Lancée par les Nations unies le 25 novembre de chaque année en commémoration de la lutte pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, la campagne des «16 jours d’activisme contre la violence basée sur le genre» s’est terminée le
10 décembre, date de la journée mondiale des droits humains.

Par Selma Allane
A Alger, elle a été marquée par plusieurs évènements dont celui qui a eu lieu à Dar Abdelatif dans la soirée du jeudi dernier. Les témoignages et le débat qui l’ont marqué ont été forts utiles, mais ils ont aussi convaincu du fait qu’une campagne de deux semaines ne suffit pas pour lutter contre un phénomène en pleine recrudescence.
Organisée par les antennes du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés, HCR, et du Fonds des Nations unies pour la population, FNUAP à Alger, la campagne mondiale de sensibilisation et d’information sur les violences faites aux femmes a été marquée, jeudi 9 décembre dans la soirée, par la programmation à Dar Abdelatif à d’un «parcours artistique» réalisé à partir d’une exposition de série de portraits et de témoignages en voix off de femmes ayant fait le choix quitter leurs foyers et leurs pays pour fuir les agressions physiques et morales qu’elles ont subies.
«Au gré des sables et des vents», c’est le nom donné à cet évènement qui a mis l’accent sur la condition de ces réfugiées venues d’Afrique subsaharienne et du Moyen-Orient, la Syrie en particulier, a permis également la projection d’un documentaire réalisé en cours métrage par l’équipe du FNUAP sur une Algérienne du monde rural qui a décidé de manifester son refus de l’injustice et des abus qu’elle a endurés dans son milieu social. Il a été clôturé par une prise de parole à laquelle ont participé les organisateurs ainsi que leurs invités parmi lesquels des réfugiées, des acteurs associatifs, des institutionnels ainsi que des médecins et des experts en charge des questions abordées durant la campagne qui a duré comme chaque année pendant seize jours du 25 novembre au 10 décembre. Le représentant du HCR en Algérie, Agostino Mulas, a ainsi commencé par alerter sur la recrudescence du phénomène des violences faites aux femmes depuis le début de la pandémie de la Covid 19 dans le monde. Depuis la crise sanitaire mondiale, le HCR «a signalé une augmentation de la violence domestique, de l’exploitation sexuelle, des mariages d’enfants, des grossesses d’adolescentes, de l’exploitation et des abus sexuels dans le monde», a-t-il alerté. «La pandémie a rendu plus graves les risques de violences pour les femmes et les filles, en particulier les réfugiées et les apatrides», a-t-il encore déploré dans une déclaration à Reporters.

Recrudescence du cyber harcèlement
A une question sur la réalité des violences contre les femmes en Algérie, le professeur Rachid Belhadj, médecin légiste et expert auprès du ministère de la Justice, connu du public, a d’emblée insisté sur «la conscientisation des esprits» et la «sensibilisation» qu’il s’agit de mener en permanence, a-t-il avisé. «Notre combat, a-t-il informé, c’est d’encourager les femmes victimes de violences de porter plainte» et de saisir la justice. Son argument est que les chiffres, «en Algérie comme partout dans le monde», quels que soient leur importance, demeurent toujours en-deçà des réalités qu’on dénonce et contre lesquels on veut lutter pour le respect des droits des femmes et des droits humains en général. Les chiffres restent souvent «noirs», a-t-il dit en guise de formulation d’une situation où les cas non déclarés des agressions dont sont victimes les femmes chez elles ou dans l’espace public sont très nombreux. Les urgences hospitalières sont un bon lieu d’observation et d’évaluation de ces violences. «Le privé reçoit plus de cas de femmes agressées que le public, mais il n’y pas de communication de ses chiffres», a-t-il fait remarquer pour plaider à nouveau pour la sensibilisation et la mobilisation des victimes à se rendre auprès des services de police et de gendarmerie ou de recourir aux lignes vertes qui leur sont ouvertes pour appeler au secours.

57 féminicides en Algérie en 2021
La docteure en médecine et représentante du FNUAP, Ouahiba Sakani, a souhaité que la publication des données chiffrées sur les violences contre les femmes ne se fasse pas uniquement lors des évènements analogues à ceux qu’organisent annuellement les agences onusiennes spécialisées. Mme Sakani a dit également croire aux «enquêtes de prévalence» pour bien évaluer l’ampleur du phénomène de violence, or la dernière enquête du genre remonte à 2006. «Toujours est-il qu’il est important» de regarder et d’analyser les statistiques des services de sécurité, a-t-elle recommandé. Pour cette année 2021, a-t-elle poursuivi, «les services de la DGSN (police nationale) ont recensé 5412 cas dont 25 féminicides», alors que des associations qui tiennent des cas non déclarés depuis le début de l’année évoquent 57 cas de violence ayant entrainé la mort. «Les services de la gendarmerie nationale, eux, ont recensé 7000 cas de femmes violentées. La particularité, cette année, c’est d’insister sur le thème de la recrudescence du cyber harcèlement. La gendarmerie en a recensé 244 cas tandis que la police en rapporté 23 cas avec pornographie», a ajouté docteure Sakani pour attirer l’attention sur l’augmentation des cas de «violence par le portable», comme l’a signalé avant elle le professeur Rachid Belhadj ; et avant d’insister à nouveau sur les enquêtes de terrain sur «le taux de prévalence» du phénomène pour le rapporter à la population considérée.
Les portraits de femmes accrochés aux côtés d’effets vestimentaires féminins sur les murs de Dar Abdelatif étaient une quinzaine de clichés accompagnés de témoignages écrits, des lettres, rédigés par des femmes réfugiées ou déplacées ayant subi ou fui les violences de toutes sortes qu’elles ont endurées : mariages forcés, excision, violence conjugale, exploitation économique…. Des photos que le HCR et le FNUAP ont voulu «implicites», mais en vain. Elles dégoulinent de douleur et de souffrance.