L’Espagne est passée à l’acte ! Depuis le mardi 28 juin, le gazoduc Maghreb-Europe (GME) a commencé à fonctionner dans le sens Espagne-Maroc. Dans la crainte de voir l’Algérie revoir selon son bon droit les clauses de la relation commerciale qui la concerne en tant que fournisseur du client espagnol, Madrid jure ses grands dieux qu’il respecte son contrat avec Alger et qu’il ne s’agit pas de gaz algérien, mais d’un produit acheté auprès de marchés internationaux puis regazéifié sur le sol ibérique. Faut-il croire le gouvernement Sanchez qui a opté stratégiquement pour un soutien aveugle à Rabat ? On peut en douter…
Depuis mardi, le gazoduc Maghreb-Europe (GME) a commencé à fonctionner dans le sens inverse, de l’Espagne vers le Maroc, alors que l’Algérie avait arrêté d’acheminer son gaz à destination du royaume ibérique au moyen du GME depuis fin octobre dernier, au lendemain de la rupture des relations diplomatiques entre Alger et Rabat. L’Espagne a tenté de justifier son acte, en assurant qu’il ne s’agissait pas de gaz algérien. «Sur la base des relations commerciales et du bon voisinage, hier (mardi) a eu lieu le premier envoi par le gazoduc du Maghreb de GNL (gaz naturel liquéfié) préalablement acquis par le Maroc sur les marchés internationaux et débarqué dans une usine de regazéification espagnole», ont indiqué à l’AFP des sources du ministère espagnol de la Transition écologique. Les mêmes sources ont précisé «qu’un procédé de certification garantit que ce gaz (acheminé d’Espagne vers le Maroc) n’est pas d’origine algérienne». L’Espagne avait annoncé en février qu’elle allait réexporter du gaz vers le Maroc via le GME, ce qui a provoqué les foudres d’Alger qui n’a pas hésité à brandir la menace de rompre le contrat de fourniture de gaz à l’Espagne si Madrid venait à acheminer du gaz algérien «vers une destination tierce». Le contrat gazier conclu par Sonatrach avec ses clients espagnols est codifié par la clause de destination qui stipule que le gaz acheminé par l’Algérie à destination du royaume ibérique ne peut être utilisé et/ou consommé par une partie tierce. Pour le moment, on ne connait pas exactement l’origine du gaz envoyé par l’Espagne au Maroc via le GME, mais le geste du gouvernement de Pédro Sanchez signifie clairement le renforcement de la position espagnole en faveur du royaume chérifien. Le royaume ibérique n’a pas hésité à soutenir les plans d’autonomie du Maroc pour le Sahara occidental, nageant ainsi à contrecourant des résolutions onusiennes en faveur d’un référendum d’autodétermination et des appels de la communauté internationale pour faire cesser les atrocités marocaines contre les populations sahraouies. Cette seconde trahison dont est victime le peuple sahraoui n’a pas manqué de faire des vagues ; le changement de position de l’Espagne en faveur du Maroc qui, plus tôt, avait conclu des accords de défense avec l’entité sioniste, a provoqué le courroux d’Alger. Cette décision d’acheminer du gaz à destination du Maroc, dans un contexte de tensions dans la région et au lendemain du massacre de Melilla, n’est pas non plus anodin.
Madrid tente de rassurer
Cette décision intervient également, alors que le président américain, Joe Biden, est attendu à Madrid pour une visite historique, coïncidant avec la tenue du sommet «espagnol» de l’Otan. Mais à quoi joue donc Pédro Sanchez après avoir rompu les équilibres diplomatiques dans la région ? Alger, par le biais du ministère de l’Energie, avait menacé de couper les vannes aux clients espagnols si le gaz acheminé par Sonatrach à destination du royaume ibérique ne respectait pas la clause de destination. «Toute expédition de gaz naturel algérien fourni à l’Espagne, dont la destination n’est pas celle prévue dans les contrats, sera considérée comme un manquement aux engagements contractuels et, par conséquent, pourra entraîner la résiliation du contrat qui lie Sonatrach à ses clients espagnols», a assuré le ministère de l’Énergie dans un communiqué daté du 27 avril, après que la ministre de la Transition écologique, Teresa Ribera, ait notifié par courrier la réouverture du Maghreb-Europe pour approvisionner Rabat. Pour le moment, il n’est pas encore confirmé que le gaz acheminé à destination du Maroc depuis mardi est d’origine autre qu’algérienne, même si la partie espagnole assure qu’il ne s’agissait pas du gaz algérien. Quoi qu’il en soit, ce procédé ne fait qu’envenimer davantage les relations entre Alger et Madrid, d’autant plus que cette décision confirme la position espagnole en faveur des politiques et des magouilles de Rabat dans la région. Le contexte choisi n’est pas fortuit. Alger n’est pas restée de marbre face à la volte-face espagnole ; Alger rappelant son ambassadeur en Espagne et Sonatrach n’excluant pas une révision à la hausse des prix de son gaz fourni à l’Espagne. L’Algérie a également suspendu début juin le traité de coopération avec l’Espagne, tandis que l’Association des banques et des établissements financiers (ABEF) a notifié aux banques de la place la décision de restreindre les transactions commerciales avec Madrid. Cette décision a mis en difficulté de nombreuses entreprises espagnoles, dont les produits étaient exportés essentiellement ou en grande partie à destination de l’Algérie. Pour le moment, Alger n’a pas encore réagi à la décision du gouvernement espagnol de faire fonctionner le GME dans le sens inverse afin d’alimenter le Maroc en gaz. Certainement, l’Algérie prendra le temps de vérifier que le gaz acheminé à destination du royaume alaouite n’est bel et bien pas d’origine algérienne. Dans le cas contraire, il s’agira d’un manquement flagrant aux clauses contractuels qui lient Sonatrach à ses clients espagnols. A ce moment-là, l’Algérie pourrait mettre à exécution ses menaces de rompre son contrat gazier avec l’Espagne.