Que s’est-t-il passé lors de l’opération des forces armées maliennes à Moura entre les 27 et 31 mars 2022 ? Alors que les autorités de transition à Bamako disent que les Forces armées maliennes (Fama) ont «neutralisé» 203 djihadistes, des témoins cités par l’ONG Human Right Watch (HRW) ont fait le récit d’une masse d’exécutions sommaires de civils, de viols et d’actes de pillages commis dans ce village du centre du Mali par des soldats maliens et des combattants étrangers, présumés être Russes. Sur la scène internationale, l’affaire Moura tourne à l’affrontement politico-médiatique entre Paris et Moscou.
Par Halim Midouni
Hier, 9 avril, la Russie a bloqué une demande du Conseil de sécurité de l’ONU d’avoir des «enquêtes indépendantes» sur ce qui s’est passé à Moura. Cette demande figurait dans une déclaration rédigée par la France et soumise à l’approbation du Conseil de sécurité, vendredi 8 avril. La Russie, soutenue par la Chine, s’y est opposée, selon plusieurs diplomates cités par l’AFP. Moscou et Pékin «ne voyaient pas la nécessité» de ce texte, jugé «prématuré», alors qu’une enquête a été ouverte par les autorités maliennes, a indiqué à l’agence de presse l’un de ses diplomates sous couvert de l’anonymat.
La déclaration proposée au Conseil de sécurité soulignait la «profonde préoccupation» de ses membres «face aux allégations de violations et d’atteintes aux droits humains au Mali, en particulier celles qui auraient été perpétrées contre des civils à Moura, dans la région de Mopti, du 27 au 31 mars 2022». Le projet de texte appelait «toutes les parties au Mali à mettre immédiatement fin à ces violations et abus et à se conformer à leurs obligations en vertu du droit international applicable». Il réclamait également «des enquêtes approfondies et indépendantes pour établir les faits, trouver les responsables de ces violations et exactions et les traduire en justice».
Pour le ministère russe des Affaires étrangères, la demande d’«enquêtes indépendantes» sur une opération menée par les Fama contre des groupes djihadistes, pour poursuivre la sécurisation en cours du territoire malien, cache une arrière-pensée. Il accuse l’Occident d’avoir «mis en scène» une campagne visant à «mettre l’accent» sur «la participation de Moscou dans des crimes de guerre». Et de chercher à diaboliser la coopération militaire russo-malienne et les succès réalisés sur le terrain.
Vendredi 8 avril, la diplomatie russe a félicité le Mali pour sa «victoire importante» contre le «terrorisme». «Les forces armées du Mali ont effectué une opération militaire réussie, lors de laquelle plus de 200 combattants islamistes ont été tués dans le village de Moura», a-t-elle indiqué dans un communiqué. Elle a qualifié de «désinformation» les allégations sur le massacre de civils à Moura, tout comme celles sur l’implication de mercenaires russes dans cette opération. «Nous ne sommes pas indifférents au sort du peuple malien, nous sommes liés par des relations traditionnellement amicales avec ce pays», assure le ministère russe des Affaires étrangères dans son communiqué. «Nous avons aidé nos amis maliens et nous allons continuer de le faire», ajoute-t-il.
Durant la même journée du vendredi, le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian a, lui, mis en doute la version des autorités maliennes. Les autorités de Bamako annoncent 200 terroristes tués, sans pertes civiles. J’ai du mal à croire, j’ai du mal à comprendre, j’ai du mal à accepter ces explications», a-t-il déclaré sur la chaîne de télévision publique France 5. «Il faut une enquête des Nations unies et nous la demandons», a-t-il ajouté. «C’est le rôle des Nations unies que de mener cette enquête (…) sauf qu’à l’heure actuelle, ils n’ont pas le droit d’accéder à la zone du centre où ont été commises a priori ces exactions», a-t-il dit.
Après le blocage par la Russie de la demande au Conseil de sécurité de l’ONU d’«enquêtes indépendantes» sur l’affaire Moura et sur d’autres – Depuis le début de l’année, la Minusma a ouvert 17 enquêtes sur des allégations d’attaques aveugles contre des civils et de violation des droits humains -, il est certain que l’affrontement entre ce pays, la France et d’autres pays occidentaux ne cessera pas de sitôt.
«L’augmentation des signalements de violations des droits de l’homme est exactement la raison pour laquelle les Etats-Unis continuent de mettre en garde les pays contre un partenariat avec le groupe Wagner lié au Kremlin», a dit l’ambassadeur américain Richard Mills, une journée avant le véto russe. «Le Royaume-Uni est horrifié» par les informations relatives à Moura, a rétorqué l’ambassadeur britannique adjoint, James Kariuki, dont le pays a des Casques bleus au Mali, réclamant une enquête «transparente et impartiale».
