Pour l’associatif et chef d’entreprise interrogé par Reporters, «Le secteur du BTPH est sinistré» et il faudrait une intervention de l’Etat pour sauver ses entreprises dont la plupart souffrent de retard de paiement, de mauvaise trésorerie et d’incapacité à s’acquitter de l’impôt.
Entretien réalisé par Sihem Bounabi
Reporters : Dans une lettre ouverte adressée au Président de la République Abdelmadjid Tebboune, vous lancez un appel à aider le secteur du BTPH en proposant une série de recommandations, quelles sont vos attentes à travers cet appel ?
Mouloud Khelloufi : Il faut savoir que la situation actuelle des entreprises est très difficile, car il y a un véritable manque dans la prise en charge d’un secteur qui est sinistré. Certaines entreprises n’ont pas été payées depuis plus de deux ans et les possibilités d’investir sont inexistantes. J’ajouterais l’inexistence d’un véritable plan de relance pour les entreprises et l’absence d’un dialogue social.
C’est à cause de cette situation difficile qui perdure que nous avons adressé cette lettre ouverte au Président de la République, car il a le pouvoir de décision pour sauver le secteur. Dans cette lettre, nous avons fait une série de propositions, dont notamment l’organisation des 4e assises nationales du BTPH, une amnistie fiscale pour que les entreprises puissent redémarrer leur activée car, en ce moment, il y a un véritable marasme, et aussi d’autres propositions, soit au total 14 propositions que nous avons détaillées et argumentées.
Je tiens à rappeler qu’en 2021 nous avons déjà fait des propositions pour essayer d’aider les entreprises et sauver les emplois qui sont fortement menacés, mais il n’y a pas eu de retour. Cette année, nous avons en plus lancé un appel pour l’organisation des 4es assises nationales du BTPH sous le parrainage du Président de la République, car c’est le seul qui a la légitimité de prendre des décisions fortes vis-à-vis des entreprises algériennes et de rendre un peu d’espoir aux entrepreneurs et aux investisseurs.
Justement, pourquoi est-il important pour vous d’organiser les 4es assises nationales du BTPH ?
Il est important, à travers cette action, d’instaurer un climat de dialogue et de concertation. Lors de ces 4es assises du BTPH, il s’agit aussi d’actualiser les textes d’application, notamment par rapport aux lois d’investissement et du code du travail. On espère que cet appel pour les assises recevra un avis favorable pour pouvoir être organisé d’ici six à huit mois. Ceci afin d’avoir le temps de discuter d’abord au niveau local avec les entreprises et les partenaires sociaux et qu’au final, lors de ces 4es assises, aboutir à des lois nationales qui seront le résultat de concertation à tous les niveaux. Il y a également la charte PPP (partenariat-public-privé) qui a été signée lors de la tripartite 2018 en exécution de la loi du partenariat public-privé, mais dont on attend toujours les textes d’application.
De plus, je souhaite dire au gouvernement que si on veut combattre la corruption, la bureaucratie et l’informel, on doit actualiser toutes les lois de la nation, notamment le code des marchés publics, le code du travail, le code du commerce. Parce que c’est à partir des lois et des textes d’application que l’on peut agir tous ensemble pour combattre ces trois fléaux qui ne cessent de porter des coups à l’investissement et à la création d’entreprises. Et pour cela, j’insiste sur le fait qu’il faut établir un climat de dialogue et de concertation afin de stimuler la relance des activités des entreprises.
Est-ce pour donner un nouveau souffle à cette relance des activités des entreprises que vous avez notamment proposé la dépénalisation fiscale et parafiscale des entreprises du secteur du BTPH ?
Il faut savoir qu’il y a des entreprises qui n’ont pas travaillé depuis 2019 à cause des perturbations lors du Hirak et ensuite de la pandémie de la Covid. De ce fait, on lance un appel pour la dépénalisation de ces entreprises qui ont déjà eu du mal à assurer les salaires de leurs employés et auxquelles on leur demande en plus de payer des impôts.
Si on demande une amnistie pour ces entreprises qui ont connu de grandes difficultés, c’est pour qu’au moins elles puissent préserver les emplois. Sinon avec la lourdeur des charges, elles risquent de mettre les travailleurs au chômage ou carrément mettre la clé sous la porte.
C’est pour cela que l’on demande également que la politique fiscale du ministère des Finances doit être complètement actualisée à cause notamment de la conjoncture actuelle que traverse le pays. Mais également par rapport aux changements qui sont en train de toucher l’économie au niveau mondial. C’est pour cela que je tiens à répéter qu’il est important de simplifier tout ce qui est fiscal et parafiscal pour permettre aux entreprises de se développer et d’assurer la pérennité des postes d’emploi et le versement des salaires à leurs employés.
