M’hamed Rebah, journaliste et auteur d’ouvrages sur les questions d’écologie et de biodiversité en Algérie. Il fait partie des rares personnalités du monde de l’information et de la communication à porter un regard permanent et de spécialiste sur les thèmes liés à l’environnement et au milieu naturel dans notre pays, qu’il explore aussi bien sous l’angle institutionnel qu’associatif et de terrain… Entretien.

Reporters : Régulièrement, des personnalités et des associations lancent des alertes sur les périls qui menacent nos zones humides. Récemment, c’est un collectif qui s’est inquiété du sort de la zone de Beni Belaïd, dans la région de Jijel, où le pâturage sauvage et le braconnage dégradent le milieu naturel…
M’hamed Rebah :
Il est plutôt rare d’entendre parler des zones humides en dehors de la Journée mondiale qui leur est consacrée le 2 février de chaque année. Elles sont oubliées, un peu comme les «zones d’ombre» qui, elles, ont pu faire irruption dans l’actualité nationale quotidienne et s’y installer durablement parce que le Président Abdelmadjid Tebboune a décidé, à juste titre d’ailleurs, qu’il fallait s’y intéresser. En quelque sorte, les zones humides sont les zones d’ombre de l’écologie algérienne. Par extension, on pourrait affirmer, aussi, que l’écologie, elle-même, est, en Algérie, une grande zone d’ombre, négligée, délaissée et sans moyens.
La carte des zones humides montre qu’elles sont en grande partie situées dans des lieux définis par le discours officiel comme «zones d’ombre». Elles sont entourées d’activités agricoles ou pastorales, vivrières, quelquefois pour l’autoconsommation, menées par des populations qui vivent dans les conditions de précarité, privées des services publics de base, comme l’alimentation en eau potable et le réseau d’assainissement, la distribution de l’énergie (électricité et gaz), la desserte en transports en commun, une voirie inexistante… et assez souvent, aussi, loin de la loi.
Les zones humides donnent aux fellahs riverains l’eau pour irriguer leurs parcelles et elles reçoivent en retour des eaux usées de drainage agricole, ou déversées directement depuis les habitations toutes proches et par les activités artisanales et éventuellement industrielles, auxquelles s’ajoutent les déchets de tous types qui sont déposés sur les berges. Autres menaces, citées par les spécialistes, l’arrachage extensif, la coupe et brûlis de la végétation, le défrichement, le braconnage et, inévitablement, les constructions illicites en dur qui achèvent de détruire les atouts naturels des zones humides.
Plus spécialement, concernant la zone humide de Beni Belaïd, dans la région de Jijel, le pâturage intensif – qui entraîne l’érosion du couvert végétal et de ce fait l’envahissement par les dunes de sable – ainsi que le braconnage et le pillage des nids d’oiseaux, considérés par les riverains comme sources de revenus, provoquent des dégâts qui risquent d’être irréversibles si rien n’est fait pour y remédier.
Pourtant, les experts décrivent les zones humides comme des «espaces de vie d’une très grande valeur qui offrent de nombreux services éco systémiques tels que la biodiversité, l’approvisionnement en eau, l’épuration de l’eau, la régulation du climat, la maîtrise des crues, la protection des littoraux, des fibres utiles, l’inspiration culturelle et spirituelle et le tourisme». Pour une meilleure gestion et valorisation de ces sites, la Direction générale des forêts (DGF), point focal de la Convention de Ramsar pour l’Algérie, a élaboré la Stratégie nationale des zones humides 2015-2030.
Les écologistes constatent qu’il y a un besoin urgent de sensibilisation à tous les niveaux de la société, d’abord les riverains et les autorités locales, sur les raisons pour lesquelles les zones humides doivent être protégées et gérées de manière durable.
Beni Belaïd est-elle l’exception ou la règle en ce qui concerne le danger qui plane sur la biodiversité dans notre pays ?
