Le conflit libyen représente un vrai danger pour l’Algérie et toute la région nord-africaine. La guerre en Libye peut faire chuter l’Algérie et la Tunisie, voire toute l’Afrique du Nord. La Turquie se cherche une place sur la scène internationale. Le rêve de l’empire ottoman n’est pas oublié. Les manœuvres militaires algériennes montrent que nous sommes sur le pied de guerre.
Reporters : Le chef de l’Etat a réuni son premier Conseil de sécurité. A l’ordre du jour, le Mali et la Libye. Est-ce que ces deux dossiers ont évolué dangereusement pour la sécurité de l’Algérie ?
Mohand Smaïli : Oui, c’est évident. Et depuis longtemps. La sécurisation des frontières de l’Algérie relève des prérogatives de l’Armée et des services de sécurité autant que du chef de l’Etat, qui est aussi le ministre de la Défense nationale. Avec ce qui se passe actuellement aux frontières sud de l’Algérie avec la Libye et le Mali, où les deux facteurs d’instabilité sont devenus plus importants et l’activité djihadiste plus intense, au Mali notamment, la situation s’aggrave et devient d’un impact négatif sur l’Algérie et sa sécurité aux frontières. Cette instabilité peut poser un problème sérieux non seulement pour notre pays, mais pour toute la région d’Afrique du Nord.
Pensez-vous réellement que l’Algérie a été absente de ces deux dossiers durant les derniers mois, alors qu’ils représentent un enjeu majeur pour notre pays ?
Absente, non. Je ne le pense pas. L’Algérie est toujours là. Les institutions et les compétences qui s’occupent de la question sécuritaire étaient et sont toujours sur place. Elles œuvrent en collaboration avec les pays de la région pour maintenir la stabilité. Il faut savoir aussi qu’il y a des rencontres et des accords qui se font discrètement, des évènements non médiatisés. De plus, les dernières manœuvres effectuées par l’armée algérienne sont, en vérité, des messages forts destinés à montrer que l’Algérie ne transige pas quand il s’agit de ses frontières et de sa souveraineté. Ces messages montrent que l’Armée algérienne a les moyens pour se défendre, autrement dit, qu’elle est sur le pied de guerre.
Quelle est la situation actuellement en Libye et que pensez-vous de l’émergence de la Turquie en tant qu’acteur manifeste dans ce conflit ?
La situation en Libye est problématique depuis l’assassinat de Kadhafi. Elle ne date pas d’aujourd’hui. Ce qui a compliqué la donne est bien l’intervention des puissances internationales dans le pays. Chacun pour ses propres intérêts. Quant à la Turquie, qui est un Etat puissant militairement, économiquement, son intérêt pour le dossier libyen a progressé. Elle est en train de se chercher une place stratégique sur la scène internationale. L’intervention militaire annoncée en Libye a, à mon sens, des objectifs économiques, énergétiques car la Libye est un riche pays pétrolier et géopolitique avec une intention nourrie peut-être de l’histoire de l’ancien empire ottoman de s’affirmer, comme acteur important dans la région Méditerranée-Afrique du Nord. Le tout dans une démarche qui semble respectueuse de la légalité internationale. Il ne faut pas oublier que le gouvernement libyen, le GNA, qui est reconnu par l’ONU, a signé un accord maritime et demandé à la Turquie d’intervenir et de «l’aider» militairement.
Quid de la visite d’Erdogan à Tunis ? Et que pense le pays voisin des récents développements ?
M. Erdogan n’est pas venu en Algérie car, le nouveau président de la République n’était pas installé à 100%, si l’on peut dire. Une visite diplomatique de cet ordre se prépare pendant des semaines et des mois et rien ne dit qu’il ne fera pas le déplacement d’Alger. Cela dit, la Turquie essaye de convaincre la Tunisie, pays frontalier et confronté directement aux conséquences du conflit libyen, de faire partie de la coalition contre le général Haftar, qui cherche à prendre le contrôle de Tripoli. Visiblement, la demande d’Erdogan a été rejetée par les Tunisiens et tout semble indiquer que Tunis est du même avis que l’Algérie, pour le moment, sur la manière de résoudre la crise. Les deux pays voisins privilégient la solution politique et diplomatique et soutiennent l’agenda onusien.
Qu’en est-il du Mali ? Comment percevez-vous le regain d’activité djihadiste dans ce pays ? Et quelles en sont les raisons ?
Le Mali est un ancien problème aussi. Outre l’échec du processus politique amorcé depuis l’accord d’Alger de 2015, les puissances étrangères présentes, dont la France, semblent être devenues une partie du problème et non pas des solutions. Abstraction du fait que la présence de forces étrangères dans un pays souverain n’est jamais bon signe, il faut s’interroger sur cette réalité de résurgence des groupes djihadistes et du regain de tension que leurs activités génèrent avec des risques de débordement. C’est pourquoi l’Algérie doit renforcer ses frontières avec le Mali, afin de barrer la route devant toute tentative de terrorisme.
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