PROPOS RECUEILLIS PAR NAZIM BRAHIMI
Reporters : En tant qu’expert dans le domaine automobile, quelles nouveautés apporte le cahier des charges devant régir le secteur de l’automobile ?
Siad Mohammed : Le cahier des charges concernant la construction automobile, publié au Journal officiel le 17 novembre dernier, est réaliste et réalisable. Je reprends l’article 5 du cahier des charges dans lequel il est dit que l’exercice de l’activité de constructeur de véhicules est subordonné à l’obligation d’atteindre, à compter de l’obtention de l’agrément, un taux minimal qui évoluera progressivement : 0 % d’intégration la première année, 10% au terme de la 2e année, 20% la 3e année et 30% au terme de la 5e année.

Mais, est-ce réaliste de votre point de vue ?
A mon humble avis, oui, c’est réaliste. Personnellement, c’est la première fois que je lis un cahier des charges aussi clair depuis que je suis dans le secteur. Honnêtement, c’est un texte clair, net et précis. Je note également que le nouveau cahier des charges a intégré une autre activité de construction qui s’appelle «ensemble, sous ensemble et accessoires». Cette dernière est agréée au même titre que le constructeur, ce qui constitue une suite logique.
Car, pour réussir cet écosystème autour de la construction de l’automobile, on doit créer une vraie pyramide de la sous-traitance, où on retrouve le constructeur automobile, les différents équipementiers (les fabricants de pièces et d’accessoires) et les constructeurs d’ensembles, de sous-ensembles et d’organes. Ainsi, le cahier des charges a autorisé un équipementier à s’installer en Algérie comme un constructeur. Tout comme un constructeur d’ensembles, de sous-ensembles, d’organes et de pièces. A condition bien sûr de réponde également au taux d’intégration. Exemple, si un opérateur importe des pièces de démarreur, il devra assembler le démarreur qu’il vendra sous un contrat qui le lie à un constructeur, ainsi il devient, automatiquement, constructeur lui aussi d’un ensemble, d’un sous-ensemble, d’un organe et d’une pièce, à condition qu’ils soient tous homologués par le sommet de la pyramide : le constructeur du véhicule (en tête et donneur d’ordre), le constructeur d’ensembles et organes au premier rang, le constructeur de sous-ensembles au deuxième rang et les différents fabricants de pièces et d’accessoires au troisième rang. Tout ce monde doit être homologué et certifié ISO IATF 16949.
La deuxième nouveauté est l’obligation faite au constructeur d’investir l’emboutissage, le ferrage et la cataphorèse dès la 5e année. L’Algérie étant riche en matière de sidérurgie et que l’échéance est sur 5 ans, avec les aciéries dont nous disposons, nous pourrons produire durant cette échéance l’acier spécial pour l’emboutissage automobile. Un objectif réalisable en 5 ans.
Cela étant dit, je ne peux par contre pas m’exprimer en ce qui concerne le volume et la rentabilité attendus de la production des aciers d’emboutissage. Néanmoins, les fonderies en Algérie sont capables d’investir dans la production des aciers spéciaux et fournir les constructeurs pour leurs phases d’emboutissage afin d’augmenter son taux d’intégration locale et exporter.
L’autre nouveauté dans le cahier des charges est très importante, à savoir que le constructeur doit être la maison-mère. Ce qui n’est pas négligeable. Avec cette mesure, on bannit les anciennes pratiques dans le secteur. Les personnes qui n’ont jamais fait de l’automobile et qui ont de l’argent ou sont privilégiés n’auront plus droit au chapitre comme cela s’est produit auparavant où on s’est retrouvé avec de la construction déguisée. En vérité, ce n’est pas seulement l’affaire de l’Etat, c’est aussi une question de professionnels et de professionnalisme. Pour construire un véhicule, il faudra être constructeur, d’où l’importance du cahier des charges qui a spécifié les modalités.
Au sujet de l’intégration, le cahier des charges indique qu’elle concerne les pièces, les organes, les ensembles et les sous-ensembles produits en Algérie. On ne parle ni de services, ni de transports. Ceci, il faut bien le souligner. Le taux d’intégration est simplement comptabilisé au vu des pièces produites en Algérie et intégrées dans le véhicule.

