Par Rouchdi BERRAHMA
Bien que leur degré de violence pâlît à côté de celui des triades chinoises, la mafia yakuza japonaise est considérée comme l’une des organisations criminelles les plus féroces au monde. Elle tire son argent d’activités illicites telles que la prostitution, les jeux de hasard ou le trafic de drogue. Ces dernières années, confrontés à la baisse des rendements de leurs sources de revenus traditionnelles, certains gangs yakuza sont devenus actifs sur le marché boursier et immobilier, gagnant leur argent par le biais de sociétés écrans «respectables». Si les yakuzas mènent généralement ces activités hors de la vue du monde, les querelles entre gangs remontent parfois à la surface. Ces luttes intestines sont liées à des enjeux de territoire ou encore de succession. A titre d’exemple, la fracture du Yamaguchi-gumi a entraîné des divisions dans les autres clans de yakuzas, dont les sous-branches ont pris position pour l’un ou l’autre.Cette montée en tension a entraîné plusieurs centaines d’incidents recensés par la police. Il est également très important de mentionner que la relation police-mafia n’est pas toujours une relation tendue et électrique. En effet, plusieurs membres de la pègre japonaise coopèrent traditionnellement avec la police avec une cohabitation qui semble entendue et orchestrée par un code d’honneur valable pour les deux camps. Ces guerres intestines et coopérations gagnant-gagnant n’ont pas échappé à la fiction policière. L’autrice japonaise YūkoYuzuki a profité de cette atmosphère de violence sans précédent, qui a frappé le Japon ces dernières années, pour écrire une œuvre fascinante sur le phénomène yakuza. Après «Le Loup d’Hiroshima» (Atelier Akatombo 2018), «L’Œil du chien enragé» est le deuxième opus d’une trilogie explorant avec un grand réalisme les luttes farouches au sein de la pègre japonaise et la culture yakuza.
Le roman de la guerre des gangs
Le pitch : Préfecture d’Hiroshima, été 1990. Pour s’être approché un peu trop près du monde des yakuzas, le jeune lieutenant Hioka a été mis sur la touche par sa hiérarchie. Nostalgique de ses enquêtes trépidantes de jadis, il végète dans un village, au fond d’une vallée montagneuse bordée de rizières. De retour à Hiroshima pour les funérailles d’un oncle, il passe saluer Akiko, la mama-san du modeste bar-restaurant Les Petits plats de Shino. A cette occasion, il tombe nez à nez avec HirōKunimitsu, dit «le Chien enragé», recherché par toutes les polices du pays pour avoir organisé l’assassinat d’un important chef yakuza. Les deux hommes passent un contrat, le policier n’arrêtera le truand que lorsque celui-ci aura mis de l’ordre dans ses affaires. Hioka reprend sa vie paisible. Un notable du coin voit en lui un gendre idéal et ne cesse de vanter les mérites de sa fille, Shōko. Parallèlement, le policier constate que le chantier d’un golf, interrompu depuis des années, a repris. Un soir, il voit débarquer Kunimitsu qui se présente sous un faux nom et se déclare responsable des travaux. Hioka se jure d’en savoir plus. D’autant que les agissements de Kunimitsu lui semblent liés à ces rumeurs d’une nouvelle et imminente guerre des gangs. L’enjeu n’est autre que la prise du pouvoir au sein de la plus importante association criminelle de la région, la fédération Jinsei. Amoureux de la culture japonaise, je ne pouvais pas passer à côté de ce roman policier sur les yakuzas. Et justement, il s’agit de montrer l’autre face du mythe, son histoire d’abord, et surtout une analyse très poussée sur ses avatars modernes, infiltration, expansion, conflits. Si vous voulez comprendre le rapport nébuleux et complexe entre les yakuzas et la police japonaise, ce roman contient des éléments de réponse plus qu’intéressants. «L’Œil du chien enragé» est un livre qui se lit avec grand intérêt. Sa lecture est aisée et jamais ennuyeuse. Les chapitres sont agrémentés de coupures de journaux contant l’envers du décor des gangs mafieux et on découvre, au fil des pages, un monde qui cache sa complexité où les rapports entre policiers et yakuzas ne sont pas ce que l’on pourrait croire. Bref, un roman qui secoue et vous envoie un sacré uppercut.
Vous devriez vraiment lire Yūko Yuzuki, l’avenir du polar japonais. n