La dernière étape dans le cadre de la récupération des entreprises des hommes d’affaires en détention vient d’être franchie pour certaines entités. C’est désormais acté. Six entreprises passent désormais dans le giron de l’Etat qui les met sous la tutelle de groupes publics et concernent celles appartenant aux ex-hommes d’affaires Ali Haddad, Ahmed Mazouz et les frères Kouninef, dont les biens ont été saisis par la justice après un jugement définitif.

PAR INES DALI
Cette opération, annoncée fin 2021, a nécessité plusieurs mois avant de connaître un dénouement et permettre aux entreprises à l’arrêt de reprendre leurs activités, après décision des autorités de les transformer en filiales appartenant à différents groupes publics, en fonction du secteur d’activité. Si cette opération est salutaire pour sauver les entreprises et les postes d’emploi, les spécialistes estiment néanmoins qu’une autre solution aurait pu être trouvée, soulignant que le rôle de l’Etat est la régulation et le contrôle.
Le Conseil des participations de l’Etat a décidé de transférer l’usine d’huiles alimentaires du Port d’Alger appartenant aux frères Kouninef, propriétaires du groupe KouGC, au complexe public Agro-industrie (Agrodiv). La même décision a été prise pour l’usine de traitement des graines oléagineuses située dans la wilaya de Jijel, qui appartenait également aux frères Kouninef.
Le groupe Agrodiv reçoit également sous sa tutelle l’usine de sucre sise à Khemis El Khechna, dans la wilaya d’Alger, propriété de l’homme d’affaires Ahmed Mazouz. Quant à l’entreprise d’eau minérale Ngaous, du même homme d’affaires, elle a été transférée au groupe public Madar.
Concernant l’entreprise de tubes d’acier implantée à Berthioua, dans la wilaya d’Oran, appartenant à Ali Haddad, elle devient la propriété du groupe public IMETAL spécialisé dans les Industries métallurgiques et sidérurgiques.
Ces mesures permettront d’éviter la fermeture des entreprises, de relancer la production et de maintenir les postes d’emploi. C’est dans ce sens que s’est exprimé le ministre de l’Industrie, Ahmed Zeghdar, jeudi dernier. Il a indiqué que son département accorde «un grand intérêt à la relance de toutes les entreprises dont l’activité est à l’arrêt, notamment les entreprises publiques économiques et celles confisquées par décisions de justice définitives et dont les propriétaires sont poursuivis pour des affaires de corruption». Cela permettrait à des milliers de travailleurs qui se sont retrouvés sans salaire du jour au lendemain de retrouver une certaine stabilité après la remise en activité des entreprises qui les employaient. Des mesures sont annoncées dans la loi de finances complémentaire (LFC) pour 2022, l’article 33 ouvrant droit aux travailleurs des entreprises des oligarques dissoutes, à la suite de jugements définitifs décidant la saisie des biens de ces hommes d’affaires, à une indemnisation, au rachat des cotisations sociales, à l’allocation chômage et à la retraite anticipée.
La remise en acticité desdites entreprises est une opération qui a débuté en 2021 et qui se poursuit. Dans ce registre, le ministre de l’Industrie a rappelé que «51 unités et entreprises à l’arrêt ont été recensées, dont 35 ont vu leurs activités relancées parmi lesquelles 10 sont entrées dans la phase d’exploitation». Le nombre de postes de travail est de 5.177 dans les 35 entreprises relancées. Concernant les autres entreprises, il est prévu qu’elles puissent reprendre leur activité la fin de l’année 2022, a-t-il ajouté.
Pour leur part, les spécialistes en questions économiques, même si la récupération des entreprises des oligarques qui permet la relance de la production nationale et la préservation des postes d’emploi leur semble louable, il n’en demeure pas moins qu’ils se demandent pourquoi faut-il qu’elles deviennent des entreprises publiques et n’a-t-on pas proposé une autre solution, comme permettre leur reprise par des hommes d’affaires intègres. Pour eux, le message lancé est que l’Etat veut rester un Etat producteur. «Ce qui est à contresens des règles de l’économie de marché», estiment-ils, car «la logique voudrait que l’Etat se déleste progressivement de ses actifs industriels». Bien sûr que cela ne devrait pas être fait «n’importe comment», mais «l’orienter au profit de professionnels privés intègres avec des garde-fous serait la solution». En fait, le rôle de l’Etat est de «contrôler pour réguler le marché et non de produire», affirment-on.
Les économistes, qui ont pris note des déclarations du ministre de l’Industrie, apportent leur éclairage concernant les actifs des groupes publics et ceux des oligarques récupérés par l’Etat, au nombre de 51 entreprises dont 10 sont entrées en exploitation. «Il faut savoir que les actifs industriels des oligarques ne sont pas négligeables, en particulier, les raffineries d’huile des frères Kounninef et tuberie, cimenterie et projet d’aciérie d’Ali Haddad. Mises en exploitation, elles permettraient de contribuer à la hausse de la croissance du pays. Encore faut-il une vision stratégique de l’évolution de ces entreprises et l’ingrédient d’un bon management de ces actifs. Ce qui n’est pas évident aujourd’hui», estiment-ils en outre.
L’autre point soulevé concerna la production du sucre. Avec la mise en production prochainement des raffineries d’huile de table à Alger, Jijel, Oran, Tipasa et Mascara, «les besoins du marché estimés à 1 600 tonnes par jour seront totalement couverts», rappellent-ils en s’appuyant sur les déclarations récentes du ministre du Commerce. Dans ce cas, pourquoi ne permet-on pas «l’exportation de l’excédent produit» ?, se demandent-ils encore. n