Mais qu’est-ce qu’une pièce produite en Algérie ?
Les pièces qui seront produites localement doivent être rentables et compétitives pour pouvoir les fournir aux constructeurs, et pour atteindre cette rentabilité il faudra du volume. Certaines familles de pièces peuvent être intégrées rapidement, comme le câblage, le vitrage, les batteries et toutes les pièces plastiques.
Avons-nous ciblé dans cette exigence d’intégration les composants réellement produits en Algérie en quantité et dans les normes ?
En 2014, un constructeur connu a commencé le montage en SKD, il a entamé le ciblage des fabricants locaux, de les auditer et de les accompagner dans la procédure d’homologation. Il a identifié quelques fabricants de plasturgie, de vitrage, de batteries, de câblages, de systèmes d’échappement etc., mais tout le monde doit être mis à niveau pour pouvoir fournir la première monte.
Nous sommes en mesure de produire de la pièce de qualité et en volume nécessaire, mais avec des partenaires qui ont le savoir-faire et sont déjà homologués en première monte. Sans ce partenariat, on perdra du temps.
Par ailleurs, je dois dire qu’il faut un changement de mentalité que ce soit chez les fournisseurs ou les fabricants de pièces. Un fournisseur ne peut pas décider du prix de vente, c’est au constructeur de fixer un prix et de l’homologuer pour la qualité de son produit. Si on maintient les anciennes mentalités, ça ne marchera pas.
Dans l’automobile, c’est le constructeur qui décide des prix. En outre, je dois dire qu’une industrie de pièces de rechange, ça s’amortit à long terme et ça avance aussi à long terme avec une confiance totale entre les parties.

Quelle est la valeur ajoutée du marché algérien pour les grands constructeurs qui ont, du reste, affiché de grandes intentions en dépit d’une certaine appréhension que légitimerait l’instabilité réglementaire ?
Il y a eu des instabilités parce que personne n’a joué le jeu. Je suis désolé de le dire, mais quelques constructeurs n’ont pas joué le jeu. Je suis convaincu qu’ils auront un autre comportement parce que ce cahier des charges est clair. Ce qui est aussi rassurant, c’est que l’Etat a sécurisé l’investisseur local et étranger à travers la nouvelle loi sur les investissements.

Quelle place aura le marché de la voiture d’occasion tel qu’on le connait aujourd’hui une fois entamées l’importation et la production des véhicules en Algérie ?
Le marché d’occasion se crée quand il y a un écosystème autour du secteur. Il faut préciser que ce marché d’occasion est créé par la demande. C’est-à-dire quand un citoyen n’a pas les moyens d’acheter un véhicule neuf, il se dirige vers l’achat d’un véhicule d’occasion. Néanmoins, le marché de l’occasion en Algérie n’est pas actuellement organisé, une partie des véhicules se vend entre particuliers et une autre dans l’informel. C’est pour cette raison que j’appelle les pouvoirs publics à l’élaboration d’un cahier des charges pour la revente des véhicules d’occasion et de la reprise afin de sécuriser le consommateur.
En régulant le marché de l’occasion, on va créer un métier qui n’existe pas encore en Algérie. C’est la reprise (le rachat), la rénovation et la revente avec garantie. C’est-à-dire, qu’il y aura des professionnels qui vont reprendre des véhicules pour les rénover (relooker, les remettre en l’état) avec une garantie et une revente avec facture. En Algérie, nous n’avons pas encore les textes qui régissent la reprise et la revente des véhicules d’occasion. Alors réglementons cette activité et créons les conditions pour ce métier.