Hier, mercredi, le gouvernement libyen de transition
a obtenu le vote de confiance du Parlement, une consultation-approbation saluée comme «historique» pour un cabinet né dans la difficulté pour la mission d’organiser, sous les auspices des Nations unies qui ont joué un rôle capital, des élections à la fin du mois de décembre prochain et doter le pays du cadre politique et institutionnel susceptible de le sortir du chaos.
«Ce sera le gouvernement de tous les Libyens», a promis le Premier ministre Abdelhamid Dbeibah. Dans un bref discours à l’issue du vote, il a exprimé sa vive émotion et ses «vifs remerciements» au Parlement pour lui avoir accordé, à lui et son équipe, la confiance dont ils ont besoin pour recomposer un paysage politique libyen, déchiré par des années de guerre et de crise sécuritaire, avant d’organiser des élections à la fin de l’année.
Les membres du Parlement étaient réunis depuis lundi dans la ville de Syrte, à mi-chemin entre les régions rivales de l’Est et de l’Ouest. Ils ont longuement débattu de la composition du gouvernement Dbeibah, de la répartition géographique des postes et de sa feuille de route. Après deux jours d’intenses débats, ils ont approuvé l’équipe exécutive d’Abdelhamid Dbeibah par 121 voix sur les 132 députés présents. «Je vous remercie pour votre confiance», a réagi le Premier ministre, qui venait d’obtenir sa deuxième consécration après sa désignation, le 5 février 2021 à Genève, par 75 responsables libyens de tous bords en même temps qu’un Conseil présidentiel de 3 membres. M. Dbeibah a présenté un gouvernement «représentatif de tous les Libyens», un groupe exécutif composé de deux vice-Premiers ministres, 26 ministres et six ministres d’Etat. Deux ministères régaliens, les Affaires étrangères et la Justice, ont été attribués à des femmes, une première en Libye. Il devra désormais agir sur deux fronts : unifier les institutions libyennes et mener la transition jusqu’aux élections du 24 décembre, répondre aux attentes pressantes des Libyens dont le quotidien est marqué par d’importantes pénuries de liquidités, d’essence, d’électricité et par une inflation galopante.
Ne pas rater la transition
La grande priorité, cependant, est de ne pas rater la transition désormais en cours et de faire aboutir le processus entamé depuis des années sous l’égide de l’ONU et qui s’est accéléré durant ces derniers mois sous les auspices de la diplomate américaine Stephanie Williams, représentante spéciale intérimaire des Nations unies en Libye. Ce processus a été entaché par la récente diffusion d’extraits d’un document encore confidentiel d’un Comité d’experts de l’ONU faisant état de faits de corruption et d’achat de voix. L’affaire a provoqué un tollé en Libye, mais M. Dbeibah a défendu «l’intégrité du processus», réussissant aujourd’hui le pari d’avoir le consensus d’un Parlement partagé et qui s’était rarement réuni auparavant, alors que la Libye n’a pas cessé de subir la guerre, les divisions et les luttes d’influence sur fond d’ingérences étrangères.
Avant le vote de confiance, l’ONU avait évoqué une «session historique» et une «étape cruciale» pour l’unification du pays. Les Etats-Unis et l’Union européenne ont «félicité» la Libye aussitôt après le vote. «Comme beaucoup de Libyens, nous avons regardé en direct la session historique du Parlement. Félicitations pour la formation d’un gouvernement d’unité intérimaire pour préparer le terrain aux élections de décembre», a réagi l’ambassadeur américain en Libye Richard Norland. L’ambassadeur de l’UE en Libye, Jose Sabadell, a salué une «journée vraiment historique !» assurant que «le nouveau gouvernement d’unité peut compter sur le plein soutien de la communauté internationale, en particulier de l’UE». La réussite des élections prévues à la fin du mois de décembre consacrera sûrement les efforts fournis par les Nations unies mais, également, par les pays du voisinage libyen dont l’Algérie qui a mobilisé toutes ses ressources politiques et diplomatiques pour aider à la réconciliation des parties libyennes en conflit depuis l’intervention internationale sous couvert de l’Otan, déclenchée en mars 2011 et la chute tragique du Guide Mouammar Kadhafi.
