PAR INES DALI
La loi sanitaire et la fuite des médecins algériens à l’étranger continuent d’alimenter les débats de part et d’autre entre le ministère de la Santé et les professionnels du secteur par la voix de leurs syndicats respectifs. S’il y a consensus entre les parties en conflit que la loi sanitaire est bonne et n’a pas besoin d’être révisée, il reste que sa mise en application tarde à voir le jour, selon les syndicats, qui mettent en avant que leur attente n’a que trop duré. Plus de trois ans et demi après la promulgation de ladite loi, les textes d’application permettant sa mise en œuvre ne sont toujours pas prêts.
S’exprimant à ce propos, le ministre de la Santé, Abderrahmane Benbouzid, a annoncé, avant-hier, que «40 textes d’application de la loi sur la santé 18-11 du 2 juillet 2018 sont actuellement en cours d’examen au niveau du gouvernement». C’était lors d’une réunion avec les présidents des huit ateliers installés durant le séminaire national sur la modernisation du système de santé tenu les 8 et 9 janvier. Il a ajouté qu’«il sera procédé prochainement à l’application des recommandations issues de ces ateliers selon les priorités, et ce, dans le cadre de la mise en œuvre des engagements du président de la République concernant l’amélioration du système sanitaire, notamment à travers l’élaboration des textes d’application».
Le ministre a poursuivi que «la feuille de route tracée pour la mise en œuvre des recommandations sur le terrain reste un défi qui requiert le recours à un calendrier sur les court, moyen et long termes, d’où l’impérative conjugaison des efforts de tous les acteurs notamment avec le soutien absolu apporté par les hautes autorités du pays au secteur». Pour leur part, les syndicats du secteur mettent en exergue que leurs adhérents sont las d’attendre depuis juillet 2018, cela d’autant que le pays fait face à la fuite de ses médecins. «Les praticiens ne vont pas attendre encore des années pour que le ministère de la Santé ou le gouvernement promulgue les textes d’application pour améliorer leur situation», a déploré récemment le président du Syndicat national des praticiens spécialistes de santé publique (SNPSSP), Dr Mohamed Yousfi, qui a dénoncé, comme ses autres confrères, l’environnement défavorable dans lequel évoluent les travailleurs du secteur.
La lenteur de la réforme du système de santé pour garantir des conditions socioprofessionnelles adéquates a exacerbé la situation et bon nombre de praticiens ont choisi, entretemps, d’aller exercer sous d’autres cieux, rejoignant d’autres qui se sont expatriés depuis des décennies. Ce sujet a refait surface ces derniers temps, créant une véritable polémique et faisant couler beaucoup d’encre depuis l’annonce du prochain départ de plus d’un millier de médecins spécialistes. «1200 spécialistes vont quitter l’Algérie vers la France après avoir satisfait les épreuves de vérification des connaissances», avait annoncé le président du Syndicat national des praticiens de santé publique (SNPSP), le Dr Lyès Merabet.
Le ministre de la Santé est revenu sur ce sujet avec moult détails, après avoir fait part de son «regret du départ de ces médecins qui ont été bien formés par l’Université algérienne», tout en reconnaissant que leur choix est motivé par «les incitations dans le pays d’accueil» mais aussi par «d’autres raisons personnelles».
Il a mis en doute, par ailleurs, la liste des noms circulant sur les réseaux sociaux, affirmant que «certains noms ne sont pas algériens», comme il a expliqué qu’«il ne s’agit pas d’une seule vague de médecins algériens contrairement à ce qui a pu être interprété». Il ne s’agit finalement pas de 1.200 médecins algériens et la confusion a dû être faite parce qu’il y a d’autres magrébins dont les noms présentent des similitudes avec les Algériens. Ils sont donc «647 médecins de la région du Maghreb à avoir réussi au concours. Le taux de médecins algériens admis est de l’ordre de 17,4%, celui des Tunisiens de 40% et des Marocains de 17,1%», a précisé le ministre. Le nombre de médecins algériens ayant postulé au concours des épreuves de vérification des connaissances à l’ambassade de France s’était élevé à 2000 candidats, selon le Pr Benbouzid.
L’urgence de revoir les mesures incitatives
Il a poursuivi en indiquant avoir la liste des candidats au départ, à travers laquelle il s’est avéré que «beaucoup de ceux qui ont réussi le concours sont déjà établis en France. Certains sont nés en 1961 et 1971. Ils sont donc âgés entre 51 et 61 ans», a-t-il souligné, ajoutant qu’un nombre important des admis à cet examen sont «des médecins retraitables». Mais les syndicats qui se sont exprimés sur la question ont préféré focaliser sur les conditions socioprofessionnelles puisqu’il y a également des nouveaux diplômés qui partent car plusieurs problèmes restent non résolus malgré les revendications réitérées depuis de longues années. Ni «les journées de protestation» ni «les grèves» n’ont réussi à arracher «les droits de la corporation», ont-ils dénoncé, citant de nombreux exemples de revendications non satisfaites : les statuts particuliers des différents corps des praticiens de la santé sont en attente depuis de longues années.
En outre, les praticiens spécialistes crient à la discrimination concernant le service civil. Alors que cette mesure a été «abrogée depuis des décennies pour les autres universitaires», elle a été «remise sur le tapis seulement pour les médecins spécialistes au début des années 2000, mais normalement juste pour un certain temps», a déclaré Dr Yousfi, qui se demande «pourquoi le service civil est maintenu alors que le président de la République a donné instruction pour son abrogation».
L’absence de mesures incitatives notamment d’ordre salarial qui peuvent convaincre les médecins de rester dans le pays est également parmi les causes de leur départ. Toutes ces causes, le ministre de la Santé ne les a pas niées mais, au contraire, les a totalement reconnues, affirmant qu’il y a lieu de «tirer la sonnette d’alarme» et que son département ministériel et d’autres, constitués en commission mixte, «se penchent sur les causes de ces départs pour trouver des solutions adaptées». «C’est le but recherché à travers la révision du système de santé», a-t-il noté.
Quelques 15.000 médecins algériens exercent actuellement en France, selon le ministre de la Santé, alors que 20.000 spécialistes ont quitté l’Algérie vers l’étranger durant les deux dernières décennies, selon le président du SNPSSP.