Depuis quelques jours, les professionnels de la santé multiplient les alertes face à la montée des cas de contamination à la Covid-19 et la propagation des variants britannique et nigérian avec les risques de plus en plus évidents d’une 3e vague.
Dr Mohamed Yousfi, président de la Société algérienne d’infectiologie et chef de service des maladies infectieuses de l’EPH de Boufarik, aborde dans cet entretien la recrudescence des cas de contaminations, le manque de visibilité concernant
les variants, la campagne de vaccinations ainsi que la nécessité de respecter les mesures barrières afin d’éviter une explosion de cas.
Entretien réalisé par Sihem Bounabi
Reporters : Depuis quelques jours, les cas de contamination au coronavirus sont en augmentation. L’avez-vous constaté au niveau de l’EPH de Boufarik ?
Mohamed Yousfi : Effectivement, en une semaine, on a constaté le double des cas de malades Covid hospitalisés à l’EPH de Boufarik. Il y a à peine dix jours, 15% des lits étaient occupés, aujourd’hui, ce chiffre a doublé et on est à 30% d’occupation. Il faut savoir que la plupart des malades ont développé des formes graves qui nécessitent une oxygénation. Le constat l’est également au niveau national. On est passé en dix jours du simple au double des cas de contamination. Les décès à cause de la Covid se sont stabilisés à deux ou trois, ces derniers jours, ils étaient en moyenne à neuf décès depuis plusieurs jours. La réalité est qu’on se dirige progressivement vers une 3e vague si des mesures urgentes pour le respect des gestes barrières ne sont pas appliquées avec rigueur. On a toujours appelé à la vigilance, même quand il y a diminution des cas. Je rappelle que lorsqu’il y a eu un relâchement de ces mesures, au mois d’avril 2020, on l’a payé très cher en juin. Et le même constat a été fait lors du relâchement constaté vers la fin du mois d’août passé, où il y a eu une explosion de cas dès la fin septembre, et en octobre et décembre.
Le personnel médical est-il préparé à la perspective de cette 3e vague de contamination au coronavirus ?
Cela fait quatorze mois que l’on travaille sans relâche et qu’on est sur la brèche. Aujourd’hui, malgré la fatigue, on sait à quoi nous en tenir et la conduite à tenir en termes de prise en charge, surtout face à la propagation de variants. Ce sont les mêmes procédures qu’avec la Covid-19 classique. Mais on a conscience que les variants sont plus contagieux et plus dangereux que la souche classique. La problématique n’est pas chez nous, mais chez les citoyens qui doivent respecter les mesures barrières.
Justement avez-vous un moyen de savoir si les personnes hospitalisées sont atteintes de la Covid classique ou d’un variant ?
Sincèrement, on ne peut pas le savoir avec précision faute de moyens de séquençage en Algérie. De plus, on n’a pas assez d’informations sur la présence des variants en Algérie, car les déclarations officielles ce n’est qu’une partie de l’iceberg. Etant donné les capacités de séquençage de l’Algérie, on ne connaît pas le nombre réel de la propagation des variants. C’est une évidence que le nombre de contaminations par les variants doit être beaucoup plus important que les chiffres actuels. En tant que professionnels de la santé, on a besoin de connaître le nombre réel de la circulation des variants pour anticiper les prises en charge hospitalières. Les citoyens doivent prendre conscience que ces variants sont très contagieux et très dangereux et que selon les dernières études, ils touchent plus de jeunes qui étaient épargnés par la souche classique. Alors que les jeunes contaminés développent des formes asymptomatiques, les variants sont aujourd’hui plus dangereux pour les jeunes qui développent des formes graves de la maladie. Malheureusement, tant que la campagne de vaccination n’est pas accélérée, on risque d’avoir une dominance des variants comme cela s’est passé dans les autres pays avec toutes les conséquences que cela implique.
Qu’en est-t-il de la campagne de vaccination anti-Covid ?
On avait un espoir avec le lancement de la campagne de vaccination anti-Covid, mais trois mois après, elle est toujours à l’état embryonnaire. On est très loin en termes de couverture vaccinale d’arriver à l’immunité collective. D’autant plus que le ministère de la Santé ne communique pas assez sur le sujet, on est toujours dans le flou et sans aucune visibilité réelle. Cela nous pose problème en tant que spécialistes dans notre mission de sensibiliser et d’informer. Comment peut-on le faire lorsque le citoyen s’inscrit, mais ne sait pas quand est-ce qu’il sera vacciné.
Face aux alertes d’une 3e vague, quelles seraient les mesures à prendre ?
Les mesures à tenir sont les mêmes que celles que l’on répète depuis le début de la pandémie. Celles du respect strict des mesures barrières surtout lorsqu’on sait que le variant est prépondérant et qu’il est beaucoup plus contagieux. Cela veut dire que les risques d’explosion d’une 3e vaque est beaucoup plus important. Il faut de la sensibilisation et de l’information afin d’interpeller les citoyens sur la gravité de la situation. Ils doivent prendre conscience que si ces mesures barrières ne sont pas respectées, cela va entraîner une augmentation des cas de la souche classique, mais également une augmentation de 50% à 70 % de plus pour les variants. Il n’y a qu’à voir ce qui s’est passé aux Etats-Unis, en Europe, en Amérique latine et en Inde. Il faut que les citoyens prennent conscience qu’il y a une augmentation progressive des cas avec la propagation des variants. Il est important de respecter les mesures barrières tels que le port du masque et la distanciation sociale surtout dans les espaces fermés tels que les marchés, les lieux de travail et les moyens de transports. Il faut aussi que les pouvoirs publics contrôlent et fassent respecter ces mesures barrières. C’est la seule solution qui nous reste, car pour le moment la situation de la campagne de vaccination est difficile. J’interpelle aussi les pouvoirs publics pour trouver les moyens malgré les difficultés d’accélérer la campagne de vaccination.
Faut-il maintenir la fermeture des frontières dans un tel contexte épidémiologique ?
La décision de l’ouverture des frontières est une décision qui revient au Président de la République en premier lieu. Mais en tant qu’experts, je peux dire que l’ouverture des frontières est tributaire de la situation épidémiologique des autres pays. Pour l’instant, l’Algérie est dans une situation nettement meilleure que celle de nos voisins où des pays européens où la situation est catastrophique. De ce fait, on ne peut pas ouvrir les frontières tant que la situation ne s’améliore pas dans ces pays. Concernant la reprise des rapatriements, cela doit se faire dans des conditions très strictes. Elle ne peut se faire que pour les personnes qui ont des tests PCR négatifs avec l’obligation de confinement, suivi d’un second test PCR pour détecter les risques de présence de variants. Sinon, il faut attendre que la situation qui est en train d’exploser en Europe, et qui est en zone rouge, s’améliore car c’est avec eux qu’on a le plus grand nombre de trafics aériens.