En mettant à exécution, depuis hier, le chantier de la révision constitutionnelle, le président de la République Abdelmadjid Tebboune signe la traduction des engagements qu’il avait tenus lors de la campagne électorale, qui l’a mené à la magistrature suprême avec la promesse d’asseoir les jalons de la nouvelle République.
En effet, le président Tebboune a fortement mis en évidence, lors de cette campagne, sa volonté d’instaurer «une nouvelle République répondant aux aspirations du peuple», un objectif qu’il a articulé autour d’une «Constitution révisée et remaniée en profondeur».
Son programme électoral, qui a pris la forme de 54 engagements, énonce ce qui est attendu de cette révision annoncée, à savoir consacrer la démocratie, établir une séparation stricte des pouvoirs, renforcer les pouvoir de contrôle du Parlement, permettre un fonctionnement harmonieux des institutions, protéger les droits et libertés du citoyen, éviter toute dérive autocratique à travers la mise en place de contre-pouvoirs efficaces.
Il s’est agi aussi de consacrer «l’inviolabilité et l’immuabilité» de la limitation du mandat présidentiel à un seul renouvelable une fois et de limiter l’immunité parlementaire aux actes et propos intervenant dans le cadre de l’activité parlementaire.
A l’évidence, ce qui n’était que promesse électorale et engagement politique prennent, près d’un mois après l’accession de M. Tebboune au palais d’El-Mouradia, le chemin de son inscription dans la loi fondamentale, ce texte qui a fait l’objet de plus d’une trituration durant le règne de Bouteflika, notamment en ce qui concerne le point relatif à la limitation du mandat présidentiel. Par ailleurs, cette accélération donnée au projet de révision de la Constitution se veut manifestement un message de la part du premier magistrat du pays à la population qui exprime depuis février dernier un désir de changement.
Vraisemblablement, le chef de l’Etat tenait à cette révision comme un chantier prioritaire pour signifier aux populations, réclamant depuis plus de dix mois un changement, que le message et les revendications qu’il porte ont été reçus et qu’il conviendrait d’inscrire ce changement dans les textes et d’œuvrer à sa traduction dans la réalité. Dans ce sens, le choix de faire passer cette révision par la voie référendaire tient lui aussi compte du nouveau acteur politique en place depuis février 2019, à travers une mobilisation populaire sans répit pour un Etat de droit et décriant toutes les pratiques de corruption, d’injustice, de dilapidation de l’argent public…
Une façon de rendre la parole au peuple pour valider ou invalider des choix engageant le fonctionnement des institutions de l’Etat. D’autant plus que le mouvement populaire, encore lui, a exclu tout rôle politique pour l’Assemblée populaire nationale et le Sénat, plus que jamais décriés et devenus des institutions budgétivores sur fond d’une fausse représentation de la société.
M. Tebboune a, pour rappel, indiqué lors de son investiture avoir placé à la tête des priorités de son mandat à la présidence de la République, l’amendement de la Constitution dans les mois ou dans les semaines à venir, pour en faire «la pierre angulaire de l’édification d’une nouvelle République et ce, afin de réaliser les revendications du peuple exprimées par le Hirak». Il a, ainsi, expliqué que le changement touchera plusieurs aspects concernant les prérogatives du Président de la République.
«La prochaine Constitution ne permettra qu’un seul mandat au Président, renouvelable une seule fois. Elle réduira également ses prérogatives, prémunira le pays contre toute autocratie, garantira la séparation des pouvoirs, assurera leur équilibre, confortera la lutte contre la corruption et protègera les libertés individuelles, la liberté d’expression et la liberté de manifestation», avait-il résumé. L’amendement constitutionnel ouvrira-t-il la voie à la nouvelle république promise par le chef de l’Etat ? L’Algérie ouvrira-t-elle une nouvelle ère dans laquelle la Constitution retrouverait la place qui devrait être la sienne ? Les politiques auront-ils un autre traitement envers la loi fondamentale contraire à celui en vigueur depuis des décades et qui a généré des «transgressions successives» de la Constitution ? Autant de questions qui se posent à l’heure actuelle.
