La consécration du film «Papicha» de Mounia Meddour, dans la soirée de vendredi dernier, en remportant le César du meilleur premier film et César du meilleur espoir féminin, pour la comédienne Lyna Khoudri, lors de la 45e cérémonie des Césars en France, relance sur le devant de la scène cette situation paradoxale où les talents du cinéma algérien brillent et sont reconnus à l’étranger au moment où ils font face à des situations ubuesques en Algérie.

En recevant son prix, la réalisatrice algérienne, digne fille de son père, le réalisateur Azzedine Meddour, a déclaré qu’«il m’a fallu énormément de courage pour me décider à raconter cette histoire personnelle, qui est douloureuse aussi, mais qui était nécessaire. C’est un témoignage important du combat des femmes en Algérie, du combat des femmes de façon générale». Cette Algérie qu’elle porte dans son cœur, la réalisatrice la célébrera lors de cette 45e cérémonie des Césars en ajoutant lors de son discours de remise de prix « Merci de nous remercier de l’autre côté de la Méditerranée. Et je dirais One, two, three, Viva l’Algérie». Une Algérie où elle est née, a grandi et a étudié jusqu’à sa première année de journalisme à l’université, mais qu’elle a dû quitter, dans les années quatre-vingt-dix, parce que son père réalisateur était menacé de mort par les terroristes islamistes. Ce sont ces souvenirs d’étudiante dans l’Algérie des années quatre-vingt-dix qu’elle raconte sur grand écran. Lors de cette cérémonie, Mounia Meddour a également tenu à remercier le délégué général du Festival de Cannes, Thierry Frémaux, qui a « permis au film de vivre comme il vit aujourd’hui» . Pour rappel, c’est lors du Festival de Cannes, dans la section « Un certain regard », que le film s’est fait connaître au mois de mai dernier, salué par un standing ovation lors de sa projection. Le film s’est fait aussi connaître suite au Buzz créé par les photos de l’équipe féminine du film qui a défilé sur le tapis rouge cannois avec les fameux pins « Yetnahaw Ga3». Rappelons que « Papicha » a ensuite été récompensé par trois prix au Festival du film francophone d’Angoulême. Toutefois, l’avant-première du film en Algérie prévue le 21 septembre dernier, qui devait être suivie par une sortie nationale dans plusieurs salles le 22 septembre, a été annulée au dernier moment sans aucune explication de la part du ministère de la Culture. Le long métrage est depuis distribué dans plusieurs pays en Europe, chez nos voisins maghrébins et même aux Etats-Unis, mais toujours pas en Algérie. Il est à noter qu’à ce jour, le ministère de la Culture n’a donné aucune explication officielle à ce qui est considéré comme une censure du film en Algérie. Belkacem Hadjadj, coproducteur algérien du film, avait récemment confié que jusqu’«à aujourd’hui, personne n’a donné d’explication à cette interdiction de la projection du film en Algérie », ajoutant qu’« on suppose que c’est un excès de zèle d’un bureaucrate et que personne ne veut assumer cette interdiction ».

Problématique de la visibilité des films algériens en Algérie
Par ailleurs, à propos de la consécration de « Papicha » à la cérémonie des Césars et l’absence de sa distribution en Algérie, contacté par téléphone, le réalisateur Karim Moussaoui, nous déclare : « Je suis ravi pour Mounia Meddour. Encore, une fois le cinéma algérien démontre qu’il peut briller sur la scène internationale.» Il nous confie, toutefois, qu’il n’a pas encore vu le film et donc il ne peut pas donner son avis de professionnel. Enchaînant qu’« aujourd’hui, il reste à trouver des solutions pour que les films algériens soient visibles», estimant qu’«on ne laisse toujours pas le public algérien décider de ce qui est bon et de ce qui n’est pas bon à voir ».
Karim Moussaoui conclut que « j’aimerais qu’on puisse arriver à un point où les films faits par des Algériens brillent d’abord chez nous avant de briller à l’extérieur. Pour le moment, il n’y a aucun signe pour dire que les choses vont s‘améliorer ». De son côté, la réalisatrice Yasmine Chouikh, membre de l’Association des producteurs du cinéma (Apac), nous déclare que «je suis très fière de la réussite de Mounia Meddour à faire son film», enchaînant que « chaque film a ses propres joies et ses propres déceptions.
Je pense que cette consécration est une des joies du film d’être reconnu par les professionnels du cinéma français, sachant que de nombreux nouveaux films sortent chaque année en France ». Yasmine Chouikh, réalisatrice de « Jusqu’à la fin des temps », primée dans de nombreux festivals internationaux, ajoute à propos de la consécration du long métrage de Mounia Meddour : « Le fait que le film a réussi à remporter le prix de la meilleure œuvre et aussi celui de l’espoir de l’interprétation féminine prouve que le potentiel de talents algériens existe. » Estimant ainsi que « c’est un film fait par une Algérienne et parle d’une histoire algérienne qui se déroule en Algérie et c’est dommage que les citoyens algériens n’ont pas accès à ce film pour des raisons qui ne sont pas clarifiées ». Yasmine Chouikh soulève ainsi la problématique qu’« en Algérie, on reconnaît le succès quand il vient d’ailleurs et c’est dommage. Car, si on avait consacré une belle sortie du film en Algérie, il aurait connu le succès chez nous, ensuite ailleurs ».
Fort de ce constat, la réalisatrice algérienne membre de l’Apac préfère terminer sur une note d’espoir en confiant qu’« on espère, aujourd’hui, suite au renouveau qu’il y a dans tout le pays, que l’on pourra arriver à faire en sorte que les Algériens puissent voir des films qui sont faits par des Algériens et qui parlent d’eux ».
Au final, notons qu’au moment où nous mettions sous presse, il n’y a pas eu de réaction officielle de la part ni du ministère de la Culture, ni du Secrétariat d’Etat de l’Industrie cinématographique suite à la consécration du film « Papicha» à la 45e cérémonie des Césars pourtant coproduit par l’Algérie.