Une décennie de chaos depuis la chute de Khadhafi
La Libye, où le gouvernement de transition a obtenu hier la confiance du Parlement, est minée par les divisions et les luttes d’influence, sur fond d’ingérences étrangères, depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011.
<Kadhafi tué
En février 2011, dans le sillage du Printemps arabe, une contestation violemment réprimée débute à Benghazi (est), avant de s’étendre. En mars, une coalition emmenée par Washington, Paris et Londres lance une offensive après un feu vert de l’ONU. Le 20 octobre, Kadhafi est tué dans le dernier assaut contre sa région d’origine, Syrte. Trois jours plus tard, le Conseil national de transition (CNT), organe politique de la rébellion, proclame la «libération totale» du pays. En août 2012, le CNT remet ses pouvoirs au Congrès général national (CGN, Parlement), élu un mois plus tôt.
<Ambassades attaquées
Après des attaques contre les ambassades américaine et française, qui ont entraîné la mort de quatre Américains dont l’ambassadeur Christopher Stevens, et blessé deux gardes français, la plupart des ambassades étrangères ferment. Les travailleurs étrangers et les représentations diplomatiques sont la cible d’attaques et d’enlèvements par des milices ou groupes jihadistes.
<Autorités rivales
En mai 2014, Khalifa Haftar, proche de l’Egypte et des Emirats arabes unis, lance une opération contre les groupes jihadistes à Benghazi. Plusieurs officiers de la région orientale rallient sa force paramilitaire, autoproclamée «Armée nationale libyenne» (ANL). En juin, à la suite de nouvelles élections, le Congrès général national est remplacé par un Parlement dominé par les anti-islamistes. Mais fin août, après des semaines de combats, une coalition de milices en majorité islamistes s’empare de Tripoli et réinstalle le CGN, et met en place un gouvernement. Le gouvernement en place jusque-là et le Parlement tout juste élu s’exilent dans l’Est. Le pays se retrouve avec deux gouvernements et deux Parlements. Fin 2015, des représentants de la société civile et des députés signent à Skhirat (Maroc) un accord parrainé par l’ONU. Un Gouvernement d’union nationale (GNA) est proclamé. Son chef Fayez al-Sarraj s’installe à Tripoli en mars 2016, mais dans l’Est, le cabinet parallèle, soutenu par Haftar, et le Parlement rejettent le GNA et Sarraj.
<Offensives de Haftar
Début juillet 2017, Haftar annonce la «libération totale» de Benghazi des jihadistes, après plus de trois ans de combats pour lesquels il a reçu le soutien de l’Egypte et des Emirats, avant de se rapprocher de la Russie. Fin juin 2018, ses forces s’emparent de Derna, bastion des islamistes radicaux et seule ville de l’Est qui échappait à son contrôle. Début 2019, Haftar s’empare de Sebha, chef-lieu du Sud désertique et d’al-Charara, énorme champ pétrolier. Le 4 avril, ses forces lancent une offensive visant à s’emparer de Tripoli.
<Implications étrangères
Début novembre, The New York Times révèle la présence de mercenaires du groupe Wagner, entreprise russe de sécurité privée. En décembre, l’ONU épingle plusieurs sociétés et pays accusés d’avoir violé l’embargo sur les armes décrété en 2011. Le 5 janvier 2020, la Turquie annonce le déploiement de soldats pour soutenir le GNA. Début juin, les forces progouvernementales reprennent le contrôle de l’ensemble de l’Ouest, chassant les combattants d’Haftar de son dernier fief dans cette région.
<Cessez-le-feu et gouvernement de transition
Le 23 octobre, les parties en conflit signent un cessez-le-feu, après cinq jours de discussions sous l’égide de l’ONU. Le 26, la Compagnie nationale de pétrole annonce la réouverture du dernier champ pétrolier bloqué. Le 13 novembre, 75 délégués libyens réunis en Tunisie s’entendent sur la tenue «d’élections nationales» en décembre 2021. Le 5 février 2021, ils désignent à Genève l’ingénieur et homme d’affaires Abdel Hamid Dbeibah comme Premier ministre intérimaire, au côté d’un Conseil présidentiel de trois membres. Le 9 mars, les liaisons aériennes entre Benghazi et Misrata (ouest), contrôlées par des autorités rivales, reprennent après sept ans d’interruption. Le 10, le gouvernement de transition obtient la confiance du Parlement.