La zone humide de Beni Belaid bénéficie d’une grande attention de la part des écologistes et des institutions spécialisées. Elle est classée sur la liste Ramsar d’importance internationale, qui compte, pour notre pays, 50 sites totalisant 3 032 813 hectares. Selon les statistiques officielles de la DGF, l’Algérie compte, aujourd’hui, 2,375 zones humides, composés de 2 056 zones humides d’origine naturelle et 319 d’origine artificielle. Depuis la ratification de la Convention de Ramsar par l’Algérie, en 1982, de nombreuses activités, notamment des inventaires et des plans de gestion, ont été menées. C’est à Beni Belaïd que le premier plan de gestion intégrée des zones humides en Algérie a été mis en œuvre en 1996 avec l’appui de l’initiative Medwet, un programme spécifique aux zones humides méditerranéennes. Cela n’empêche pas les atteintes à son équilibre naturel et à sa biodiversité, comme l’attestent les alertes lancées par les écologistes locaux. Son cas n’est pas particulier.
La situation du complexe des zones humides de Guerbes-Sanhadja (42 100 hectares), dans la wilaya de Skikda, est décrite dans un document du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), daté du 19 février 2020, qui cite les «fortes pressions anthropiques mettant en péril son existence» : l’extension de l’agriculture, le défrichement à grande échelle des terres forestières pour faire place à des cultures spéculatives saisonnières, l’extraction incontrôlée et parfois illégale de dunes de sable à l’intérieur des terres, les rejets d’eaux usées. C’est, en résumé, le sort de presque toutes les zones humides, en ajoutant pour certaines le dépôt de déchets de toutes sortes à proximité. Circonstance aggravante pour les zones humides qui sont, comme Guerbes-Sanhadja, sur les plaines littorales ; elles abritent une riche et exceptionnelle biodiversité, caractéristique du bassin méditerranéen.
En fait, déjà soumis aux effets néfastes du changement climatique, les zones humides sont fragilisées à l’extrême par les activités humaines qui les entourent et les agressent. Les mêmes erreurs d’aménagement ont tendance à se répéter sur ces espaces quand ils tombent entre les mains de promoteurs qui sont attirés par leurs caractéristiques, apparentes, de lieu idéal pour des infrastructures de loisirs, mais qui sont totalement indifférents aux nuisances qui accompagnent ces infrastructures, dont les moindres ne sont pas le bruit inhabituel dans un endroit fréquenté par les oiseaux d’eau qui ont besoin de calme, et le dépôt des déchets que des visiteurs dépourvus de civisme, et malheureusement ils sont nombreux, ne manquent pas d’abandonner en partant.

Quel état des lieux peut-on faire aujourd’hui en ce qui concerne l’environnement en Algérie ?
Pour l’état des lieux de l’environnement en Algérie, il y a d’abord, ce qui est directement perceptible par chacun, la saleté ambiante, avec des tas de déchets quasiment à tous les coins de rue, le bruit, lié à la circulation automobile (klaxons abusifs, coups de sifflets, musiques à fond…) et celui provoqué par les activités dites de loisirs, les gaz d’échappement des véhicules qui roulent en grande partie au gas oil. Ces sources de dégradation de l’environnement affectent le cadre de vie en milieu urbain et en milieu rural. Moins perceptibles par tous, les problèmes globaux comme le changement climatique dont les effets sont particulièrement ressentis par les agriculteurs. Il y a, enfin, ce qui n’est pas visible, par exemple, l’impact des produits et déchets dangereux sur le milieu naturel et sur la santé de la population. Le «Rapport national sur l’état et l’avenir de l’environnement», qui est, nous dit-on, en cours de finalisation au niveau du ministère de l’Environnement, permettra de savoir où on en est exactement.

