Franck Ribéry va prendre sa retraite et mettre fin à une carrière riche de 22 années. Une vie qui se scinde en deux parties. Et ce qui aurait dû consacrer son talent, le Ballon d’or 2013, a surtout marqué la fin d’une ère, celle de sa domination. Cet épisode, très douloureux aujourd’hui encore, l’a fait plonger. Retour sur une injustice dont Ribéry ne s’est jamais relevé. Franck Ribéry porte deux cicatrices. Celle qui lui barre le visage n’échappe à personne, vestige d’un accident de voiture alors qu’il était enfant. L’autre n’est pas visible à l’œil nu. Elle date de 2013 et d’un vote qu’il n’a jamais digéré. Franck Ribéry est l’homme de l’année 2013 selon Kicker. Il rafle tout : la Bundesliga, la Coupe d’Allemagne et, surtout, la Ligue des champions. Tout sauf le Ballon d’or. Voilà son drame dont il ne se remettra jamais. Il faut dire que ce Ballon d’or-là lui semblait tout destiné.
Désigné joueur UEFA de l’année, présent dans toutes les équipes type de fin de saison, le Français incarnait par-dessus tout l’hégémonie du Bayern Munich. Mais les votes ont désigné Cristiano Ronaldo qui n’avait rien gagné cette année-là mais marqué 55 buts en autant de matches. Ribéry, pourtant plébiscité par les journalistes, s’est même contenté de la troisième place derrière Lionel Messi. Il devient l’une des innombrables victimes du monstre à deux têtes comme Xavi, Andres Iniesta, Wesley Sneijder et Manuel Neuer.

LA QUÊTE D’UNE VIE
Tous ces joueurs qui auraient mérité, pour la postérité, avoir leur nom au palmarès mais qui ont dû rendre les armes face à la vague Ronaldo-Messi, portée par des statistiques, le marketing, le mode de votes incluant capitaines et sélectionneurs, et l’air du temps qui privilégient les giga-stars à ceux qui portent un collectif. Michel Platini résume alors le malaise général : «Je suis déçu car le Ballon d’or, pendant cinquante ans, a tenu compte du résultat, du palmarès sur le terrain. Là, on en est à la valeur globale des joueurs, et ça pose problème. Je suis très déçu pour Franck Ribéry. L’an prochain, on va revenir et ce sera Messi-Ronaldo, dans deux ans ce sera Ronaldo-Messi, dans trois ans ce sera Ronaldo-Messi…»
Ribéry, ancien paria des centres de formation auquel personne ne croyait à ses débuts, en avait fait la quête d’une vie comme une revanche sur un parcours cabossé. Alors, il encaisse mais mal. Le soir-même, alors que le vent avait tourné depuis quelques semaines et que le curieux retardement des votes profitait à un Ronaldo auteur d’un début de saison éblouissant, il donne le change : «Evidemment que j’aurais aimé gagner. Mais ça va. Nous, les joueurs du Bayern, à commencer par moi, on est tout simplement fiers d’avoir été présents ici.» Mais personne n’est dupe en ce mois de janvier.

« C’EST LA PLUS GROSSE INJUSTICE DE MA CARRIÈRE »
Cette course au Ballon d’or l’a animé durant des mois et le sanguin Boulonnais, qui a poussé tous ses compatriotes à le soutenir, s’est montré très susceptible sur la question jusqu’à en venir quasiment aux mains avec Gérard Houllier à la mi-temps d’un France-Australie (6-0). L’ancien sélectionneur des Bleus avait fait part de sa préférence pour Ronaldo, Ribéry n’avait pas supporté. Alors, quand la sentence est tombée, Ribéry a fait bonne figure mais une partie de lui s’est effondrée. Il lui faudra des années et beaucoup de recul pour verbaliser ce qu’il a vécu comme l’épisode le plus douloureux de sa carrière : «Plus qu’une déception, c’est la plus grosse injustice de ma carrière, lâche-t-il dans L’Equipe en 2019. Pas seulement pour moi, pour beaucoup de monde. J’étais au-dessus et je finis troisième. Je n’avais rien à envier cette année-là à Cristiano Ronaldo ou Lionel Messi.» «C’est comme si c’était un vol», se lamentera-t-il encore sur Canal Plus. Cette année encore, en juin dernier dans les colonnes de la Gazzetta, il ruminait : «J’aurais dû le gagner. Ils ont retardé l’attribution des votes, il s’est passé quelque chose d’étrange. Cela m’a paru une décision politique.»

RIBÉRY NE S’EN EST JAMAIS REMIS
Il avouera aussi qu’il lui a fallu du temps pour s’en remettre. Mais s’en est-il vraiment remis ? Car ce rendez-vous manqué a surtout sonné le début de la fin pour Ribéry. Il aurait dû le consacrer comme le roi mais l’a fait glisser sur une pente vertigineuse. On ne reverra plus jamais le Kaiser de 2012/2013. Au Bayern ni surtout ailleurs. Ce vote marque aussi un point de fracture avec un pays, la France, avec lequel les relations s’étaient déjà dégradées au fil d’affaires en tous genres. «J’ai eu le soutien de certains Français mais pas l’ensemble de mon pays, accusait-il en 2018. J’ai vu de mes propres yeux, des personnes, des Français, des entraîneurs dire ‘c’est Cristiano Ronaldo (le Ballon d’or)’. Tu penses que le Portugal aurait voulu que ce soit Messi ou Ribéry ? Impossible. Tu penses que l’Argentine aurait voulu que Ronaldo ou Ribéry soit Ballon d’or ? Impossible.»
En janvier 2014, il ratait le Ballon d’or. En mars, le fer de lance du foot français disputait, sans le savoir, son dernier match en Bleu. En juin, il ratait la Coupe du monde au Brésil sur une blessure au dos. En août, il prend sa retraite internationale. Quelque chose s’est brisé avec ce Ballon d’or et ses standards ne cesseront de chuter. Et contrairement à celle sur son visage, cette cicatrice-là ne s’est pas encore refermée. n