Un mois après la présentation à l’APN des deux projets de loi portant respectivement sur l’exercice du droit syndical et la prévention, le règlement des conflits collectifs de travail et le droit de grève par le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale, la vague de protestation se renforce jour après jour avec le rejet de ces textes par les fédérations de l’UGTA et différentes autres organisations syndicales. Des syndicalistes ugétistes, qui considèrent qu’il y a un risque de perte de «tous les acquis» en matière de défense des droits des travailleurs, affirment ne pas vouloir être les «moins-disants syndicaux». Leur réveil commence même à nourrir un débat susceptible d’une mobilisation plus large.

Par Sihem Bounabi
Ainsi de plus en plus de voix s’élèvent pour appeler au retrait de ces deux projets de loi qui portent «atteinte aux acquis syndicaux», «au droit de grève» et qui sont «en contradiction avec la Constitution et les accords internationaux ratifiés par l’Algérie et les orientations du chef de l’Etat».
Le dernier appel en date est celui de la Fédération nationale des travailleurs de la mécanique, de la sidérurgie et de l’électroménager (FNTLSE) affiliée à l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA). Dans un communiqué daté du 9 février dernier, cette dernière renouvelle «l’exigence du retrait des projets de loi» sur l’exercice syndical et le droit de grève qui vont «à l’encontre des intérêts des travailleurs et réduisent les libertés de l’exercice syndical». Il est également dénoncé dans le communiqué le fait que «ces projets de loi sont rédigés sans la participation de l’UGTA». Estimant que cela prouve l’objectif de réduire les libertés du droit de l’exercice syndical en excluant l’organisation syndicale de la négociation et des débats quant à l’élaboration de cette loi. Il est également mis en exergue le fait qu’au-delà de toucher aux libertés de l’exercice syndical «certains articles présentent plusieurs restrictions pour les travailleurs», ajoutant que dans certains cas ils sont même exclus indirectement de tout moyen de défendre leurs droits.
La FNTLSE, affiliée à l’UGTA, tient également à souligner que dans le cas de soumission d’un nouveau projet de loi, «nous exigeons la présence de toutes les parties qui ont une relation étroite et directe avec ces lois» et cela «conformément à ce que le président de la République exige» en termes de dialogue social et d’inclure les partenaires sociaux dans la construction de la nation. Ainsi, cet appel vient s’ajouter à de nombreux autres.
Il est à noter que la centrale l’UGTA, qui a rejeté officiellement ces deux projets de loi, a également appelé à associer et à impliquer les syndicats et les partenaires sociaux dans un esprit de dialogue et de concertation dans l’élaboration de nouvelles lois ayant trait aux activités syndicales et aux relations de travail.
De même, ce dernier appel vient en écho à l’appel réitéré du front syndical à maintenir la pression pour le retrait de ces deux projets de loi et à élargir la mobilisation à tous les travailleurs et différentes franges de la société. Un appel de mobilisation qui prend une résonance amplifiée en perspective de l’anniversaire du 24 février, date hautement symbolique pour le mouvement syndical qui coïncide avec le jour anniversaire de la création de l’UGTA, mais aussi de la nationalisation des hydrocarbures.
Ainsi, en perspective de la date du 24 février, un collectif de syndicalistes et d’anciens syndicalistes, anciens membres de la Centrale syndicale notamment, travaillent à l’élaboration d’un texte qui sera proposé dans les prochains jours à la pétition. Dans ce document qui devrait être publié à l’occasion de cette date, il est notamment question de dénoncer les graves atteintes portées aux acquis syndicaux, fruits de longues années de luttes syndicales pour la défense des droits socioprofessionnels des travailleurs. Il s’agit également de dénoncer les tentatives de musellement des organisations syndicales au profit des intérêts des employeurs et du patronat.
Pour rappel, depuis plus de trois semaines, les organisations syndicales, qu’elles soient autonomes ou affiliées à l’UGTA, ont tous dénoncé d’une seule voix ces deux projet de loi jugés «liberticide» et «anticonstitutionnel» et «qui vont à «l’encontre des lois de la République quant à la liberté de l’exercice du droit syndical», «portent atteinte aux acquis des droits syndicaux des lois 90/14 et 90/02» et «une violation flagrante des traités internationaux ratifiés par l’Algérie dans ce domaine». Elles avaient également dénoncé le fait que ces deux projets de loi donnent de larges pouvoirs à l’administration et à l’employeur au détriment des représentants des salariés en appelant à la mobilisation générale non seulement de la base mais également de tous les travailleurs et des différentes franges de la société.
Dans un entretien accordé à Reporters, l’expert en relation de travail, Nouredine Bouderba, a affirmé qu’«il est clair que la mise en œuvre du contenu de ces projets aura pour principal effet de museler les syndicats et la société et d’annihiler toute capacité de résistance chez les travailleurs. Ce faisant, les conditions d’un passage en force des réformes recommandées par le FMI seront réunies». Il avait également pronostiqué l’impact douloureux de ces deux projets de loi sur la classe moyenne au-delà de la sphère syndicale en soulignant que si ces deux projets de loi sont adoptés, «in fine la précarité, la pauvreté et les inégalités socioéconomiques vont augmenter au moment où les détenteurs du capital national et étranger vont s’enrichir davantage. Cela se fera au détriment de la cohésion sociale et du développement économique et social réel». Raison pour laquelle l’expert a appelé le gouvernement à ouvrir un dialogue avec ses partenaires sociaux : «Le gouvernement devrait annoncer le retrait de ces projets de loi (ou leur gel dans une première étape) et d’engager avec les partenaires sociaux un véritable dialogue social dont le but sera de promouvoir le droit syndical et la négociation collective et non pas de les restreindre.» n