L’introduction de l’enseignement de la langue anglaise dans le cycle primaire à partir de la prochaine rentrée scolaire suscite moult interrogations, malgré les assurances du ministère de l’Education nationale qui se dit «prêt». Elle sera «mise en œuvre à la rentrée scolaire 2022/2023 à travers toutes les écoles primaires du pays», notamment dans ses volets relatifs au programme, au manuel scolaire, à l’encadrement, à la formation et aux réglementations pédagogiques appropriées, a indiqué mardi le ministère dans un communiqué.

PAR INES DALI
Cette déclaration n’est pas pour rassurer les syndicats du secteur qui s’interrogent, en effet, sur l’application sur le terrain d’une telle décision. Ils estiment qu’introduire l’enseignement de l’anglais dans le primaire dès cette rentrée scolaire se fait dans «la précipitation», cela d’autant que la tutelle n’a pas donné de détails sur «la mise en œuvre».
Le fait est qu’un mois nous sépare de la rentrée scolaire et que le temps leur semble très court pour être vraiment prêts sur tous les plans. A commencer par le nombre d’enseignants qu’il faudra d’abord recruter ensuite former, sachant qu’il s’agit d’environ 25.000 postes budgétaires ouverts sous le mode de contractualisation. L’étude des dossiers à déposer au niveau des directions de l’éducation des wilayas s’étalera sur vingt jours. Cela consommera donc au moins trois semaines du mois en cours, et ce n’est qu’après que les candidats retenus pourront commencer la formation. «Le temps qui reste avant la rentrée scolaire sera-t-il suffisant pour former 25.000 enseignants ?», se demandent les syndicats, qui précisent ne pas être contre le principe de l’enseignement de l’anglais au primaire mais que la précipitation constatée engendrera forcément des problèmes qui ne manqueront pas de monter à la surface. Ils focalisent, ainsi, sur les problématiques d’ordre purement opérationnel.
«Nous ne débattons pas le principe de l’introduction de l’anglais dans le cycle primaire, mais la façon dont vient sa mise en œuvre. Nous ne sommes qu’à un mois de la rentrée scolaire et cette décision a besoin d’une bonne préparation sur tous les plans, que ce soit en moyens humains ou matériels», a déclaré Messaoud Boudiba, porte-parole du Conseil national autonome des professeurs de l’enseignement secondaire et technique (Cnapest). La décision d’enseigner l’anglais au primaire ne se prend pas à la dernière minute, elle a «besoin de temps», a-t-il ajouté dans une déclaration à «Reporters», avant de regretter que les syndicats ne soient pas associés pour prendre leur avis sur telle ou telle démarche.
Messaoud Boudiba a précisé que le recrutement ne devrait pas être effectué dans le cadre de la contractualisation comme annoncé par la tutelle, mais il faudrait que les enseignants recrutés soient déjà formés, notamment sur le plan pédagogique. Dans ce sens, il a tenu à souligner qu’il ne faut pas oublier qu’ils devront enseigner dans le cycle primaire, donc ils auront affaire à des enfants et non à des adolescents ou des adultes. «La pédagogie est très importante dans ce cas. La décision d’introduire l’anglais cette année est prise, mais son application ne doit pas être floue ni se faire dans la précipitation. Cela nécessite une préparation également des programmes et des manuels scolaires, outre une formation adéquate des enseignants», a soutenu le porte-parole du Cnapest.
Le porte-parole de l’Union nationale des professionnels de l’éducation et de la formation (UNPEF), Abdelouahab Lamri Zegar, n’en pense pas moins et utilise le même terme pour qualifier la démarche actuelle de «précipitée».
«Notre syndicat a été parmi les premiers à défendre l’idée d’enseigner l’anglais au primaire, et ce, depuis des années, ayant moi-même enseigné cette langue en tant que PES (Professeur d’enseignement secondaire). On a toujours plaidé pour que l’anglais, étant une langue universelle et des sciences, prenne une place de choix dans le système éducatif», a-t-il commencé par dire. «Pourtant, cela ne doit nullement se traduire par le fait d’y aller d’une façon aussi précipitée et de surcroît dans son enseignement dans les établissements de cycle primaire», a-t-il ensuite commenté.

L’éventualité de «perturbations»
Aussi, avant de se lancer dans cette opération en adoptant une démarche «hâtive», il aurait été mieux indiqué de s’assurer d’une préparation qui ne souffrirait pas d’insuffisances. «Il est possible que des perturbations apparaissent, ce n’est pas écarté. Et à ce moment-là, lorsqu’on procédera ensuite à une évaluation, on viendra nous dire que l’enseignement de l’anglais n’a pas réussi dans le primaire», a fait remarquer le porte-parole de l’UNPEF, en anticipant sur ce qui pourrait se passer ultérieurement, durant la prochaine année scolaire.
En fait, le syndicat qu’il représente aurait souhaité que plus de temps soit accordé aux préparatifs nécessaires. «Nous aurions aimé que cette année soit celle de la préparation à l’enseignement de l’anglais et non une sorte de mise devant le fait accompli», a affirmé le syndicaliste. «Cela fait soixante ans que nous n’enseignons pas l’anglais au primaire, alors pourquoi faut-il que ça se fasse aussi vite que ce à quoi nous assistons ?», s’interroge M. Zeggar, tout en se demandant également si les programmes et manuels scolaires sont prêts, de même qu’il revient sur la formation des futurs enseignants. Il relève que normalement, avant d’enseigner toute langue, il devrait y avoir une étude regroupant des experts – des inspecteurs, des enseignants de la langue et autres – sous l’égide de l’inspection pédagogique du ministère de l’Education nationale. «C’est après que sont prises les décisions, que ce soit pour définir la méthodologie, l’âge de l’enseignement de l’anglais à partir de la 3e année ou de la 4e année primaire, la formation de qui et pour combien de temps, etc.», a souligné cet ancien professeur d’anglais.
Pour autant, et la décision ayant été prise, indique-t-il, «laissons cette année scolaire passer. On va la considérer comme une sorte d’expérience préliminaire dans l’enseignement de l’anglais au niveau du primaire, et on verra ensuite comment tout cela va se dérouler». Mais, a-t-il préconisé, «il ne faudrait pas qu’elle soit prise pour une évaluation réelle, il faut qu’elle soit vue juste comme une expérience de laquelle il faudra tirer les enseignements».
Le ministère de l’Education nationale a fait part, dans son communiqué de mardi, de sa «disponibilité à dispenser l’enseignement de la langue anglaise dans le cycle primaire, à compter de la prochaine rentrée scolaire, en application de la décision du président de la République, Abdelmadjid Tebboune». Toutes les composantes du système éducatif seront «mobilisées autour de cette démarche stratégique pour en assurer l’aboutissement», d’autant que cette décision «se veut un important acquis pour le système éducatif», a expliqué le ministre aux directeurs de l’éducation nationale, ajoutant que «l’enseignement de cette matière sera confié à des spécialistes qui bénéficieront d’une formation intensifiée».