En Algérie, quotidiennement, au moins trois femmes sont violentées physiquement par le mari et au moins une femme maltraitée par son conjoint. Mensuellement, il y a au moins une épouse tuée ou battue à mort ou qui a subi une tentative de meurtre de la part de son mari. Glaçant !
Par Sihem Bounabi
Cette moyenne est basée seulement sur les statistiques de la Direction générale des services de sécurité (DGSN) sans inclure celles de la Gendarmerie nationale, a affirmé, hier, la commissaire de police Yasmine Khouaci, chef du bureau central de la protection des personnes vulnérables au niveau de la Direction de la police judiciaire.
Intervenant dans le cadre de la rencontre, organisée au Forum El Moudjahid par le bureau des Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP) autour de la thématique de la lutte contre la violence faite aux femmes et enfants sous l’intitulé « Unis pour agir », la commissaire de police a axé son intervention sur la violence conjugale dont sont victimes les femmes. Elle estime qu’il est crucial de renforcer le travail multisectoriel en coordination avec toutes les institutions de l’Etat pour une meilleure protection des femmes, notamment victimes de violence conjugale.
La commissaire de police Yasmine Khouaci a détaillée les statistiques de ce type de violence durant les neuf premier mois de 2021 et 2022 en soulignant que durant les neuf premiers mois de 2021, sur les 5 412 cas de violence faite aux femmes 29,06 % sont des violences conjugales, soit 1 573. Les violences conjugales ont été répertoriées pour la même période, 70,95 % de cas de violence physique, 27,71% de maltraitances et 1,33% sont soit des meurtres, des décès suite à des coups et blessures aggravées ou des tentatives de meurtre.
Durant les neuf premiers mois de 2022, la DGSN a enregistré 4 616 cas de violence à l’égard des femmes dont 1 404 cas de violences conjugales, soit 30,41%. Parmi ces cas de violence conjugale 65,56 % sont des violences physiques, 34,1% de maltraitance et 1,07 % de meurtre, de tentative de meurtre ou de femmes battues à mort.
La commissaire a tenu à mettre en exergue l’importance d’une lecture profonde des statistiques en soulignant que le chiffres de 1% de meurtre ou de tentatives de meurtre de l’épouse par son mari peut ne pas paraître très inquiétant mais, en vérité, c’est atroce car cela se traduit dans la réalité par le fait que chaque mois une femme est tuée ou battue à mort par son mari ».
Sensibilisation pour changer les mentalités
Elle met ainsi en exergue l’importance d’un véritable travail en amont et en aval du phénomène de la violence conjugale en impliquant tous les secteurs concernés et les institutions étatiques qui doivent coordonner leurs actions pour lutter contre cette violence.
Elle affirme à ce sujet qu’au niveau des brigades de la protection des personnes vulnérables de la Sûreté nationale, un véritable travail de sensibilisation est effectué avec des différents professionnels impliqués à travers des cycles de formation et de sensibilisation pour la prise en charge des victimes. Mais également auprès des victimes elles-mêmes qui souvent méconnaissent leurs droits ou baissent les bras à cause des pressions familiales et sociales.
Concernant la lutte contre la violence conjugale et les risques d’arriver à l’acte ultime de violence qui est celui de donner la mort, elle relève l’importance de la mise en place des indicateurs des risques et danger dont l’objectif est d’évaluer les risques de récidives du mari violent et anticiper que le conjoint puisse porter atteinte à la vie de sa femme.
La commissaire de police a énuméré dans cette optique une série de critères comportementaux et psychologiques du mari violent mais également des victimes pour assurer une meilleure protection et un accompagnement de la femme violentée. Elle a également souligné l’importance de sensibiliser et de travailler sur le changement de mentalité en se basant sur des cycles de formations qui déconstruisent et corrigent les représentations sociales et individuelles qui justifient la violence à l’égard des femmes et dissuadent les épouses de porter plainte contre leur mari violent.
Pour sa part, Fayza Bendriss, chef du bureau du Fonds des Nations unies pour la population, a souligné que cette rencontre était organisée dans le cadre de la campagne internationale de 16 jours d’activisme pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes qui débute le 25 novembre, Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, et se termine le 10 décembre, jour de la commémoration de la Journée internationale des droits de l’homme placée cette année sous le thème « Tous Unis ».
De son côté, Mourad Dahmani, représentant du ministère des Affaires étrangères, a tenu à mettre en exergue l’importance de la thématique centrale de cette année « Tous unis », en affirmant qu’« afin de lutter contre la violence à l’égard des femmes, il est important de s’unir pour agir et concevoir les voies et les moyens pour combattre ce fléau ».
L’une des violations des droits humains les plus dévastatrices
Il a ainsi tenu à souligner la volonté de l’Algérie à lutter contre la violence faite aux femmes et à protéger les femmes contre toutes formes de violence qui se traduit notamment dans l’article 40 qui stipule que « l’Etat protège la femme contre toutes formes de violence en tous lieux et en toutes circonstances dans l’espace public, dans la sphère professionnelle et dans la sphère privée. La loi garantit l’accès des victimes à des structures d’accueil, à des dispositifs de prise en charge et à une assistance judiciaire ».
Le représentant du ministère des Affaires étrangères souligne également que l’Algérie a adopté la plupart des textes internationaux y référant dont notamment la convention de lutte contre toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, le traité relatif au droit en politique des femmes ainsi que le traité relatif aux droits politiques des femmes, ainsi que le protocole de la femme en Afrique relevant de la charte africaine relative au droit des femmes et au travail.
Il ajoute que l’engagement de l’Etat à protéger la femme de toutes formes de violence est traduite dans le cadre de la stratégie nationale multisectorielle par la mise en place des services de prise en charge et d’assistance judiciaire mais aussi par l’accompagnement et l’encouragement de la femme à l’auto emploi pour créer des micro-activités rentables après l’abstention d’une formation professionnelle spécialisée.
Mourad Dahmani a tenu également à mettre en relief l’importance de l’école dans le cadre de la lutte contre la violence en déclarant : « Je voudrais dire que si l’avenir se construit maintenant, il faudrait orienter notre regard vers le rôle pivot de l’école. » Il suggère ainsi que la question de la lutte contre la violence faite aux femmes soit traitée d’une manière pédagogique innovante afin de «former une génération qui fait du respect de l’ordre, du dialogue et de la communication des outils de dialogue et de résolutions de conflits ».
Il est à noter que les Nations unies tiennent à alerter qu’« aujourd’hui, la violence à l’égard des femmes et des filles constitue l’une des violations des droits humains les plus répandues, les plus persistantes et les plus dévastatrices dans le monde ». Elle « demeure également l’une des moins signalées en raison de l’impunité, du silence, de la stigmatisation et du sentiment de honte qui l’entourent ». n