Le palmarès de la 45e cérémonie a été dévoilé vendredi 28 février à la salle Pleyel et n’a pas comblé tout le monde, après un vibrant hommage rendu par l’image à tous les disparus du monde du cinéma et avant tout à leur apport au cinéma français.

DE PARIS, JACKY NAIDJA AVEC INES ILIANA
Alors que « J’accuse » de Roman Polanski rafle 4 Césars au cours d’une soirée, annoncée à risques et tellement mouvementée, le film  « les Misérables » sort grand vainqueur d’un palmarès avec trois distinctions, tandis que « la Belle époque » de Nicolas Bedos est nommé à trois reprises aussi. « Papicha » faisant la belle avec 2 Césars pour Mounia Meddour et Lynda Khoudri vient à nouveau honorer le cinéma algérien. Le film algérien, tourné à Alger, selon Mounia Meddour, sa réalisatrice « a nécessité 7 ans de travail pour raconter une histoire de femmes sur leur combat de femmes en Algérie ». Malgré un visa d’exploitation délivré en bonne et due forme, boycotté par  les autorités algériennes qui ont annulé son avant-première annoncée le 21 septembre dernier, il vient d’être couronné aux Césars par deux prix, après avoir été reçu aux Oscars. Une telle renommée du film n’explique pas cette censure qui ne dit pas son nom, alors que le cinéma algérien se porte mal,  malade de son organisation. Et pourtant ses succès font le bonheur des Algériens et de leur cinéma. Cette 45e cérémonie des Césars, symbole du septième art français, s’est ouverte pourtant sur fond de polémique en présence d’un public omniprésent dans la salle Pleyel qui reçoit cette prestigieuse soirée pour la quatrième fois. Elle était annoncée à risque, face au malaise qui a entouré la cérémonie  tout le long de la soirée où régnait comme une atmosphère particulière, un peu lourde, à cause bien entendu de cette crise inédite, qui a commencé en 2019,  à miner le cinéma français avec cette proposition de céder la présidence des Césars à Roman Polanski au vu du succès de son dernier film « J’accuse ». En cause également les 12 nominations de son film et sa présence largement contestée à la cérémonie. Le réalisateur, qui reste visé par des accusations de viol par 12 femmes, est encore en justice aux Etats-Unis et n’a pas cru répondre à l’invitation de la cérémonie avec son équipe. Bien au-delà de l’opposition qui s’est cristallisée sur sa personne, c’est cette fronde avant la cérémonie qui a obligé Alain Terzian de démissionner avec tout son conseil d’administration (47 membres dont 8 femmes seulement siégeant parmi 39 hommes). Et ce suite à une tribune publiée au Monde et signée par 400 personnalités du cinéma. Cette révolte de la profession, venue aussi de l’extérieur par le biais de plusieurs associations dont le collectif 50/50 qui milite pour la parité, a fait  le constat que peu de films de femmes sont nommés aux Césars par l’Académie. Ce qui légitimement a forcé encore plus leur décision de faire corps contre un système de fonctionnement et son mode de gouvernance. Ainsi, bien avant l’ouverture de la salle Pleyel, les collectifs féministes occupant les alentours de la salle ont déployé des banderoles, lancé des fumigènes avant de  placarder des affiches  et des slogans  en signe de protestation  mettant encore plus sous haute tension la cérémonie.

