous avons déjà publiés. Par ailleurs, cela a permis de documenter certains cas pour lesquels nous disposions déjà d’une fiche».
A propos du nombre exact des disparus à Alger durant la période de janvier à septembre 1957, il reste, selon l’historien, au stade d’une «estimation» et «d’un ordre de grandeur». Il rappelle à ce sujet que l’une des sources les plus étudiées pour ce dossier est le travail de Paul Teitgen, un membre de la préfecture d’Alger qui était en désaccord avec la répression coloniale. «Il avait établi un ordre de grandeur de près de 3 200 personnes, mais l’armée ne lui disait pas tout. Il travaillait à partir des demandes des familles ou des assignations à résidence. Mais cela demeure incomplet», souligne Gilles Manceron.

Nécessaire transparence sur les dossiers de la guerre d’Algérie
Lors de cette rencontre, l’historien spécialiste de la guerre de libération nationale mettra également à profit la tribune qui lui était offerte au SILA pour lancer un appel à «la prise en charge sérieuse et rapide» des principaux dossiers liés à la guerre d’Algérie. Il a également appelé à une plus grande transparence dans le traitement des dossiers liés à l’histoire de la guerre pour l’indépendance de l’Algérie, en estimant que «ce travail ne doit pas rester dans le secret des commissions mixtes algéro-françaises».
A cet effet, l’historien a appelé les sociétés civiles, algérienne et française, à continuer le travail de mémoire pour faire connaître «les massacres de masse commis par le système colonial» et les porter à la connaissance de l’opinion publique. L’auteur de «La triple occultation d’un massacre» (ouvrage dédié aux massacres d’Algériens, le 17 octobre 1961 à Paris) a indiqué que ce travail de mémoire doit se focaliser, après l’affaire Maurice Audin, sur les quatre principaux dossiers, selon lui, de cette période. Précisant que cela concerne «les disparus civils et militaires, français et algériens, la restitution des archives, la pleine reconnaissance des essais nucléaires et la restitution des crânes et restes humains des résistants algériens conservés en France».