Reporters : C’est les vacances d’hiver à partir de ce jeudi pour les établissements des trois paliers de l’Éducation nationale. Quel bilan peut-on tirer du déroulement des cours depuis le 21 octobre dans le contexte pandémique ?
Meziane Meraine : Tout d’abord, ces vacances scolaires entrent dans le cadre de l’application des rythmes scolaires. L’enfant doit se reposer au sens propre du terme après une activité scolaire de quatre à cinq semaines, l’enfant doit se reposer au moins quatre jours.
Entre l’école, les devoirs, les amis, les activités extrascolaires, la tablette ou le portable qu’utilisent nos enfants pour se distraire, l’emploi du temps chargé… tout ceci bouscule l’horloge biologique interne des élèves. Il ne faut pas, à travers une vision étriquée, voir les vacances comme une perte de temps. Certains disent huit mois d’inactivité pédagogique, pourquoi ces vacances ? C’est une vue étriquée. Ce repos est utile pour l’enfant pour recharger ses batteries. Les cours se déroulent, malheureusement, par groupe par nécessité du respect de la distanciation sociale imposée par l’application du protocole de santé contre la Covid, avec des conséquences très difficiles pour avancer dans le programme.
On a suggéré de passer à la méthode d’enseignement pédagogique interrogative au lieu de celle appliquée en temps habituel, expositive, malheureusement, on n’a pas été écouté. Il s’agit pour nous de faire des résumés très succincts, supprimer certaines notions théoriques et les mettre sous forme pratique. Hélas, on a continué à travailler comme en temps ordinaire et les conséquences sont là surtout pour les classes d’examen.

Exceptionnellement, il n’y a pas eu d’évaluation pédagogique des élèves qui n’auront, cette année, que deux compositions trimestrielles (en février et juin). Qu’en pensent les enseignants sur le répondant des élèves en matière d’assimilation des programmes et de compréhension sur les trois mois de cours ?
L’évaluation a un rôle très important dans la façon dont les élèves apprennent, avec au préalable des objectifs bien déterminés, notamment savoir comment motiver les élèves à apprendre et la façon que les enseignants utilisent pour enseigner. L’évaluation doit avoir plusieurs buts. Elle doit éclairer les enseignants sur ce que les élèves comprennent et ce qu’ils n’ont pas compris.
L’évaluation doit permettre aussi aux élèves de prendre conscience de leurs méthodes d’apprentissage et d’en profiter pour arranger et faire améliorer leur apprentissage. Fondamentalement, sur la base des résultats obtenus, on passe à la remédiation. On ne doit pas voir dans les notes des élèves un objectif de sanctions mais un outil pour améliorer ses connaissances avec une prise de conscience réelle. Maintenant, il faut reconnaître une chose, les huit mois d’inactivités pédagogiques ont eu des conséquences néfastes sur nos enfants. Il a fallu un mois de travail pour que les élèves reprennent les mécanismes d’apprentissage. C’était très dur, il faut bien l’admettre, mais, actuellement, le mécanisme biologique est bien huilé.

Les organisations syndicales du secteur ne comptent-elles pas tenir une réunion d’évaluation de cette période de scolarité exceptionnelle pour une meilleure lecture de son déroulement en identifiant ce qui a bien fonctionné et ce qui ne l’a pas été ?
Les six principales formations syndicales qui composent l’Intersyndicale de l’Education et qui sont dans la Confédération (CSA) ont tenu trois réunions, deux par zoom et une avec présence physique. On a évalué et discuté de tous les problèmes de la rentrée, avec difficulté au départ, de l’application du protocole de santé, la surcharge du volume horaire de l’enseignant, le pouvoir d’achat et d’autres problèmes. On envisage de les exposer lors d’une conférence de presse des six syndicats prochainement.

Peut-on dire, aujourd’hui, que la tutelle est en train de réussir le pari de maintenir ouvertes les écoles dans un contexte pandémique fortement appréhendé au début et qu’appréhendez-vous à présent ?
Réussir le pari de maintenir les écoles ouvertes dépend de certains objectifs assignés à l’école. L’école a d’abord pour but d’accompagner l’enfant dans sa vie d’apprenant, de passer d’un stade enfant à un stade préadolescent puis, adolescent. L’école lui apprend à faire face aux problèmes de la vie quotidienne. L’école sert aussi à maintenir le cerveau humain en mobilité pour qu’il ne se «rouille» pas, avec les maths, la physique… On doit aller à l’école car nous vivons dans une société régie par des lois qui doivent s’imposer à tous, et chez nous, l’école est obligatoire jusqu’à 16 ans. L’école est aussi là pour apprendre à l’enfant à lire, à écrire, à compter, à se cultiver et à travailler.
Bon an mal an, on a repris mais mes appréhensions, c’est le retard accumulé qui va accentuer la baisse de niveau qui n’est déjà pas brillante. L’école est une institution qui détermine le chemin que suit un Etat, soit l’école le propulse vers le progrès, soit vers des lendemains incertains ou vers l’obscurantisme. Mon appréhension est que notre école continue à naviguer au gré du vent, comme un bateau en plein milieu de l’océan. Des promesses de réforme qui n’ont pas vu le jour à cause de la pesanteur idéologique. Pour réussir, il faut bien former le formateur, malheureusement, on n’accorde pas beaucoup d’importance à la formation de l’enseignant.
Aujourd’hui, globalement, l’Ecole algérienne reproduit les phonèmes sociaux. Il serait illusoire de penser qu’elle parviendra seule à réparer ce qui relève de défauts systémiques. Il faut donc s’attaquer simultanément aux politiques économiques et sociales et aux défauts propres à l’école.