Reporters : L’ancien vice-chef de l’APN a dévoilé devant le juge un système d’achat de places dans les listes électorales du FLN lors des législatives de 2017. De telles déclarations vous surprennent-elles ?
Rachid Grim : Sincèrement, cela n’est pas surprenant. On le savait depuis une dizaine d’années que les places se vendaient. Toutes les élections, que cela soit ou niveau des APC ou de l’APN, et c’était de notoriété publique que les places se vendaient. Sauf qu’avec les révélations sur les législatives de 2017, on se rend compte que le prix faramineux des places a atteint des proportions extraordinaires. Même si le prix a atteint une intensité hallucinante, la réalité est que le système FLN a toujours fonctionné de cette manière.
Quelles sont, selon vous, les conséquences sur l’avenir du parti ?
Il ne s’agit pas seulement de l’avenir du FLN, mais de l’avenir des partis qui étaient au pouvoir, à l’exemple du RND, qui sont dans la même situation. Actuellement, ils sont en train de bouger pour essayer de se redonner une place avec la réunion du Sénat et de l’APN autour de la question de la nouvelle Constitution. Mais, à mon avis, le FLN et le RND sont deux partis qui sont morts et ils ne risquent pas de reprendre. La seule manière pour qu’ils puissent ressusciter en tant que partis, c’est la reprise des anciennes méthodes où ce sont des structures qui sont créées par le pouvoir qui les font vivre. C’est la seule manière pour qu’ils puissent gagner des élections. Mais à mon avis ces mécanismes sont obsolètes à l’heure actuelle. Je ne pense pas que l’on puisse revenir à ce genre de pratiques. Je pense qu’actuellement le pouvoir essaye de réfléchir à créer un pôle de partis qui se réunit et qui créera une structure nouvelle qui ne sera ni FLN ni RND. Il semblerait même que les choses sont en train d’avancer dans ce sens.
Pensez-vous que l’actuelle direction est capable de lui redonner une crédibilité perdue depuis longtemps ?
Non, ils ne peuvent relever ce défi car ce sont les mêmes personnes. La seule chose qui puisse donner de la crédibilité au FLN, c’est sa dissolution en tant que parti. Actuellement, le FLN doit disparaître. Pour résumer, à mon avis, en tant que parti il est mort et il ne sera plus jamais crédible. La place du FLN est au musée.
Des voix demandent justement la remise du sigle FLN au patrimoine et à l’histoire nationale. Qu’en pensez-vous ?
Je suis tout à fait d’accord, le FLN ne devait pas exister après 1962 en tant que parti politique. Il devait rester le symbole de la lutte du peuple algérien pour son indépendance. Il s’agit de garder le FLN tel qu’il était pendant la guerre de libération nationale, c’est le FLN d’Abane Ramdane. Après 1962, il est devenu un appareil de pouvoir avec des mécanismes dont je m’abstiendrais de donner certains qualificatifs. Mais le fait est, qu’aujourd’hui, plus que jamais, la place du FLN est au musée.
Quelles sont, selon vous, leurs conséquences sur le paysage politique national ?
Les conséquences sur le paysage politique national, c’est justement cette création d’un autre pôle ou parti du pouvoir. Soit un front soit une alliance, une structure sur laquelle le chef de l’Etat va s’appuyer. Car je suppose que l’APN et le Sénat vont être dissous et on partira sur de nouvelles élections législatives avec ce nouveau parti qui sera créé et qui sera celui du pouvoir.
Qu’en est-il de la majorité actuelle au Parlement ? Quel avenir ont ses formations dans le contexte actuel ?
Dans le contexte actuel, on va certainement utiliser ces partis qui sont à l’APN pour la feuille de route du Président. Cette feuille de route, c’est d’abord la Constitution qui doit passer en premier par l’APN et ensuite, en référendum. Une fois que le référendum sera lancé, on n’aura plus besoin de ces formations et donc on va aller vers la dissolution de l’APN. Cette dissolution implique que les partis sont capables de renaître de leurs cendres. Cela serait vraiment étonnant, car ils n’ont pas de base réelle au niveau des citoyens. Ce ne sont que des appareils qui, une fois lâchés par le pouvoir et par l’Etat, sont voués à la mort. Mais un politicien essaye toujours de retomber sur ses pieds et, certainement, chacun d’eux va essayer d’aller dans une autre structure. Mais dans le contexte actuel, l’APN et le Conseil de la nation seront fort probablement dissous ou peut-être aller vers la fin de leur mandat de cinq ans.
L’impression générale est que c’est l’ensemble du paysage politique national qui est en ruine, aujourd’hui, y compris les formations d’opposition qui semblent frappées d’épuisement. Dans ce contexte, on parle de législatives, peut-être après le référendum sur la Constitution… Comment aller vers ces législatives dans ces conditions ?
Lorsqu’on réfléchit sainement, ces partis, que ce soit ceux dits démocratiques tels que le RCD ou le FFS, et certains autres, ou même les partis islamistes, ils sont tous déconsidérés.
Simplement, il reste des structures qui sont toujours là, qu’on le veuille ou non. En plus, avec la probabilité de la création d’un «nouveau parti» ou une coalition qui soutiendrait le Président de la République, il y aura quelque chose de mis en place pour ces législatives. Mais cela ne sera pas un dispositif réellement structuré entre partis de pouvoir/partis d’opposition, partis démocrates/partis islamistes. Mais pour parer au plus pressé, probablement, il y aura un ou deux partis de chaque pôle qui va se présenter aux législatives en plus du nouveau parti qui sera certainement créé. Par conséquent, un semblant de vie politique va se créer et il y aura toute une mandature pour que les choses soient activées un petit peu. Mais tant que la société civile ne s’implique pas dans la vie politique, ces partis seront encore des structures qui sont loin de la réalité, de la vérité et loin des citoyens. Je pense que la chance de l’Algérie, c’est cette société civile qui réfléchit et qui se bat pour sauver le pays. J’espère que l’Etat sera à son écoute et l’impliquera dans le processus.
Au final, comment percevez-vous l’avenir et quelles seraient les solutions dans le contexte actuel que traverse l’Algérie ?
Je pense que le pouvoir a compris, aujourd’hui, qu’il faudrait reprendre petit à petit une vie normale, en allant un pas après l’autre. Et ceci en commençant par la Constitution, puis ce sera au tour des législatives pour une nouvelle APN, jusqu’à relancer une nouvelle dynamique politique afin de gagner la confiance des citoyens.
Mais l’urgence, maintenant, est surtout économique. Si l’Etat ne se retrousse pas les manches et ne se met pas à travailler rapidement face aux vrais problèmes qui est celui de l’économie, c’est le FMI qui nous attend et on risque de se retrouver dans la même situation économique que dans les années 1990. Il semblerait que l’Etat a lancé un Plan de relance économique mais l’urgence est une stratégie globale, dont les résultats concrets doivent être rapides. Il faut que le pouvoir prenne conscience que le peuple algérien peut se montrer résiliant car il a habitude de souffrir, mais à condition que ce peuple puisse avoir confiance en la bonne foi de ses dirigeants. Il est important que le pouvoir comprenne que pour ne pas aller droit dans le mur, l’Etat doit retrouver sa crédibilité et la confiance du peuple, c’est la seule manière de semer l’espoir pour relever et faire avancer l’Algérie.