La nomination récente, quoique tardive, au niveau de la Présidence de la République d’une conseillère chargée de l’écologie, en la personne de l’ancienne ministre de l’Environnement, Dalila Boudjema (qui a été en charge de l’environnement dans les quatre gouvernements Sellal successifs, de septembre 2012 à mai 2017), ne peut que réconforter les écologistes. Est-ce le signe qu’en haut lieu, l’écologie n’est pas oubliée ? Ou alors, est-ce lié aux obligations découlant des engagements internationaux de l’Algérie, qui a ratifié la plupart des instruments juridiques qui constituent le Droit international de l’environnement ? Ou, ce n’est pas exclu, pour une autre raison, politique, celle-là ?
L’Algérie reste perçue comme un pays «moins regardant» sur les questions écologiques quand elles constituent une entrave pour les projets économiques. Sans le sursaut exemplaire de protestation, au début 2015, des habitants d’In Salah, riverains du bassin d’Ahnet, où se trouvait le premier forage pilote algérien de gaz de schiste, on en serait sans doute, à ce jour, à constater avec amertume les atteintes à l’environnement qu’aurait causé cette activité.
Actuellement, sur le terrain, les preuves concrètes du changement dans la prise en charge des préoccupations écologiques, ne sont pas encore évidentes dans la démarche du gouvernement. Le droit environnemental en Algérie est assez fourni pour permettre de protéger les ressources naturelles et les écosystèmes, face à une exploitation non écologique motivée par le profit visé par les opérateurs économiques. Mais les dispositions législatives concernant l’environnement sont toujours traitées comme un droit de seconde zone dont l’application est facultative et la violation tolérée. Conséquence directe, du côté de la population, le comportement éco-citoyen reste une pratique rare, l’incivisme domine, encouragé parfois par des autorités locales qui traitent avec une surprenante légèreté la loi sur l’environnement.
Le droit constitutionnel à un environnement sain, reconnu aux Algériens par la Loi fondamentale, ne signifie pas qu’il est respecté et appliqué automatiquement. Il y a, souvent, une sorte d’«état d’exception» environnemental dicté par des considérations strictement locales, à caractère politique ou commerciale.
L’ambiance de laxisme conduit à des constats d’inconséquence dans la démarche du ministère de l’Environnement, préjudiciables à la crédibilité des actions menées, notamment vers les enfants pour leur inculquer une culture environnementale qui se traduirait dans leur comportement quotidien.

Pourquoi un ministère comme celui de l’Environnement n’est-il pas si audible que l’exige la situation actuelle, qui est tout sauf rassurante ?
Le ministère chargé de l’Environnement a été progressivement réduit aux actions de sensibilisation et de communication, focalisées sur la gestion des déchets ménagers, ponctuées d’opérations-pilotes qui consistent à répéter indéfiniment les expériences de tri des ordures, parfois dans la même ville, sans jamais commencer réellement à le faire.
Le ministère de l’Environnement est ainsi tenu à l’écart des vrais problèmes qui résident dans les menaces liées aux activités économiques. Depuis quelques années, des pressions multiples, internes et externes, sont exercées, sous couvert de ce que l’on appelle «amélioration du climat des affaires», pour faire l’impasse sur le critère de protection de l’environnement, souvent considéré comme un obstacle à l’investissement. Il y a la tentation de sacrifier l’écologie sur l’autel du «climat des affaires» pour faire plaisir aux institutions financières internationales. Elles nous «gratifieront» d’une bonne note qui ne compensera jamais les dégâts irréversibles causés à la nature en Algérie. Certains «experts» pensent que le salut de l’économie algérienne réside dans la suppression des autorisations pour laisser les «investisseurs» – dans l’industrie, l’agriculture et les services – engranger des profits sans retenue et au détriment de l’environnement.
Actuellement, les priorités du gouvernement sont orientées sur la relance de l’économie et l’amélioration du climat social, dans une situation sanitaire défavorable créée par la pandémie de Covid-19. Le ministère de l’Environnement s’accroche au «wagon» de la relance voulue par le gouvernement, et adopte, invariablement, un discours qui vante les mérites de l’économie circulaire (centrée sur la valorisation des déchets) sans, toutefois, l’inscrire dans une politique nationale de l’environnement qui n’existe pas encore. Le travail de communication, de sensibilisation et d’éducation pâtit de cette lacune et les efforts qui ont été déployés dans ce sens, montrent vite leurs limites à travers les résultats insuffisants que l’on peut constater sur le terrain.

