Malgré une situation épidémique stressante, l’annonce de l’imposition du pass vaccinal pour l’accès à plusieurs espaces et édifices publics, ainsi que le respect du protocole sanitaire, dont le port du masque et la distanciation physique, sur le terrain les mesures de protection contre la propagation du coronavirus ont du mal à se mettre en place. Et chacun y va de son argument !

Par Sihem Bounabi
En effet, il suffit d’un petit tour dans les artères d’une ville de la banlieue d’Alger pour se rendre compte, qu’entre l’annonce et sa concrétisation, il y a du chemin à faire. Dans la rue, même si on remarque une légère augmentation des personnes portant un masque par rapport aux jours précédents le rebond des infections et la détection du variant Omicron, en Algérie, force est de constater que les personnes déambulant sans masque et en groupe restent majoritaires, comme nous avons pu le constater du côté de Baba Hassen. Au niveau de la placette centrale, sur les bancs on voit des personnes âgées assises à proximité de groupes de jeunes « non masqués » sirotant avec nonchalance un café…
Au niveau d’une salle de sport, l’atmosphère est tout autre ; dès l’entrée, le gel hydraulique est proposé ainsi que le port du masque. Au niveau de l’accueil, le manager nous confie à propos du pass vaccinal : « Nous avons entendu l’annonce dans les médias, mais, concrètement, on ne sait pas comment cela va se passer, nous n’avons eu aucune directive pour le moment. » Il tient à souligner, toutefois, que la majorité des personnes qui sont inscrites au niveau de sa salle de sport sont vaccinées. Ce n’est pas évident de pratiquer une activité sportive en portant un masque, et par nature, ce sont des personnes qui prennent soin de leur corps. D’un autre côté, après avoir subi la fermeture durant de longs mois, le propriétaire des lieux est très vigilant sur le protocole sanitaire. Au niveau des commerces, le respect du protocole sanitaire est mitigé. Dans une supérette, seules quelques personnes portent un masque malgré l’affiche l’exigeant à l’entrée. Le caissier, portant lui-même un masque, explique que « ces derniers temps, on a arrêté d’exiger aux clients le port du masque. Nous avons ouvert récemment et la plupart de nos clients ne portent pas de masques et on doit longuement palabrer avec eux. Au début, il m’arrivait de donner un masque gratuitement pour les plus récalcitrants mais, ensuite, j’ai arrêté car je suis un commerçant avant tout et je propose des masques à la vente à un prix raisonnable. C’est au client de prendre soin de sa santé ». Il explique également que pour se protéger et protéger sa famille, il s’est fait vacciner, d’autant qu’il est en contact régulier avec des clients qui font fi des règles sanitaires.
Dans un autre magasin, situé au centre-ville, la responsable ainsi que ses employées ne portent pas de masque. Elle explique que depuis la troisième vague, l’été passé, qui a touché beaucoup de monde dans son entourage, elle s’est vaccinée et l’a imposée à ses employées : « Je suis fatiguée à chaque fois de batailler avec certaines personnes pour mettre le masque avec le risque de perdre des clients. Et plus sincèrement, c’est pénible pour moi et les vendeuses de le porter à longueur de journée. La meilleure manière de se protéger, c’est de se faire vacciner, et j’ai obligé mes vendeuses à le faire si elles voulaient continuer à travailler ici. »
Cette attitude mitigée face au vaccin contre la Covid et le respect du protocole sanitaire est encore plus surprenante au niveau du siège de l’APC, un édifice public qui accueille beaucoup de monde. Dans la grande salle des services d’état civil, il y a une trentaine de personnes au niveau des différents guichets dont la moitié était sans masque. En effet, l’agent placé à l’entrée de l’APC laisse entrer les personnes avec ou sans masque, alors qu’il y a à peine quelques mois le même agent interdisait l’accès aux personnes sans masque de protection. Même au niveau des files d’attente la distanciation physique n’est pas respectée. A part deux ou trois personnes se tenant en retrait. Une fois la discussion sur le pass vaccinal enclenchée et le port du masque, les langues se délient pour faire passer le temps. Deux camps se distinguent, d’un côté, ceux qui insistent sur l’importance de respecter le port du masque et, de l’autre, les défaitistes qui se disent fatigués des mesures du protocole sanitaire. Ils connaissent des personnes qui le respectent strictement et qui sont tombées malades, alors à quoi bon dépenser de l’argent inutilement pour le gel et les masques, et préfèrent s’en remettre au destin.
Concernant la vaccination, les avis aussi sont partagés, certains se sont fait vacciner une première fois, mais ont raté le deuxième rendez-vous, faute de temps. D’autres affirment avec conviction que la vaccination n’a aucun effet et risque même de compliquer l’état de santé. Ceux qui sont pour la vaccination tentent de convaincre avec les arguments des professionnels de la santé rapportés par les médias, avec l’exemple des pays occidentaux ou même arabes, comme le Qatar, ce à quoi les plus défaitistes répliquent : « Le vaccin c’est pour les riches, ceux qui voyagent, qui vont dans les salles de spectacles, dans les salles de sport et les séminaires. Moi, tout ce qui m’importe, c’est de boucler mes fins de mois sans me saigner pour faire manger ma famille et payer mes factures. »
Face à ce dialogue de sourds, une personne, restée en retrait, soupire et confie : « Tant que les Algériens ne prennent pas conscience de la gravité de la situation que nous traversons à cause du coronavirus, il sera difficile de s’en sortir et, malheureusement, on devra encore compter nos morts. »
Finalement, malgré les discours officiels et les alertes lancées par les professionnels de la santé sur l’impératif de se faire vacciner contre la Covid et le respect des gestes barrières, la réalité sur le terrain est que seule une minorité respecte les consignes au pied de la lettre. En attendant des éclaircissements sur les modalités de la mise en place du pass vaccinal, il faudrait encore du temps ou un nouveau tour de vis, ou, pire, que le virus fasse plus de ravages pour que les Algériens aillent se faire vacciner massivement.