L’écrivain, metteur en scène, journaliste et poète Mohamed Badaoui a animé, samedi dernier, une conférence intitulée «Ecrire pour qui, pourquoi et en quelle langue ?», suivie d’une vente-dédicaces de son recueil de poésies et de proses paru aux éditions Helium, intitulé « Schiste et Mica». Un ouvrage hautement esthétique accompagné graphiquement par l’artiste plasticien Mehdi Bardi Djelil.
La rencontre s’est déroulée, en cette belle journée hivernale ensoleillée de samedi, au milieu du cadre naturel de l’espace Dar El Hikma. Une bibliothèque urbaine située au cœur du parc de la Liberté (ex-parc de Galland) de la rue
Didouche-Mourad, à Alger.
Lors de cette conférence, Mohamed Badaoui a mis en relief l’importance cruciale de l’écriture dans la construction des individus, de la société et de toute civilisation. Il souligne à ce sujet que l’écriture est capitale pour la transcription de la mémoire et sa transmission, estimant que c’est l’essence même de toute civilisation à travers les siècles.
Le conférencier affirme ainsi que «l’acte d’écriture et, par ricochet, celui de la lecture, est fondamental aussi pour la construction de la personnalité de chacun, l’acquisition des connaissances et de la rigueur ainsi que la transmission des valeurs humanistes».
L’écriture, élément crucial
Dans cet esprit, il partage sa définition de l’écriture en déclarant que «c’est une définition un peu prosaïque de l’écriture, elle permet le stockage de la mémoire», en précisant que « l’écriture permet de former la mémoire du peuple et des groupes, en général. Elle est au centre de la civilisation et du développement de l’esprit humain. On ne peut développer notre humanité et les valeurs humanistes que l’on transmet à nos enfants qu’à travers l’écriture et lecture».
Mohamed Badaoui insiste aussi sur le fait que « je suis devenu un militant de l’écriture car il y a une situation d’urgence aujourd’hui, car de par mon expérience, il y a le constat effarant que l’écriture n’est pas maîtrisée dans notre société. Il est temps que l’on prenne conscience que l’écriture est très importante pour la société, car sans écriture, il n’y a pas de civilisation». L’auteur, aux multiples talents, aborde ensuite sa propre expérience dans le domaine de l’écriture, une passion qu’il avait depuis qu‘il était tout jeune et sans cesse reportée à cause de son cheminement de vie, jusqu’à ce qu’elle naisse de mille éclats. Il répond à la question pour qui écrire ? En confiant : «J’écris déjà pour établir un dialogue avec les personnages, parce que je les trouve intéressants et, en fait, je leur donne la langue pour qu’ils décrivent leurs conditions. En second lieu, j’écris aussi pour établir un dialogue entre les personnages et les lecteurs.»
Mohamed Badaoui, dont l’expérience d’écriture se déploie dans plusieurs styles, ajoute aussi que sa démarche d’écriture est loin des critères commerciaux mais aspire surtout à être utile aux lecteurs. Il explique à ce sujet que «dans certains moments difficiles de ma vie, je trouvais les réponses dans les livres. Je lis un livre et comme par magie, je trouve la description de ma situation, une façon de vivre et de voir les choses et, parfois, même des solutions. C’est comme cela que j’aimerais aussi être utile à quelqu’un qui me lit comme les auteurs que j’ai lus qui m’ont été utiles».
«Shiste et Mica», l’expression de fortes émotions
A propos de son expérience poétique, avec la publication l’année passée de son premier recueil «Shiste et Mica», publié aux éditions Helium, il souligne qu’ «un poème ne s’écrit pas la tête froide, il est toujours accompagné d’une forte émotion, qu’elle soit une émotion froide ou incandescente». En ajoutant que «si ce n’est pas une émotion, c’est un état qui dure. Qui est soit tragique, soit euphorique. On essaye de le décrire, sans en parler, comme un médecin ou un psychologue, mais de l’écrire avec des images».
La rencontre littéraire avec Mohamed Badaoui était marquée par la présence d’un auditoire éclectique de différentes générations, dont des gens des médias, des lycéens, des étudiants, des curieux de passage dans le jardin public, qui ont prolongé leur halte, et aussi des lecteurs qui ont voulu rencontrer l’auteur.
Un espace dédié à la littérature au «parc de la Liberté»
Omar Meziani, fondateur et responsable des éditions Helium, nous confie à propos de cette initiative, organisée dans le cadre exceptionnel du parc de la Liberté, qu’il cherchait un lieu pour organiser des rencontres littéraires et des vente-dédicaces, avec la volonté de sortir de ce qui se faisait habituellement et du cadre des espaces fermés classiques. Ainsi, il souligne que qu’«une fois, en descendant vers Didouche-Mourad et passant par le jardin public, j’ai découvert cet espace original, où il y avait des jeunes qui jouaient de la musique et d’autres qui consultaient la bibliothèque urbaine, que j’ai trouvé riche d’ouvrages intéressants. Comme j’ai des livres en dépôt-vente à la librairie 88 d’Ahmed Madi des éditions Dar El Hikma, j’ai demandé s’il était possible d’avoir cet espace et d’en faire une expérience pilote et voir comment les gens réagiraient lors d’une rencontre littéraire en plein air». Le responsable des éditions Helium ajoute que « ce qui est intéressant dans ce genre d’expérience, c’est que cela permet une rencontre de proximité avec les lecteurs dans un espace ouvert à tous les publics. C’est aussi un chalenge pour l’auteur de captiver son auditoire et, aujourd’hui, on est content d’avoir gagné quelques nouveaux lecteurs. C’est toujours çà et on va essayer d’établir une tradition pour ce genre de rencontres».
Les éditions Helium, une scénographie combinant écriture et graphisme
A propos des éditions Helium, Omar Meziani, qui est à la base artiste plasticien, nous confie qu’il est devenu éditeur par «déformation artistique. «Parce que lorsque j’étais étudiant à l’Ecole des Beaux-Arts, je faisais des installations de livres-objet et c’est aussi une déformation professionnelle, parce que j’ai travaillé dans le montage d’expositions et parfois commissaire d’exposition. Donc, en tant qu’éditeur, j’œuvre à faire combiner un artiste plasticien, qui a une démarche graphique, et un auteur qui a une démarche littéraire». Poursuivant qu’«il est important pour moi que chacun aille dans sa démarche et se retrouve dans l’absolu. En fait, ils traitent du même sujet, mais chacun à sa manière». Omar Meziani précise aussi que «j’essaye de trouver le bon artiste qui va avec le bon auteur et de les publier dans un livre qui combine aussi le format du beau livre et le livre simple pour le rendre accessible à un plus large public. Mon travail d’éditeur est un travail de scénographe pour trouver un cheminement entre les deux expressions. Je prends tout mon temps pour cela et en moyenne j’édite un à deux livres par an».
L’éditeur nous annonce déjà le prochain ouvrage qui sera publié par les éditions Helium, en l’occurrence une traduction du diwan de la poésie chaâbi par Mohamed Badaoui avec l’accompagnement graphique de l’artiste plasticien Ahmed Stambouli. Il confie à ce propos : «J’ai choisi Mohamed Badaoui pour la traduction, car je voulais une implication de l’auteur et non pas une traduction littéraire et directe. Je voulais que l’auteur s’accapare de la « qacida» chaâbi en en faisant une poésie personnelle, tout en respectant la linguistique, le thème et l’idée globale de la qacida». Il poursuit au sujet du choix de l’artiste Ahmed Stambouli : «J’ai trouvé en lui un artiste qui travaille dans le populaire et qui a une expression populiste tout en restant égal à lui-même.»