Pourquoi n’arrive-t-on pas à protéger suffisamment et correctement et les zones humides et le patrimoine environnemental, en général ?
Les zones humides n’ont pas toute l’attention que mérite la diversité de richesses qu’elles recèlent, tout comme d’ailleurs les autres écosystèmes en Algérie, marins, littoraux, forestiers et montagnards, steppiques, sahariens.
D’une façon générale, les problèmes d’environnement ont été aggravés par la politique de «libéralisation» commencée dans les années 1980. Le désengagement quasi-total de l’Etat, de nombre de ses tâches de contrôle des activités économiques et, dans le même temps, le délaissement évident par les autorités locales de leurs attributions touchant aux services publics de base, au profit de ce qui paraissait plus lucratif, comme la distribution du foncier aux promoteurs immobiliers, ont eu pour conséquence une grave sous-estimation de la protection de l’environnement, mise en évidence par les deux (seuls, à ce jour) rapports officiels sur l’état de l’environnement, établis en 2000 et en 2005.

En 2019, en plein été, le ministre de l’Intérieur, en charge, également, des Collectivités locales et de l’Aménagement du territoire, a montré un intérêt inhabituel pour la lutte contre la pollution du littoral provoquée par les rejets industriels, en donnant instruction aux walis des villes côtières, de sanctionner les entreprises industrielles à l’origine de rejets polluants dans les plages et les oueds. Evidemment, son instruction est restée sans lendemain. Le même été, la ministre de l’Environnement a évoqué sur le plateau du Journal télévisé de la chaîne publique, les difficultés à recouvrer la taxe sur l’enlèvement des ordures ménagères (TEOM), alors que cette taxe annuelle, établie au profit des communes dans lesquelles fonctionne un service d’enlèvement des ordures ménagères, existe depuis 1992. Pourquoi, aucun des ministres qui se sont succédé à la tête de ce département après 1992, à ce jour, n’a pu donner son opérationnalité au dispositif fiscal écologique ?
Au fil du temps, il s’est créé, tacitement, une sorte de «compensation» entre, d’une part, les autorités locales qui décident sur des domaines qui concernent directement le citoyen, sans le consulter, et ne rendent compte à personne et, d’autre part, le citoyen qui se conduit comme il veut, «endirou raïna» (on n’en fait qu’à notre tête), selon le slogan de certains jeunes manifestants du vendredi et du mardi, assuré de ne pas être sanctionné s’il est en infraction en matière d’atteinte à l’environnement. C’est le faux principe de «tout le monde trouve son compte». Personne n’a voulu rompre cet «équilibre», caractéristique du «système» pourtant rejeté dans les slogans des manifestants du vendredi.
Le formidable potentiel qu’offre le mouvement associatif n’est pas suffisamment mobilisé alors qu’il est en mesure de donner une plus grande impulsion aux efforts visant à faire émerger l’éco-citoyenneté et faire renaître le civisme qui existait dans notre pays. Evidemment, les institutions de l’Etat, particulièrement à l’échelle locale, c’est-à-dire l’Assemblée populaire communale (APC), doivent donner l’exemple en matière de respect des dispositions législatives et réglementaires de protection de l’environnement.
L’élargissement des missions du Cnes au domaine de l’environnement, qui devient Conseil national économique, social et environnemental, donne à la société civile un cadre de participation à la concertation sur tout ce qui touche à l’environnement. Il reste aux écologistes à renforcer leurs associations afin d’intervenir dans la définition de la stratégie environnementale nationale, et dans le contrôle de son application sur le terrain, pour mettre un terme aux agissements qui portent atteinte à l’environnement.

