On affirme, en Orient, que le meilleur moyen pour traverser un carré est d’en parcourir trois côtés.”, écrivait Thomas Edward Lawrence alias «  Lawrence d’Arabie »  dans « Les sept piliers de la sagesse. »

On pourrait placer comme en résonnance, en revisitant la géométrie, le propos de Samuel Forey : « De tous les rêves, celui de la Révolution me semble le plus grand, car il les accomplit tous. On peut courir les barricades, parler à la tribune d’une Assemblée constituante, combattre – dans un camp ou dans l’autre. ».

Janvier 2011, l’Égypte commence sa révolution, Samuel Forey, journaliste indépendant, saute dans un avion pour plonger, tête baissée, dans le chaudron cairote. Ainsi commence « Les Aurores incertaines » qui va raconter un périple de six années dans différents pays du Moyen-Orient.

La place Tahrir au Caire devient le lieu où il faut être, le centre névralgique et politique de la capitale. Samuel Forey, captivé par cette première rébellion des égyptiens, y prend le pouls de cette fièvre soudaine : « C’est comme une représentation théâtrale – à chaque fois c’est un peu mieux. Tout le monde progresse dans son art, ceux qui chantent, ceux qui tournent, ceux qui dansent, ceux qui râlent, ceux qui nourrissent, ceux qui blaguent, ceux qui s’enthousiasment, ceux qui se révoltent. »

S’ensuit une expédition dans le labyrinthe de roche et de sable du Sinaï, à la recherche d’un jeune rebelle Ali. Samuel Forey ira de surprise en surprise : « Entre les bédouins en kalachnikov dans les champs d’opium ou ceux qui luttaient dans l’ombre pour changer leur quotidien, les véritables rebelles n’étaient pas ceux que je croyais ».

Puis ses pas le mènent à Gaza pour enquêter sur le tragique destin palestinien de la famille Dalou : « Dix personnes tuées dans leur maison par un missile israélien » après un raid de Tsahal qui fera plus de cent soixante victimes palestiniennes. Il trace, avec empathie, le portrait de chaque membre de la famille ensevelie sous les ruines.

Retour et autre horreur, au Caire, durant l’été 2013, où les forces de sécurité massacrent plus de 1150 manifestants. Dans la mosquée al-Olma où sont alignés les cadavres, un fonctionnaire obséquieux lui fait la visite : « On dirait un petit démon qui me guide vers les Enfers. »

D’autres périples le conduiront également sur d’autres théâtres de guerre :  en Turquie, Irak et en Syrie, pour y rencontrer les combattants kurdes.

À chaque fois, les évènements tragiques, et la mort qu’il côtoie, le ramènent à sa vie intime et particulièrement à la disparition prématurée et tragique de ses parents. « Pour la première fois depuis longtemps, j’avais trouvé quelque chose de plus grand que cette douleur personnelle. »

C’est du même coup, un cheminement intérieur que Samuel Forey aura accompli : « C’est peut-être ça que j’étais allé chercher au Liban, au Caire, à Alep, à Gaza ? Une lutte désespérée contre l’absurde, contre la mort. Trouver un sens, une raison. »

Dans ce parcours semé d’embûches, il se découvre enfin reporter, lui qui a longtemps galéré en proposant des piges souvent refusées : « J’ai alors découvert que journaliste était un “vrai“ métier – qu’on pouvait en vivre. […] C’est peut-être ça, la vie de reporter, dépendant de l’événement comme un navigateur des vents marins, errant dans le brouillard, aimant et redoutant les tempêtes ». 2

Samuel Forey, qui a eu « le privilège de couvrir l’histoire en marche », nous livre avec « Les Aurores incertaines » un récit puissant et épique, entremêlant carnet de route, journal intime et récit initiatique. « Sans fausse pudeur mais avec sincérité. Nul homme n’est une île complète en soi-même ; tout homme est un morceau de continent, une part du tout. » écrivait Ernest Hemingway dans «  Pour qui sonne le glas »…

D.L

1.  « Les Aurores incertaines » Samuel Forey, février 2023, éd. Grasset

2. Samuel Forey a remporté le prestigieux prix Albert-Londres, pour une série d’articles sur la bataille de Mossoul publiés dans Le Figaro en 2017.

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