Dans la continuité de la célébration de Yennayer, l’espace de rencontre littéraire « Agora du livre » de l’Entreprise nationale des arts graphiques (Enag) a reçu, avant-hier à la Librairie Média Book d’Alger-Centre, les écrivains d’expression en tamazight Ali Kader et Rabah Boucheneb, qui ont présenté leurs nouvelles œuvres, « Argaz N’yema » (le Mari de ma mère) et la traduction du célèbre « Nedjma » de Kateb Yacine. Ils sont également revenus sur les difficultés du secteur éditorial en Algérie et plus particulièrement en tamazight.
Ali Kader avouera à ce propos que «l’édition va très mal, et cela est général et pas seulement concernant les publications en langue tamazight. Il n’y a pas de promotion ni de publicité pour faire connaître les livres ou les auteurs. Il n’existe pas non plus un réseau de distribution efficace ». Il ajoute sur un ton fataliste : « Peut-être que les éditeurs ont leurs raisons, mais si on continue comme cela, d’ici quelque temps, le secteur du livre en Algérie sera condamné, alors qu’il est déjà moribond». Il ajoute, à propos de la crise du livre en Algérie, qu’«il faut se poser une question essentielle : pourquoi les gens ne lisent pas ? Certains disent que cela est une des conséquences négatives de l’Internet et des nouvelles technologies qui accaparent les lecteurs potentiels. Certes, il y a un peu de cela, mais pas uniquement. De mon point de vue, je pense qu’il y a aussi l’impact de la réalité du niveau de vie et du pouvoir d’achat en Algérie. Car il faut bien le dire les prix du livre n’est pas accessible à toutes les bourses. Quand vous avez un chef de famille qui touche 20 000 ou 30 000 dinars et qui est confronté à des choix d’achats prioritaires, il ne se pose pas de question, le choix est vite fait.» L’auteur de « Argaz N yema » (le mari de ma mère) estime également que la politique du livre en Algérie est en elle-même une des raisons de ce mal-être profond que vit le secteur de l’édition et du livre en Algérie. Il réitère l’urgence de remédier à cette situation, en soulignant : « Certes les éditeurs, les lecteurs et même l’écrivain ont des raisons justifiées, mais il faut trouver des solutions à la situation du livre en Algérie, sinon il est voué à disparaître.»
L’édition en tamazight impactée par un secteur moribond
Afin d’illustrer l’ampleur de la crise qui touche le secteur de l’édition en Algérie, il nous affirme qu’avant, l’éditeur tirait 20 000 exemplaires, mais ces ouvrages se retrouvaient ensuite entassés dans des hangars pleins de poussière ! Aujourd’hui, ils sont descendus à seulement 1 000 exemplaires et ils n’arrivent toujours pas à écouler tous les exemplaires. Il explique cette dégringolade en déclarant : « Il ne faut pas se voiler la face, le livre ne se vend pas et le marché du livre est au plus bas.» A propos de l’édition en langue tamazight, il explique dans ce contexte que «si le livre publié en arabe et en français ne marche pas, imaginez un peu ce que c’est pour le livre en langue tamazight. Le champ d’action dans ce cas se rétrécie comme une peau de chagrin. C’est pour cela que je ne cesse de répéter qu’il faut faire des états généraux pour le secteur de l’édition. Car si cela continue dans ce sens, on va droit dans le mur.» Par ailleurs, à propos de l’écriture littéraire en langue tamazight et sur le sujet de la grammaire en berbère, Ali Kader affirme que « nos voisins marocains ont un peu plus évolué que nous concernant ce volet. Personnellement, j’ai eu beaucoup de difficultés pour écrire ce livre. Il faut savoir quels sont les mots qu’il faut mettre à côté des autres mots d’une manière grammaticalement correcte. Car il y a toute une syntaxique et des tournures de phrase qui font que ce qui se dit ici ne peut pas se dire ailleurs». Il poursuivra que « personnellement, je me projette dans l’après-2020. Concernant la culture amazighe, je pense qu’il y a trop de folklore. Certes, tout ce côté festif et magique doit exister, car c’est notre culture algérienne. Mais, au-delà, il est temps de savoir quelle est la place qu’on veut va donner à cette langue et cette culture». Dans le même sillage, l’intervenant nous confie que «j’ai eu la chance de connaître toutes les régions du pays. Il y a certaines d’entre elles qui fêtent jusqu’à aujourd’hui Yennayer sans savoir ce qu’il signifie. Cet héritage nous appartient, alors il faut faire en sorte de le fructifier. Quand on parle de Yennayer, on nous renvoie vers des archaïsmes, mais il faut dépasser cet état de fait et savoir quelle est la place qu’on veut donner à cette langue à l’université ou ailleurs ».
Les éditeurs pointés du doigt
Pour sa part, Rabah Boucheneb reviendra sur son expérience dans la traduction de « Nedjma » de Kateb Yacine, en confiant que «cette idée lui a été suggérée par un étudiant à Oran en 1999 ». Il souligne toutefois que « c’est très difficile de trouver des éditeurs, qui ont accepté de me publier. Ils disent que le livre ne marche pas. Tout le monde est découragé pour prendre mon livre, ce qui les intéresse c’est surtout les livres parascolaires. Mais la littérature, ils n’en voulaient pas, surtout en langue tamazight ». Il confie à ce propos : « J’ai remis ce travail à un éditeur dont je ne vais pas citer le nom. Le manuscrit est resté chez lui pratiquement une année sans être pris en considération.»
Il ajoute que c’est seulement grâce au soutien du Haut-commissariat à l’amazighité (HCA) que cette traduction en langue tamazight de «Nedjma » de Kateb Yacine a vu le jour. Concernant la problématique de l’écriture et de la grammaire en langue tamazight, Rabah Boucheneb avoue : « J’ai entendu parler de Said Boulifa qui a écrit sur la grammaire berbère. Pour ma part, je ne suis pas intéressé par cette problématique. Pour moi c’est simple, j’ai un roman devant moi en français que je mets à la disposition des lecteurs en langue kabyle.»n