Un pas en avant, deux pas en arrière ! En Libye, à chaque fois que l’on croit assister à une avancée vers la sortie de crise, on voir surgir de nouveaux développements négatifs et un recours aux armes qui indique que les efforts de médiation diplomatique, notamment ceux menés par l’Algérie, ne sont pas près de cesser au risque de voir la situation générale dans le pays voisin s’orienter vers un scénario encore plus difficilement gérable que celui auquel on assiste aujourd’hui : des initiatives onusiennes, régionales, internationales et des déclarations de bonne intention des acteurs locaux que rendent inaudibles les affrontements sporadiques sur le terrain entre frères ennemis.

Ainsi, jeudi dernier, des combats ont ainsi opposé les forces du maréchal autoproclamé Khalifa Haftar et du Gouvernement d’union (GNA) reconnu par l’ONU, faisant de nouvelles victimes civiles, malgré l’adoption la veille, mercredi, d’une résolution au Conseil de sécurité de l’ONU : un texte qui réclame « un cessez-le-feu durable », « à la première occasion et sans pré-conditions ». A cause de ces combats, l’aéroport de Mitiga, le seul fonctionnel de la capitale, a annoncé une nouvelle suspension des vols après la chute d’une roquette, tandis que des combats ont repris au sud de l’agglomération. Des témoins ont entendu l’explosion de roquettes dans la région de Machrou Al-Hadhba, une zone agricole à une trentaine de kilomètres du centre-ville.
D’autres roquettes ont atterri dans des quartiers résidentiels, tuant une femme et blessant quatre autres civils, selon le porte-parole du ministère de la Santé du GNA, Amin al-Hachimi. Le porte-parole des forces du GNA Moustafa al-Mejii a accusé les forces pro-Haftar d’avoir violé de nouveau la trêve décrété le 12 janvier. « Les milices de Haftar ont tenté d’avancer dans la région de Machrou al-Hadhba, mais nos forces ont repoussé l’attaque », a-t-il ajouté. Malgré cette trêve, des combats sporadiques ont lieu quotidiennement près de Tripoli et les armes continuent d’affluer dans le pays, malgré des engagements pris lors d’un sommet international à Berlin le 19 janvier.
La résolution onusienne est la première approuvée par le Conseil depuis le début le 4 avril 2019 de l’offensive du maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort de l’Est libyen, contre Tripoli, le siège du Gouvernement d’union (GNA) reconnu par l’ONU. Elle réclame à cet effet la poursuite des négociations de la commission militaire conjointe créée en janvier et réunissant les deux camps, pour aboutir à un « cessez-le-feu permanent » incluant un mécanisme de contrôle, une séparation des forces et des mesures de confiance. Réunie à Genève, cette commission s’est séparée samedi dernier sans accord, l’ONU proposant de reprendre les discussions à partir du 18 février.
L’alerte du CICR
Le texte de la résolution, rédigé par le Royaume-Uni, a été approuvé par 14 voix sur 15, la Russie s’abstenant. Londres a choisi de maintenir dans le texte la mention de la « préoccupation (du Conseil) devant l’implication croissante de mercenaires en Libye », objet la semaine dernière d’un blocage des négociations, Moscou réclamant de remplacer le mot « mercenaires » par « combattants terroristes étrangers ». La Russie est accusée depuis plusieurs mois d’avoir soutenu l’acheminement en Libye de milliers de mercenaires du groupe privé Wagner réputé proche de la présidence russe, au profit du maréchal Haftar. Moscou a nié tout rôle dans la présence de ces mercenaires russes. La Turquie est accusée de son côté d’avoir envoyé des centaines de combattants syriens pro-turcs en appui aux troupes du GNA. Le texte de la résolution entérine aussi les conclusions du sommet de Berlin qui demandait aux Etats membres de s’abstenir de toute interférence dans le conflit.
En dépit d’un embargo sur les armes imposé pour ce pays depuis 2011, date de la chute du régime de Mouammar Kadhafi, les violations se sont poursuivies, le patron de l’ONU Antonio Guterres les qualifiant récemment de véritable « scandale ». Fin 2019, un rapport onusien avait ciblé à ce sujet les Emirats arabes unis, la Turquie et la Jordanie et identifié plusieurs groupes armés du Soudan et du Tchad. Outre le cas de la Russie, le maréchal Haftar est soutenu par les Emirats arabes unis, l’Egypte et la Jordanie, le GNA de Fayez al-Sarraj par la Turquie. Dans un communiqué, Human Rights Watch (HRW) a accusé jeudi les forces pro-Haftar d’avoir fait usage de bombes à fragmentation dans un quartier résidentiel de Tripoli le 2 décembre. Leur utilisation « témoigne d’un mépris absolu pour la sécurité des civils », a déclaré Stephen Goose, un responsable de cette ONG de défense des droits humains.
En parallèle, les efforts pour une solution politique se poursuivent. Jeudi, le ministre italien des Affaires étrangères Luigi Di Maio a rencontré le maréchal Haftar à Benghazi, au lendemain d’un entretien à Tripoli avec le chef du GNA, Fayez al-Sarraj, selon le service de presse du maréchal. Son homologue grec, Nicos Dendias, s’est rendu lui à Alger pour discuter de la crise libyenne, à l’origine de tensions en Méditerranée orientale. Aucune solution politique ne semble toutefois en vue, même si l’ONU compte organiser dans quelques semaines une réunion interlibyenne à Genève.
Depuis avril, les affrontements ont causé la mort de plus de 1000 combattants et civils, tandis que plus de 140 000 civils ont été déplacés, selon l’ONU. Et la situation pourrait, si elle se détériore, pousser la population à fuir le pays, a averti à Tunis le président du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), Peter Maurer, qui vient d’effectuer un séjour en Libye. « (…) Je n’exclus pas, si on n’arrive pas à stabiliser cette situation (sur les plans) politique et humain, que tout à coup il y ait des flux de population comme on en voit quand la population perd espoir d’un avenir dans leur pays », a-t-il déclaré à Tunis, jeudi dernier.
Il est à rappeler qu’une aile de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH) a indiqué hier qu’un ressortissant algérien originaire de Chlef est aux mains d’un groupe armé pro-Haftar depuis le 25 janvier, date de son enlèvement. Elle appelle les autorités du pays qui n’ont rien communiqué à ce sujet, à réagir et à demander la libération de ce concitoyen.<