Dans sa riposte, l’ambassadrice russe adjointe, Anna Evstigneeva, avait loué le comportement de l’armée malienne et a précisé que quelque «200 militaires» maliens et «9 policiers» sont actuellement formés en Russie. Moscou a dénoncé à cet égard un «vide sécuritaire» dans le nord du pays, créé, selon sa diplomatie, par le retrait de la France du Mali. Il s’est fait «sans consultations avec la partie malienne» et est à ce titre «extrêmement irresponsable», a jugé Anna Evstigneeva.
Au Mali, des courants politiques de soutien au pouvoir militaire de transition accusent la France de porter atteinte à la souveraineté de leur pays et de chercher à le déstabiliser. Ils appellent au déploiement des Fama au Nord-Mali, au rejet pur et simple de l’Accord d’Alger et au départ des forces onusiennes de la Minusma dont le mandat actuel arrive à expiration en juin prochain.
Jeudi, 7 avril, l’émissaire de l’ONU pour le Mali, El-Ghassim Wane, a tenu un discours pour ces courants politiques qui ne voient que des avantages dans la coopération militaire avec la Russie. Il a réclamé aux autorités maliennes un accès «impératif» à la localité de Moura. La mission Minusma de l’ONU «a cherché à accéder à la zone et a pu effectuer un survol de reconnaissance le 3 avril», a-t-il dit au Conseil de sécurité. Mais «l’autorisation de déploiement d’une mission intégrée n’a, jusqu’à présent, pas été autorisée», a déploré l’émissaire. «Si l’annonce (mercredi), par le procureur du tribunal militaire de Mopti de l’ouverture d’une enquête (…), est une initiative bienvenue, il est impératif que les autorités maliennes apportent la coopération nécessaire à ce que la Minusma ait accès au site des violations alléguées, conformément à son mandat», avait souligné M. Wane. n
19 terroristes éliminés et des groupes armés anéantis depuis fin mars
Dix-neuf terroristes et trois groupes armés ont été éliminés par les forces armées maliennes depuis le 22 mars lors d’opérations contre des terroristes, selon un communiqué de l’état-major général publié dans la nuit de jeudi à vendredi à Bamako. Au total, les Forces armées maliennes (Fama) ont annoncé «la neutralisation de quatre terroristes dans la zone de Niono», dans le centre du pays ainsi que, l’élimination de «trois GAT» (groupes armés terroristes) dans la forêt du Baoulé et de «15 terroristes» dans les secteurs de Manfouné, Vanekui et Mandiakui, dans le Sud.
«Les Forces armées maliennes continuent de consolider les acquis opérationnels face à des terroristes de plus en plus fébriles adoptant l’évitement et se confondant à la population comme mode d’action avec des capacités de nuisance reposant désormais sur la pose d’engins explosifs improvisés, le sabotage des réseaux GSM, les tirs indirects et récemment des civils pris comme bouclier humain», précise le communiqué de l’état-major général des armées. La même source ajoute que «les Forces armées maliennes maintiennent leur dynamique offensive de recherche et de destruction des terroristes et leurs sanctuaires dans le cadre du plan Maliko et de l’opération Keletigui».
Vendredi, 8 avril, en soirée, l’armée malienne a annoncé la neutralisation de deux chefs terroristes dans la région de Nara dans le sud du pays. Il s’agit de Dadiè Bah, artificier et chef de Jamaat nousrat al-islam wal-mouslimin (JNIM) d’Akor, et de Daye Bah, responsable de la Zakat, deux individus figurant sur la base de données des terroristes recherchés et auteurs de pose d’EEI (engins explosifs improvisés) et d’exactions sur les populations dans la région», a précisé le directeur de l’Information et des Relations publiques des armées, le colonel Souleymane Dembelé, dans un communiqué. Il a assuré, en outre, que «les actions de recherches, de renseignements, de surveillance, de poursuite et de neutralisation des terroristes dans leurs sanctuaires et de leur interpellation dans les zones urbaines se poursuivront».
Notant que «les groupes d’autodéfense se livrent à des exactions contre les populations dans certaines localités du centre», l’armée les appelle à déposer les armes et rejoindre le processus de recrutement spécial en cours. L’état-major général des armées a invité, en outre, «les populations à se démarquer des terroristes pour minimiser les risques de dommages collatéraux sachant que la leçon apprise pendant les dernières actions «confirme l’emploi de civils comme boucliers humains».