Où en est l’Algérie par rapport à la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services éco-systémiques (IPBES en anglais) ?
L’élaboration de la Stratégie et du Plan d’action, nationaux, pour la biodiversité 2016-2030 (SPANB) a été motivée principalement par le souci de l’intégration de la biodiversité dans les plans de développement économique et sectoriel, du fait de son impact sur l’alimentation, la santé et, plus largement, le bien-être des Algériens. L’élaboration du Sixième rapport national de l’Algérie à la Convention sur la diversité biologique a relevé divers indices qui démontrent des progrès dans ce sens, à travers notamment des mesures législatives et institutionnelles et une meilleure connaissance du patrimoine algérien dans ce domaine. Cela concerne particulièrement le réseau des parcs culturels (l’Ahaggar, le Tassili n’Ajjer, l’Atlas saharien, le Touat Gourara-Tidikelt, et le Parc de Tindouf) qui comportent une diversité biologique aussi remarquable que vulnérable aux menaces diverses.
La biodiversité algérienne, très riche, est «soumise à de nombreuses pressions anthropiques et climatiques et souffre, parmi d’autres contraintes, d’un déficit de sensibilisation du grand public, de manque de coordination intersectorielle, notamment pour partager des outils de diagnostics et des données, ainsi que d’une difficulté à mettre en œuvre des législations en place. En effet, les moyens alloués à la biodiversité sont insuffisants. Les ressources humaines et les budgets nécessaires ne sont pas pour l’instant mobilisés à la mesure nécessaire. » Ce sont les experts auteurs du document appelé « la Stratégie nationale pour la biodiversité et son Plan d’action 2016-2030 », qui l’affirment.
Le braconnage est cité par les experts comme une des menaces sur la biodiversité. Les informations sur les saisies d’espèces animales protégées chassées illégalement en Algérie sont devenues récurrentes dans les médias locaux, ce qui laisse penser que ce phénomène a tendance à prendre de l’ampleur, avec même les allures d’un crime organisé. Des cadres de l’Administration des forêts ont suivi une formation d’officiers de police judiciaire pour donner plus d’efficacité à la lutte contre le braconnage.

Dans les programmes nationaux de communication sur la promotion et la préservation du milieu naturel, le langage dominant reste celui de l’institution chargée des questions de l’environnement. Il est suivi par celui, apparemment plus fort et plus attractif, du département et des organisations s’occupant de tourisme. Tout le problème est que la première n’est pas à considérer comme un « décideur » et un poids lourd quand il s’agit d’intervenir pour préserver des zones menacées de notre patrimoine naturel, les seconds représentent un secteur qui attire peu de monde quand il ne représente pas lui-même une menace à l’environnement. Que faire dans ce cas ?
L’environnement est l’affaire de tous. Ce principe est constamment vérifié dans la pratique des citoyens et des institutions. Les ministères de l’Environnement et du Tourisme apparaissent comme les plus concernés, l’un parce que c’est sa vocation même, et l’autre parce que le milieu naturel est sa «poule aux œufs d’or». Les deux ministères développent chacun de son côté une communication institutionnelle qui manque d’efficacité à cause essentiellement de l’absence d’une véritable politique nationale de l’environnement. Ainsi, champion des campagnes de sensibilisation sur la gestion des déchets et toujours empressé de lancer des opérations pilotes de tri sélectif, le ministère chargé de l’Environnement a, par contre, régulièrement brillé par son laxisme jusqu’à la défection, quand il s’agit d’empêcher les activités économiques qui portent atteinte au milieu naturel et à la santé des populations riveraines. Ce qu’il faut faire ? Les stratégies de communication concernant l’environnement doivent être appliquées et non pas rangées dans un tiroir, et oubliées. Il faut associer les populations concernées à l’élaboration des décisions et à leur mise en œuvre. Et surtout, pas de mensonges. Un exemple à ne pas reproduire, en juillet 2104, à propos du gaz de schiste, des voix officielles avaient tenté de rassurer, par le mensonge, en affirmant que les zones d’exploitation en Algérie sont situées loin des régions peuplées. On se rappelle de la visite officielle, de rang ministériel, effectuée à In Salah à la fin 2014 par le ministre de l’Energie, Youcef Yousfi, accompagné du ministre des Ressources en eau, Hocine Necib, et de la ministre de l’Environnement, Dalila Boudjemaa, et de journalistes chargés de couvrir l’événement. Ils étaient venus constater le «succès» des premiers forages de puits de gaz de schiste en Algérie, à Dar Lahmar, à 28 km d’In Salah, puis tous avaient repris l’avion pour Alger, sans un regard vers la population riveraine du site, qui connaîtra par les médias les détails de la visite et de la déclaration «triomphale» du ministre de l’Energie. Interprétée comme une marque de mépris, cette «maladresse» avait contribué à mobiliser la population et à radicaliser sa position à l’égard de l’opération d’exploration du gaz de schiste menée dans son voisinage.

