Le baril de pétrole était coté, hier à 10H, à 40 dollars contre un peu plus de 35 dollars le 2 novembre dernier. Cette remontée significative des prix du pétrole, selon l’expert pétrolier, montre que les forces du marché restent intactes. Mais il existe néanmoins une forte corrélation actuellement entre les prix du pétrole et l’évolution des marchés boursiers.
Reporters : Comment analysez-vous ce cycle baissier très récent des prix du pétrole ?
Noureddine Legheliel : La baisse très récente des prix du pétrole est due à trois facteurs. Le premier élément s’avère la corrélation forte actuellement entre les prix du pétrole et l’évolution des marchés boursiers internationaux. Il faut savoir que les Bourses européennes ont connu une chute importante des valeurs boursières. La Bourse de Francfort a connu une baisse de 12%. La chute de la Bourse américaine a été moindre. Le second facteur est l’appréciation du dollar américain. Le troisième élément est la perception par les marchés pétroliers internationaux de l’orientation du candidat démocrate à la présidentielle Joe Biden, favori des urnes, en faveur des énergies renouvelables contenues dans sa promesse électorale, une option considérée comme une menace sur l’essor des marchés pétroliers internationaux. Cela dit, force est de constater que ces marchés enregistrent actuellement un renversement de tendance. Il faut remonter au 26 octobre dernier. Le Brent, la variété de brut de mer du Nord, était coté à 42 dollars. S’ensuivit par la suite une baisse des prix du pétrole. Il a chuté jusqu’à 35,40 dollars à l’ouverture du marché pétrolier asiatique le 2 novembre dernier, soit une chute de 15%. La baisse enregistrée sur la séance s’est située à -5,60%. A 10H, lundi, sur le marché américain, le brut remonte de 3%. C’est un renversement de tendance qui s’est confirmé hier. A 10H, le 3 novembre, le baril Brent était coté à 40 dollars. Entre le 2 et le 3 novembre, la hausse est de plus de 10%. Ce qui est significatif et montre que ce n’est pas une simple correction mais plutôt un renversement de tendance.
Comment interprétez-vous cette remontée hier des prix du pétrole ?
Ce renversement de tendance montre que les forces du marché sont intactes. Ce n’est pas un faux signal. Cette remontée des prix du pétrole a été encouragée, il convient de le signaler, également par un signe positif, l’augmentation des forages pétroliers aux Etats-Unis ces derniers jours, enregistrée par le dernier rapport américain sur le sujet.
Cette tendance à la hausse des prix du pétrole est-elle durable ?
La banque d’affaires américaine Goldmann Sachs, l’une des plus grandes banques d’affaires dans le monde, une référence internationale pour ses prévisions concernant en particulier les prix du brut, est optimiste. Elle prévoit dans son dernier rapport que le prix du baril peut atteindre plus de 60 dollars en 2021. Ce niveau de prix n’est pas une moyenne du cours du baril sur l’année. Pour ma part, il est fort probable que la moyenne des prix du pétrole se situe à 40 dollars en 2020 et que cette tendance haussière se poursuive en 2021. D’autant que les marchés pétroliers internationaux ont déjà intégré les effets négatifs d’une seconde vague Covid-19 sur les économies des pays de l’OCDE. Mais nous ne pouvons être catégoriques à 100%. Une incertitude pèse toujours sur l’évolution du marché boursier américain, locomotive des autres Bourses dans le monde, notamment européennes. Une évolution à la baisse continue des marchés boursiers américain et européen entre autres facteurs d’incertitude importants pourrait influer négativement sur l’évolution des prix du pétrole en 2021.
Quel impact sur l’économie nationale ?
Les marchés pétroliers ont connu une importante volatilité ces derniers jours. Mais sur l’année 2020, les prix du brut en moyenne ont résisté jusqu’ici à une dépression significative des cours du brut. Comme les contrats de décembre étaient hier cotés à 40 dollars, on peut estimer que pour l’année 2020, le baril de Brent de mer du Nord se situera autour de 40 dollars. Du coup, les recettes hydrocarbures du pays se situeront entre 23 et 25 milliards de dollars l’année en cours. Les prévisions de la loi de finances 2021 prévoient des recettes hydrocarbures de 28 milliards de dollars l’an prochain. Pas suffisant pour inverser la tendance en matière de déficits : déficit du budget, déficit du compte courant, déficit de la balance des paiements induisant une érosion importante des réserves de change. Il faut aujourd’hui un baril de pétrole à plus de 100 dollars selon les institutions financières internationales pour que le budget de l’Etat soit à l’équilibre ou soutenable. L’Algérie est donc à l’ère des vaches maigres nécessitant une urgente rationalisation de ses dépenses budgétaires et une révision de sa gouvernance et de son modèle économique qui reste rentier à ce jour malgré les velléités de changement. Toutes ces difficultés économiques sont aggravées par une crise sanitaire sans précédent et surtout par une perte de confiance entre le gouvernant et le gouverné. L’adoption d’une nouvelle Constitution, socle d’une Algérie nouvelle débarrassée des pratiques d’un passé guère lointain, corruption, privatisation du pouvoir, primat de l’affairisme sur les intérêts suprêmes de la nation et au détriment de la majorité de la population, s’est effectué sans la caution ou sous l’indifférence d’une grande partie de la population. Ce qui montre que le fossé reste important entre le gouvernant et le gouverné. En raison de ce facteur important, le capital confiance, un handicap aujourd’hui, il est difficile de croire à une inversion rapide de ces tendances macro-économiques lourdes. A moins que les décideurs prennent conscience qu’une course contre la montre est engagée, qu’il ne reste pas beaucoup de temps, moins de deux ans, pour pouvoir éviter un nouveau plan d’ajustement structurel dicté par le FMI, à savoir une batterie de mesures économiques douloureuses qui risquent d’alimenter les frondes sociales et de favoriser l’instabilité politique. n