Polanski, le gros malaise
Tandis que s’ouvrait la soirée avec Sandrine Kiberlain en présidente et Florence Foresti en maîtresse de cérémonie -succédant à Kad Merad en 2019- aux commandes de la scène. Sandrine Kiberlain la première, avant de déclarer ouverte la 45e cérémonie, témoigne  que « le cinéma est le porte-parole et le porteur d’espoir d’un autre avenir à construire avec la parole libérée aujourd’hui ».  Florence Foresti, au charme hypnotisant et charismatique, se saisit d’entrée de ce moment clé pour tenter de réunir la profession et le public dans la bonne humeur. Laquelle s’est lancée durant 15 minutes et avec courage dans un discours sur « Ça va la diversité ? » Allusion bien ciblée sur la  composition de l’Académie avant de passer en revue les sujets les plus sensibles qui fâchent comme l’absence des femmes dans la réalisation, la parité… Mais il y eut surtout des attaques frontales à l’endroit de Roman Polanski sur son film « J’accuse » à propos de la pédophilie des années 1970, tout en adoubant la nomination de « la Jeune fille en feu » de Céline Sciamma avec une équipe à 100% féminine. Puis venant aux défections qu’elle a eu à gérer autant que l’ambiance et les tensions, elle souligne avec son humour gestuel particulier, avoir reçu de nombreux messages de mauvaises excuses et autant de mensonges de plusieurs invités connus qui se sont rétractés en dernière minute, l’obligeant à s’organiser autrement. Et c’est dans une atmosphère tendue que Florence Foresti, avec courage, a continué son show pour faire exister avant tout le cinéma et rendre plus vivant ce pacte entre le spectateur et la profession. Un cinéma français qui, il faut le rappeler, est le 4e producteur de films dans le monde. L’heure du palmarès arrivée, c’est une autre tension très palpable au sein du public qui s’est installée dès l’annonce du prix de la meilleure réalisation au film de Roman Polanski. Adèle Haenel qui, révoltée de voir le réalisateur Polanski récompensé pour sa réalisation, a quitté la salle suivie de Céline Sciamma et de toute l’équipe du film, criant au scandale et à la honte ajoutant de la tension à la tension. Tout cela n’a pas fait oublier le prestige des récompenses pour les grands vainqueurs que sont Ladj Ly pour « les Misérables »,  Roman Polanski avec « J’accuse » César de la meilleure réalisation, Roschdy Zem pour le César du meilleur acteur dans « Roubaix Une lumière » d’Arnaud Desplechin et celui de la meilleure actrice à Anais Demoustier avec « Alice et le Maire » avec  Fabrice Luccini. Fanny Ardant « la Belle époque » et Swann Arlaud « Grace à Dieu » ont décroché  les prix pour les meilleurs seconds rôles.
Florence Foresti quant à elle n’est pas revenue sur scène pour conclure et rendre l’antenne, tandis que Sandrine Kiberlain, qui a invité les récipiendaires pour la photo d’ensemble à monter sur scène, n’a pas été entendue et la photo n’a pas été prise. Le palmarès de cette 45e édition de l’Académie des Césars se terminant dans la plus grande confusion, laisse pourtant espérer tout de même que le cinéma français à travers l’Académie des Oscars entamera sûrement sa mue vers une ère nouvelle, car il y aura bien eu un avant et un après cette 45e cérémonie qui restera unique en son genre dans l’histoire du cinéma français.

PALMARES

  • Meilleur film : Les Misérables de Ladj Ly
  • Meilleure réalisation : J’accuse de Roman Polanski
  • Meilleur acteur : Roschdy Zem pour le rôle de Yacoub Daoud dans Roubaix, une lumière
  • Meilleure actrice : Anaïs Demoustier pour le rôle d’Alice Heimann dans Alice et le Maire
  • Meilleur acteur dans un second rôle : Swann Arlaud pour le rôle d’Emmanuel Thomassin dans Grâce à Dieu
  • Meilleure actrice dans un second rôle : Fanny Ardant pour le rôle de Marianne dans La Belle époque
  • Meilleur espoir masculin : Alexis Manenti pour le rôle de Chris dans Les Misérables
  • Meilleur espoir féminin : Lyna Khoudri pour le rôle de Nedjma Papicha dans Papicha
  • Meilleur scénario original : Nicolas Bedos pour La Belle époque
  • Meilleure adaptation : Roman Polanski et Robert Harris pour J’accuse
  • Meilleurs costumes : Pascaline Chavanne pour J’accuse
  • Meilleure photographie : Claire Mathon pour Portrait de la jeune fille en feu
  • Meilleurs décors : Stéphane Rozenbaum pour La Belle époque
  • Meilleur montage : Flora Volpelière pour Les Misérables
  • Meilleur son : Nicolas Cantin, Thomas Desjonquères, Raphaëll Mouterde, Olivier Goinard, Randy Thom pour Le Chant du loup
  • Meilleure musique originale : Dan Levy pour J’ai perdu mon corps
  • Meilleur premier film : Papicha de Mounia Meddour
  • Meilleur film d’animation : J’ai perdu mon corps de Jérémy Clapin
  • Meilleur film documentaire : M de Yolande Zauberman
  • Meilleur film étranger : Parasite de Bong Joon-ho
  • Meilleur court métrage : Pile Poil de Lauriane Escaffre et Yvonnick Muller
  • Meilleur court métrage d’animation : la Nuit des sacs plastiques de Gabriel Harel
  • César du public : Les Misérables de Ladj Ly