Vous êtes à cheval entre l’environnement et la presse pour laquelle vous apportez votre contribution en tant que journaliste spécialisé. Que peuvent les médias pour la préservation du milieu naturel et de la biodiversité dans notre pays ?
Le rôle des médias se reflète dans l’opinion publique, grâce à la forte incidence qu’ils ont sur ce que pensent les gens à propos des événements qui les marquent. L’écologie est un thème de plus en plus présent dans les médias. Les journalistes rapportent et dénoncent les atteintes à l’environnement. Mais leur travail est rarement suivi d’effet, c’est-à-dire par des actions des pouvoirs publics.
Au niveau des institutions qui ont un rapport plus ou moins direct avec la protection de l’environnement, les responsables ne semblent pas accorder d’attention aux alertes lancées par les journalistes. A titre d’exemple, les ministères et établissements publics concernés ont tous un service communication qui réalise quotidiennement une revue de la presse, mais celle-ci est très souvent archivée sans avoir été exploitée. Ainsi, les nuisances sonores sont régulièrement évoquées et dénoncées par la presse algérienne qui se fait l’écho du mécontentement qu’elles provoquent dans la population, mais du côté des autorités, à quelques exceptions près, aucun écho aux plaintes.
Les institutions chargées de la politique environnementale dans tous les domaines gagneraient à organiser des sessions de formation pour les journalistes qui ont besoin d’informations et de connaissances suffisantes pour contribuer à diffuser dans la population la culture environnementale. Ces institutions gagneraient aussi à maintenir le contact avec les médias pour être à leur écoute et pas seulement pour leur distribuer les communiqués.

De nombreux reporters-photographes et de nombreux professionnels indépendants ont réalisé des travaux intéressants sur la nature en Algérie sans que leur contribution ne soit réellement connue du grand public ou suivie d’une véritable réflexion sur la dégradation de notre patrimoine. Faut-il davantage les mettre en avant et relever l’importance de leurs réalisations ?
A ce propos, voici une information qui sort de l’ordinaire. Dix-sept femmes qui habitent des villages situés dans les sites de parcs culturels en Algérie, membres du réseau de suivi de la biodiversité dans les parcs culturels, ont été dotées d’appareils photos et initiées à leur utilisation par un programme de formation sur le terrain, pour participer au contrôle et à la surveillance de la biodiversité. C’est la preuve de l’importance accordée à la photo par les responsables de ce réseau de protection des parcs culturels qui abritent une biodiversité remarquable.
Dans le monde des médias, s’agissant particulièrement de la biodiversité, la photo est irremplaçable pour montrer les merveilles de la nature mais aussi – exercice plus difficile- pour attirer l’attention sur les menaces qui pèsent sur la nature.
Seulement, le travail des reporters-photographes n’est pas valorisé auprès du grand public, alors que leurs réalisations sont d’un grand apport pour la diffusion de la culture environnementale qui permet de changer de comportement à l’égard de la nature.