Un colloque international de musicologie consacré au compositeur Henri Tomasi a été organisé les 6 et 7 mai dernier par l’Institut de recherche en musicologie et l’université de la Sorbonne à Paris. Les différentes communications et débats ont eu lieu en visioconférence.

par Sofiane Baroudi


Ce colloque a été célébré en commémoration du cinquantième anniversaire de la mort du compositeur, en 1971 à Paris. Les travaux se sont articulés autour de différents axes de réflexion et d’interventions. Les thèmes abordés ont ainsi oscillé entre différents sujets : « Tomasi face au monde contemporain », « Tomasi l’humaniste », ainsi que « Les résonances de l’histoire et des idées de son temps sur l’artiste ». D’autres champs ont été ratissés tels que les domaines de créativité, ainsi que l’altérité comme source d’inspiration, mais encore, la dimension de Tomasi comme compositeur, chef d’orchestre et interprète dont les oeuvres sont elles-mêmes jouées par de grands noms de la musique comme Wynton Marsalis, Maurice André, David Guerrier et d’autres.
Les communications ont couvert un large spectre afin de mettre en exergue différents aspects de la vie et de l’œuvre extrêmement riche et novatrice du compositeur, du chef d’orchestre et du citoyen de son monde qu’était Henri
Tomasi, issu d’une famille originaire de Corse et né à Marseille le 17 août 1901. L’empreinte existentielle et l’exaltation mystique qu’il connut personnellement et qui transparait dans l’œuvre du maestro ont également été abordées à travers son cheminement spirituel et la quête d’un monde sublimé à l’image de la mythique Atlantide. Au-delà du compositeur à l’avant-garde de la radiodiffusion moderne ou encore du chef d’orchestre prolixe et du membre du groupe « Triton » aux côtés de Darius Milhaud, Arthur Honegger et Francis Poulenc, les intervenants ont interrogé en profondeur l’humanisme engagé du citoyen en accord avec les grands défis de son temps rythmé par d’innombrables tragédies, la Seconde Guerre mondiale, la prolifération atomique ou encore les effroyables guerres coloniales. Les différents intervenants ont, en plus de la dimension musicologique, analysé le contexte socio-politique animant l’œuvre musicale d’Henri Tomasi dans les années 1940, 50 et 60. On citera « Noces de cendres », « Ballet en deux actes », composé en 1952 sur un argument d’Hubert Devillez, « Retour à Tipasa », musique vocale avec orchestre inspirée d’Albert Camus et jouée après sa mort en 1985, « Requiem pour la Paix ». Mais également le « Chant pour le Vietnam » (1968).

Salim Dada sur « L’Atlantide »
L’Algérie a été honorablement représentée à cet évènement musicologique international en la personne du maestro et musicologue Salim Dada, ancien ministre délégué à la production culturelle, chercheur au sein du Centre national des recherches en préhistoire, anthropologie et histoire d’Alger (CNRPAH). La communication qu’il a prononcée sous l’intitulé « Evocation de l’islam dans L’Atlantide de Tomasi : entre vocalité cultuelle et figuration mystique » a été orientée sur le drame lyrique et chorégraphique que représente « L’Atlantide », œuvre créée en 1954. Le musicologue a mis l’accent sur le rapport de Tomasi avec la spiritualité et l’altérité de l’autre. Le conférencier, qui connait bien l’oeuvre de Tomasi, s’est particulièrement attelé à mettre en relief l’évocation de l’Islam dans cette œuvre par le biais des vocalisations religieuses caractérielles telles que l’adhân — appel à la prière, les prières et les psalmodies, donnés notamment par la figure authentiquement spirituelle de Séghir Ben Cheich.
Le chercheur algérien a fait un exposé scientifique exhaustif, conceptualisant le matériau musical emprunté de la tradition cultuelle analysé dans le contexte de l’entreprise artistique tomasienne à travers le prisme des éléments évocateurs de l’aventure : existentielle, spirituelle, mystique de l’auteur à la recherche de l’absolu, du sens, de l’extase… mais surtout la fascination pour le mythe de L’Atlantide. Dans ce qui apparaît comme s’inspirant du riche corpus soufi-gnostique. Salim Dada a ainsi expliqué que « … En tant que phénomène social, l’ādhan régule l’activité commerçante et ouvrière de la société et crée un contexte de rassemblement constant pour la communauté. La voix humaine est le seul instrument jouissant de cette ordonnance. Les muezzins concurrencent et comparent la force et la beauté de leurs voix, ils excellent dans leurs interprétations pour inciter les gens à la prière ». Et de faire remarquer : «A nos jours, l’ādhan reste encore un phénomène sonore culturellement (inclassable) : matière à interprétation pour les Occidentaux, sujet d’inspiration pour les musulmans ». Il attire l’attention sur le fait que « ces derniers (les musulmans) n’utilisent pas le mot « chanter » pour désigner la pratique vocale du ādhan. Le verbe arabe attribué découle de son appellation racine, un muezzin you‘addhin. Le verbe (addhana) n’est jamais employé hors du contexte de l’appel à la prière. Une majeure partie de la complexité de la situation du adhan découle de cette sémantisation ». Il approfondit la perspective de son propos en considérant des éléments comme la sociologie et la prosopographie du muezzin, la compréhension de l’évolution du minaret, son rôle dans la société et celui de la mosquée dans le paysage urbain, comme des éléments et des problématiques importants à étudier en profondeur. Le communicant s’est aussi focalisé sur le prisme musicologique et notamment sur « l’aspect formel et l’implication musicale dans cette pratique de l’Islam ». Il a également analysé les différents styles et techniques vocales du ādhan actuel, ainsi que les débats autour des modalités usitées dans la pratique. Le chercheur a ensuite expliqué que « l’élément musical est fondamental dans la technique du ādhan même si l’exercice en soi reste principalement rituel ». Et ainsi d’arguer que pendant plusieurs siècles, la vulnérabilité au changement et à l’influence exogène de cette pratique vocale est restée infime. Le maestro algérien a démontré par la suite que les mutations musicales dans le ādhan sont largement plus lentes que dans les autres pratiques musicales de la société. Il a nourri son propos en expliquant que l’objet de ses recherches tend à « concevoir al-ādhan comme un réservoir immuable d’une modalité séculaire du maqam. Les styles d’adhan qui seront étudiés font l’apanage d’une tradition musicale dite du maqam. Le matériau servant à l’analyse est en grande partie tiré des archives sonores et écrites de la première moitié du XXe siècle ». En dernière partie de sa contribution, le musicologue a indiqué que « cette pratique vocale soit essentiellement liée au culte de la prière et a comme espace d’expression la mosquée, on peut trouver des réminiscences mélodiques ou des inspirations stylistiques dans d’autres contextes musicaux, à connotation religieuse ou à démarche créative. » « En dehors de l’enceinte du culte, diverses situations musicales seront étudiées dans lesquelles le matériau mélodico-rythmico-polyphonique du ādhan est utilisé intégralement ou partiellement, inspiré ou évoqué, dans un contexte de composition musicale (chant soufi, madiḥ, inshad, David, Reyer, Dvorak, Szymanowski, Tomasi, Maurice Jarre, Rifaat Djarana, Ḥassan Abou Al-Saoud, Oum Kalthoum, Al-Sunbati…). » n