Quelle issue au bras de fer actuel entre la fédération de Russie et le camp occidental sur le terrain ukrainien ? Les Etats-Unis et ses alliés accusent Moscou de préparer une éventuelle invasion de l’Ukraine candidate à l’adhésion à l’Alliance atlantique et à l’UE, en ayant massé des dizaines de milliers de soldats à la frontière avec le pays voisin. Le Kremlin juge au contraire que c’est l’attitude de ses rivaux occidentaux qui est menaçante pour la sécurité de la fédération et réclame que Washington et l’Otan donnent des garanties en signant des traités interdisant tout élargissement futur de l’OTAN. Si la tension est tangible entre les deux camps, des négociations sont prévues en janvier prochain…

Par Halim Midouni
Trente ans après l’effondrement de l’URSS, en décembre 1991, les conséquences de ce cataclysme géopolitique de la fin du XXe siècle sont plus que jamais d’actualité et menacent d’être à l’origine d’un nouveau conflit entre le camp occidental qui entend plus que jamais affaiblir stratégiquement la Fédération de Russie et Moscou qui n’entend pas qu’on déborde les lignes rouges de son espace vital, dont la frontière se situe en Ukraine. Dans ce pays, le gouvernement central entend adhérer à l’Union européenne et à l’OTAN surtout. Son argument est que l’intégrité de son territoire rendu indépendant après la chute de l’URSS est aujourd’hui menacé par Moscou qu’il accuse, avec les Occidentaux, d’être derrière les séparatistes du Donbass contre lesquels il est en conflit certes de basse intensité, mais réel depuis 2014, année de l’éclatement d’affrontements armés violents entre les deux camps, et l’échec des accords dits de Minsk en 2015.
Ces accords sont l’objet de lectures différentes selon que l’on se situe du côté du camp occidental ou de celui de la Russie. Pour le premier, il s’agit uniquement d’accords politiques n’engageant pas dans la durée le gouvernement de Kiev à renoncer à son adhésion à l’Otan ; pour le second, en revanche, ces accords font force de loi et sont une garantie pour que l’Ukraine, par son engagement au sein de l’Alliance de l’Atlantique nord, ne devienne pas une menace pour la sécurité de la Russie. Les textes d’entente signés il y a six ans par le président russe Poutine, le président bielorusse Porochenko, la chancelière Angela Merkel et le président français François Hollande, sont aujourd’hui brandis par Moscou pour accuser le camp occidental et les Etats-Unis à sa tête de n’avoir pas respecté son engagement comme d’avoir violé ses promesses, après la chute de l’Union soviétique, de ne pas élargir l’OTAN aux pays d’Europe orientale et d’ex-URSS à partir des années 1990. «La plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle», selon Vladimir Poutine.
«En cas de maintien de la ligne très clairement agressive de nos collègues occidentaux, nous allons prendre des mesures militaires et techniques adéquates de représailles», a déclaré le président Poutine lors d’une intervention devant les cadres de l’armée russe et du ministère de la Défense. Pour le chef du Kremlin, la présence militaire des Etats-Unis et de l’Otan renforcée en Ukraine et aux frontières russes est une menace directe.
«On est sur le pas de notre porte», a-t-il dit sur le soutien politique et militaire occidental à Kiev et des manœuvres en mer noire. «Nous ne pouvons pas reculer», a-t-il ajouté. Ainsi, il a promis hier mardi une réponse «militaire et technique» si ses rivaux occidentaux ne mettent pas fin à leur politique menaçante.

Réponse «militaire et technique»
Lors d’un entretien vidéo au début du mois de décembre, le dirigeant russe a demandé au président américain Joe Bien des garanties interdisant tout élargissement futur de l’OTAN. Vladimir Poutine a assuré ne pas vouloir d’un «conflit armé, d’une effusion de sang» et préférer une «solution politico-diplomatique». La semaine passée, son pays a présenté deux traités, l’un destiné aux Etats-Unis et l’autre à l’Otan, résumant ses propositions pour une désescalade des tensions autour de l’Ukraine. Ces textes ont été jugés inacceptables par plusieurs membres de l’Alliance car ils interdisent l’élargissement de l’Otan et limitent les déploiements et la coopération militaire occidentale en Europe de l’Est et en ex-URSS, sans imposer de mesures similaires à la Russie. Néanmoins, Washington a dit être ouvert à des discussions, mais doit encore détailler sa réponse.
Hier, mardi, les Etats-Unis ont dit s’attendre à ce que le dialogue avec la Russie, au sujet de l’Ukraine et plus largement de la sécurité en Europe, démarre en janvier. Le gouvernement américain a déjà dit être prêt à discuter des demandes russes au niveau bilatéral, mais aussi au sein du conseil réunissant l’Otan et la Russie, ou encore dans le cadre de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). «Il n’y aura pas de discussion sur la sécurité européenne sans les Européens», a encore affirmé hier à des journalistes la secrétaire d’Etat américaine adjointe chargée de l’Europe, Karen Donfried. «Nous avons dit clairement que nous ferions ça avec l’Alliance à 30», a-t-elle ajouté au sujet de l’Otan, alors que le président russe Vladimir Poutine semble privilégier un face-à-face avec les Etats-Unis, considérés comme l’acteur central des politiques de défense en Europe. «S’agissant du dialogue bilatéral, nous déciderons d’une date ensemble avec la Russie et nous pensons que cela aura lieu en janvier», a expliqué la diplomate. Elle a aussi souligné que l’Alliance atlantique devait très prochainement «inviter» Moscou à une réunion du Conseil Otan-Russie, l’instance de consultation créée en 2002 entre les deux blocs — une proposition jusqu’ici rejetée par les Russes. «Mon impression est que vous verrez du mouvement sur tous ces canaux au mois de janvier», a précisé Karen Donfried.
Interrogée sur la possibilité que ces sanctions incluent la piste la plus radicale, celle visant à couper la Russie de Swift, rouage essentiel de la finance mondiale, la responsable américaine s’est bornée à dire qu’«aucune option» n’était «exclue». «Nous sommes prêts à discuter des propositions de la Russie. Il y a des choses sur lesquelles nous sommes prêts à travailler et dont nous pensons qu’elles méritent une discussion», mais «il y a d’autres choses dans ces documents dont les Russes savent qu’elles seront inacceptables», a insisté Karen Donfried.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky s’est lui offusqué mardi de la réticence occidentale à fixer un calendrier clair pour l’adhésion de Kiev à l’Otan et à l’Union européenne. «Nous ne pouvons pas accepter l’idée (…) d’une (adhésion à) l’UE dans 30 ans et (à) l’Otan, dans une cinquantaine d’années», a-t-il dit.