C’est notre proposition pour améliorer les choses, mais nous ne sommes pas des décideurs, c’est pour cela que nous demandons au Président de la République d’intervenir, car c’est lui qui a la légitimé de prendre de telles décisions.
Vous lancez un appel pour la mise en place d’un observatoire national pour la PME/PMI/TPE. Pourquoi ?
L’installation de l’observatoire de la PME PMI va contribuer à la préservation et la pérennité de l’entreprise algérienne, pas seulement pour le secteur du BTPH, mais pour l’ensemble des secteurs d’activités. Car tous les secteurs de l’économie algérienne sont touchés par la crise, mais on n’a pas une visibilité précise de toutes ces entreprises sinistrées. L’observatoire devrait ainsi enregistrer tous les secteurs de l’économie nationale, et à l’intérieur de l’observatoire il y aura des départements pour chaque secteur d’activités, soit l’énergie, le bâtiment et l’industrie. Ainsi dès qu’un problème surgit dans un secteur, il est rapidement signalé et par conséquent le Président ou le gouvernement peut agir dans les 24 à 48 heures avant que la situation s’enlise dramatiquement. Malheureusement, à l’heure actuelle on n’a pas de diagnostic précis de la situation des différents secteurs d’activité et pour la majorité on évolue à l’aveugle.
Pour revenir au secteur du bâtiment, pourquoi pensez-vous que le dossier des bureaux d’études techniques doit bénéficier d’une attention particulière ?
Tout d’abord je tiens à souligner qu’il est important que les études et les missions de conception et de suivi des projets de I’Etat devraient être confiées à des BET algériens par des concours d’architecture ou concours de projet. C’est notre recommandation, car les BET algériens sont dotés de ressources humaines et techniques d’une qualité internationale.
Ensuite, il faut savoir que les bureaux d’études sont fondamentaux dans le secteur du bâtiment. Si on ne donne pas les moyens et le temps à un bureau d’études de faire une étude complète sur un projet, au final la réalisation sera défaillante. Il est plus que nécessaire de redonner aux bureaux d’études de la considération pour le travail qu’ils accomplissent. Ainsi, si l’Etat souhaite réaliser dans les règles de l’art des projets qui respectent les normes internationales, chacun doit être rémunéré à sa juste valeur et pas en dessous.
Cela vaut non seulement pour les bureaux d’études mais aussi à tous les niveaux du secteur, car il y a tout un savoir-faire qui est en train de disparaître ou de partir à l’étranger faute de reconnaissance et d’une rémunération à la hauteur des efforts fournis. Et c’est l’occasion de parler de la problématique du Smig. Il est urgent de revoir le Smig algérien. A l’AGEA, on estime que le Smig devrait être multiplié au minimum par deux. Il devient urgent de doubler le salaire minimum des Algériens par rapport à la conjoncture que traverse le pays et par rapport à l’économie mondiale. Il faut que le gouvernement prenne conscience de la réalité du quotidien de la majorité des travailleurs algériens qui, avec un salaire minimum de 20 000 DA, ne peuvent assurer le minimum de leurs besoins quotidiens. Il faut que l’on discute réellement de ce que l’on veut pour l’économie nationale pour arriver à un consensus qui redonne de l’espoir aux entreprises mais également à la jeunesse algérienne pour qu’elle reste travailler ici en Algérie tout en ayant une vie épanouissante.
Est-ce pour motiver les jeunes à travailler dans le secteur que vous proposez également un partenariat entre les universités et les entreprises ?
Il s’agit avant tout d’adapter les formations de l’université et des centres de formation avec le monde de l’entreprise dans le but de soumettre les besoins du secteur en ressources humaines adaptés aux besoins du marché de l’emploi et, de ce fait, ne pas former des diplômés chômeurs.
Il est important qu’il y ait une coordination entre l’université et le marché de travail pour que l’université cesse de former des chômeurs car leurs diplômes ne répondent pas aux besoins du marché de l’emploi actuellement. Ce que l’on suggère, c’est qu’il y ait un réel plan de coordination entre les différentes parties concernées pour que l’on puisse établir une liste des besoins des différents secteurs en termes de recrutement selon les besoins du secteur du BTPH, mais aussi des autres secteurs.
La formation professionnelle doit être aussi impliquée pour que les jeunes puissent trouver du travail dès qu’ils terminent leur formation.
Je tiens à souligner que s’il y a une réelle volonté politique, on peut sauver les entreprises et par conséquent sauver les emplois, car le grand enjeu en ce moment, c’est d’avoir des secteurs économiques forts avec des postes de travail pour la jeunesse algérienne afin qu’elle puisse reprendre espoir dans un avenir meilleur et une vie de qualité en Algérie.