Propos recueillis par AMIROUCHE YAZID
Reporters : Les autorités publiques et le corps médical se plaignent du faible taux de vaccination, alors que les contaminations sont en hausse. Y a-t-il une barrière psychologique qui expliquerait la non-adhésion des Algériens à la campagne de vaccination ?
Fatima Zohra Sebaa-Delladj : Les autorités publiques et le corps médical se plaignent, dites-vous ? Ils devraient lancer des études, sondages et consultations auprès de toutes les populations de notre vaste pays pour comprendre et analyser cette résistance et s’y attaquer. Connaître les raisons de cette résistance et les croyances ou les convictions qui la fondent. Ils peuvent le faire et ils en ont les moyens. On ne peut toujours tout décider au sommet à partir de suppositions ou conjonctures et faire en sorte que la population suive automatiquement. Surtout quand cela touche à la vie des personnes, à leur corps, objet intime, et à leur santé. La «barrière psychologique» est brandie par toute personne se sentant en danger ou ne comprenant pas ce qu’on lui demande, notamment lorsque les informations fournies par les officiels sont souvent approximatives, voire contradictoires. Comment voulez-vous qu’un citoyen soit rassuré, quand il se hasarde à demander à une jeune infirmière chargée de lui injecter le vaccin, si elle est elle-même vaccinée et qui lui répond en riant «non… et je ne le ferai pas !» Il y a donc de fortes chances que cette personne ne revienne pas pour la seconde dose. Ainsi, le travail de sensibilisation, voire de conscientisation, est à mener également en direction du personnel soignant. La barrière psychologique se situe à divers niveaux et les leviers de résistance sont multiples.

Peut-on parler d’une crise de confiance et de défiance vis-à-vis de la campagne de vaccination ou s’agit-il d’une incompréhension due à un manque d’information, d’autant plus que nous constatons que les informations diffusées par les médias et les réseaux sociaux peuvent influencer les comportements de la population vis-à-vis des menaces sanitaires ? Faudrait-il s’attaquer plus directement aux nombreuses fausses informations qui circulent sur la dangerosité des vaccins ?
En fait, c’est un peu tout ça. Crise de confiance et de défiance, car trop d’informations non maîtrisées, incontrôlées et souvent incomplètes, angoissent et amènent les individus à penser que la seule liberté qu’il leur reste est de dire non à tout ce qu’on peut leur proposer. Pour informer, il faut savoir écouter et répondre de manière intelligente aux questionnements posés. Qu’est-ce que cela veut dire ? L’information donnée doit cibler des populations précises avec leur propre mode de communication, leur langage, leurs attitudes, etc. Les agences publicitaires savent bien le faire. Il n’y a pas une information pour tous de la même manière, surtout si on veut convaincre, et avec le même langage. Penser également à d’autres vecteurs d’informations. Il est vrai que le ministère de la Santé et certains autres secteurs sont directement concernés, mais l’information directe faite par des citoyens lambda, des jeunes aux jeunes, des femmes à d’autres femmes au foyer, etc. peut avoir des résultats plus prégnants car le citoyen s’y reconnaît et adhère plus facilement. Mais il reste, bien entendu, que cela ne doit pas être effectué par le moyen de «spots» préfabriqués, non sincères et démagogiques. Les associations qui sont effectivement sur le terrain peuvent encadrer ce travail de sensibilisation. Le travail à l’intérieur des cercles domestiques, scolaires ou sportifs est également décisif. Une information de proximité qui a l’allure plus crédible et qui contribue à démêler les parts du vrai et du faux sur cette supposée dangerosité du vaccin. Les arguments d’un membre de la famille, d’un proche ou d’un adhérent au même cercle, sont plus convaincants que des rumeurs ou des informations provenant de sources occultes.

Le ministre de la Santé a regretté récemment le faible taux de vaccination enregistré dans certains secteurs notamment l’éducation, l’enseignement supérieur, la santé qui n’ont pas dépassé les 20 %. Comment peut-on expliquer cette situation ?
Il peut y avoir plusieurs éléments de compréhension de cette situation. Premièrement, les secteurs que vous citez sont censés représenter et regrouper les citoyens les plus éclairés, les plus conscients et les plus avertis sur ce type de situation sanitaire, ou du moins, ceux qui sont à même d’y réfléchir sainement et d’organiser des débats en leur sein pour comprendre, analyser la situation sanitaire et proposer des recommandations. Ce n’est pas tout le temps le cas. Car ces secteurs, comme toute la société, sont traversés par des courants, des croyances et des opinions contradictoires. Et c’est précisément pour cela qu’on ne peut pas considérer d’emblée ces secteurs comme des fers de lance pour entreprendre des campagnes de sensibilisation ou seulement pour se faire vacciner eux-mêmes. Comme ils ne sont pas plus préparés que le reste de la population pour comprendre la résistance à ce vaccin et les peurs qu’il suscite. Deuxièmement, il faut savoir que les statistiques ont leur importance et impactent les lectures faites du phénomène. Si comme vous le dites, ces secteurs n’ont pas dépassé les 20% du taux des vaccinés, qu’en est-il des autres secteurs ? Le taux est moindre, je suppose. Donc, le citoyen, à la lecture de ces chiffres, sa réponse va être immédiate, si le secteur de la santé n’arrive pas à un taux de vaccination important, c’est parce qu’ils savent que ce vaccin est dangereux ! A ce propos, dans de nombreux pays européens, on n’hésite pas à obliger le personnel de la santé à se faire vacciner, quitte à bloquer les salaires pour les récalcitrants. On peut se demander pourquoi ils obligent ce type de personnel à se faire vacciner… mais toujours est-il que chez nous cette obligation n’est pas encore à l’ordre du jour.

Comment voyez-vous l’instauration du pass sanitaire visant à pousser les gens à se faire vacciner ?
Personnellement, j’adhère à cette option. Nous croisons tellement de personnes inconscientes, négligentes et qui mettent notre vie et celle de nos concitoyens en danger qu’il n’y a aucun état d’âme à avoir. Il est vrai qu’ils sont libres de gérer leur santé comme ils l’entendent, mais leur liberté de se vacciner ou pas s’arrête là où commence le danger pour la santé des autres. Maintenant, si pass sanitaire il y a, il faut le faire respecter et surtout veiller à ce que la loi ne soit pas transgressée. Notamment par la circulation de faux pass obtenus de différentes manières ou par la corruption d’agents en charge de faire respecter la loi. Enfin, ce pass doit s’inscrire dans tout un ensemble cohérent et faire partie d’un dispositif sanitaire global. Ce qui n’est, hélas, pas encore le cas.