Constat choc du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) de l’ONU : les humains sont « indiscutablement » responsables des dérèglements climatiques de plus en plus observés dans la planète. Le réchauffement de
la planète pourrait atteindre le seuil de +1,5°C autour de 2030, soit dix ans plus tôt que l’ancienne estimation. Le phénomène menace de nouveaux désastres « sans précédent » l’humanité, déjà frappée par des canicules et des inondations en série.
Synthèse Selma Allane
Le rapport d’évaluation du Giec, publié le lundi 9 août, est le premier depuis sept ans. Adopté vendredi 10 août par 195 pays, il passe en revue cinq scénarios d’émissions de gaz à effet de serre, du plus optimiste, utopiste, disent certains experts, à l’hypothèse du pire.
Dans tous les cas, y est-il affirmé, la planète devrait atteindre le seuil de +1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle autour de 2030, dix ans plus tôt que la précédente estimation du Giec en 2018. D’ici 2050, la hausse se poursuivrait bien au-delà de ce seuil même si le monde parvenait à réduire fortement les émissions de gaz à effet de serre. Si ces émissions ne sont pas drastiquement réduites, les +2°C seront dépassés au cours du siècle.
Ce qui signerait l’échec de l’Accord de Paris (COP 21) en 2015 et son objectif de limiter le réchauffement « bien en-deçà » de +2°C, si possible +1,5°C, selon les analystes qui espèrent un sursaut au sommet sur le climat à Glasgow (COP 26) en novembre prochain.
L’unique choix, selon eux, est de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre, si on veut limiter les dégâts dont les conséquences sont déjà à l’œuvre, encore plus cet été, avec les images de flammes ravageant l’Ouest américain, la Grèce ou la Turquie, des flots submergeant des régions d’Allemagne ou de Chine, ou un thermomètre qui frôle les 50°C au Canada.
« Si vous pensez que ça, c’est grave, rappelez-vous que ce que nous voyons aujourd’hui n’est que la première salve », commente pour l’AFP Kristina Dahl, de l’organisation Union for Concerned Scientists. Même à +1,5°C, les canicules, inondations et autres événements extrêmes vont augmenter de manière « sans précédent » en matière d’ampleur, de fréquence, d’époque de l’année où elles frapperont et de zones touchées, prévient pour sa part le Giec. Son rapport devrait « faire froid dans le dos à quiconque le lit (…) Il montre où nous en sommes et où nous allons avec le changement climatique : dans un trou qu’on continue de creuser », commente encore pour l’agence de presse le climatologue Dave Reay.
Face à cet avenir apocalyptique, les appels à agir se multiplient et tous les regards se tournent vers Glasgow. « Nous savons ce qu’il faut faire pour limiter le réchauffement de la planète, reléguer aux oubliettes le charbon et passer à des sources d’énergie renouvelables, protéger la nature et financer le climat », a réagi le Premier ministre britannique Boris Johnson, dont le pays accueillera la COP26. « Nous ne pouvons pas attendre (…) Tous les pays doivent prendre des mesures courageuses », a rétorqué l’envoyé spécial américain pour le climat John Kerry, tandis que la Commission européenne assurait qu’il n’est « pas trop tard pour endiguer la tendance ».
« Pas de place pour les excuses »
« Il n’y a pas le temps d’attendre et pas de place pour les excuses », a insisté Antonio Guterres, réclamant que la COP 26 soit un « succès », après cette « alerte rouge pour l’humanité » lancée par le Giec. Mais à ce stade, seule la moitié des gouvernements ont révisé leurs engagements d’émissions de gaz à effet de serre. La précédente série d’engagements, prise dans la foulée de l’Accord de Paris de 2015, conduirait à un monde à +3°C, si elle était respectée, mais au rythme actuel, le monde se dirige plutôt vers +4°C ou +5°C, mentionnent les experts. Se pose également la question de l’attitude des grands pays industrialisés face à des pays émergents ou en développement qu’on appelle à faire des efforts pour diminuer l’empreinte carbone à l’échelle mondiale avec des conséquences certaines sur leurs modèles économiques alors qu’ils ne polluent pas autant.
Au milieu des sombres projections, le Giec apporte malgré tout un espoir auquel se raccrocher. Dans le meilleur scénario, la température pourrait revenir sous le seuil de 1,5°C d’ici la fin du siècle, en coupant drastiquement les émissions et en absorbant plus de CO2 qu’on en émet. Mais les techniques permettant de récupérer le CO2 dans l’atmosphère à large échelle sont toujours à l’état de recherche, note le Giec. Et certaines conséquences du réchauffement sont de toute façon irréversibles », insiste le rapport. Sous l’influence de la fonte des glaces polaires, le niveau des océans va continuer à augmenter pendant « des siècles, voire des millénaires ». La mer, qui a déjà gagné 20 cm depuis 1900, pourrait encore monter d’environ 50 cm d’ici 2100, même à +2°C.
Pour la première fois, le Giec souligne, également, « ne pas pouvoir exclure » la survenue des « points de bascule », comme la fonte de la calotte glaciaire de l’Antarctique ou la mort des forêts, qui entraîneraient le système climatique vers un changement dramatique et irrémédiable.
Pour espérer limiter le réchauffement à +1,5°C, il faudrait réduire chaque année les émissions de 7,6% en moyenne, entre 2020 et 2030, selon l’ONU. Et si 2020 a vu une baisse de cette ampleur en raison de la pandémie, un rebond est attendu. Deux autres volets de l’évaluation du Giec doivent être publiés en 2022.