Ce qui est certain pour le moins, c’est que l’Algérie se dotera d’une nouvelle Constitution d’ici quelques mois et qui remplacera celle de 2016 amendée sous Bouteflika.
Les principaux axes de la révision
Renforcement des droits et libertés des citoyens
La réflexion doit porter sur l’élargissement et l’enrichissement des espaces de liberté du citoyen à la fois par la consécration de nouvelles libertés individuelles et collectives, le cas échéant, et la consolidation des droits Constitutionnels garantis.
Il s’agira de donner un contenu et un sens aux droits et libertés consacrés et de protéger particulièrement la liberté de manifestation pacifique et la liberté d’expression et de la presse écrite, audiovisuelle, et sur les réseaux d’information qui doivent s’exercer librement sans porter atteinte à la dignité, aux libertés et aux droits d’autrui.
Moralisation de la vie publique et de la lutte contre la corruption
Le comité devra examiner et proposer des mécanismes propres à éviter les conflits d’intérêts entre l’exercice des responsabilités publiques et la gestion des affaires de sorte à soustraire à l’influence de l’argent la gestion des affaires publiques. La réflexion doit porter également sur les moyens de renforcer davantage les mécanismes de prévention et de lutte contre la corruption, y compris l’implication de la société civile dans cette œuvre de salubrité publique.
La réflexion devra s’étendre aussi à la réhabilitation et au renforcement des institutions de contrôle de manière à conférer à leur action plus d’effectivité dans la protection du patrimoine et des deniers publics.
Consolidation de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs
Il s’agira particulièrement de promouvoir l’action politique dans sa principale fonction d’impulsion et d’animation de la vie publique dans le respect des règles démocratiques fondées sur les principes d’alternance au pouvoir et de promotion du pluralisme politique. A ce titre, il conviendra spécifiquement d’assurer un fonctionnement harmonieux des pouvoirs par la redistribution des pouvoirs au sein de l’exécutif et la mise en place de contre-pouvoirs efficaces destinés à éviter toute dérive autocratique. Dans ce cadre, il importe particulièrement de rendre immuable et intangible la limitation du mandat présidentiel à un seul mandat, renouvelable une fois. Ne faut-il pas également réhabiliter le rôle des partis politiques en tant qu’acteurs incontournables dans l’animation de la vie politique de la Nation ?
Renforcement du pouvoir de contrôle du Parlement
Il s’agira, à ce niveau, de mettre en place des mécanismes efficaces permettant au parlement d’exercer pleinement ses missions dans le contrôle et l’évaluation de l’action du gouvernement à travers particulièrement (a) le renforcement du pouvoir des élus, notamment l’opposition parlementaire, dans la fixation de l’ordre du jour des séances des deux chambres du Parlement, (b) la consécration d’une séance par mois au moins au contrôle de l’action du gouvernement et à l’évaluation des politiques publiques en présence du Premier ministre ou du chef du gouvernement, selon la formule retenue, et, enfin, (c) la possibilité pour les élus de constituer des commissions d’enquête parlementaires sur des faits faisant l’objet d’informations judiciaires.
Dans le sillage de ces mesures, il y a lieu également de revoir la configuration de la composante du Conseil de la nation, y compris le mécanisme de désignation du tiers présidentiel, afin de privilégier les compétences scientifiques tout en veillant à la représentation nationale. Il s’agira, enfin, d’évaluer objectivement la possibilité d’élargir le pouvoir d’amendement des lois du Conseil de la nation.
Consolidation de l’indépendance du pouvoir judiciaire
La justice est l’un des fondements de l’Etat de droit. Elle doit s’exercer en toute indépendance dans le respect de la loi, hors de toute pression ou influence. Cet objectif ne peut être pleinement atteint sans une réelle protection du magistrat. Certes, au plan formel, la Constitution en vigueur a consacré cette indépendance sans prévoir toutefois des mécanismes opérationnels à même de rendre effective cette indépendance qui passe nécessairement par :
- le respect du principe de l’inamovibilité du magistrat du siège déjà consacrée par la Constitution mais restreinte considérablement par la loi et inappliquée dans la pratique.
- la reconfiguration de la composante du Conseil supérieur de la magistrature pour le soustraire à l’influence directe de l’Exécutif et sa réhabilitation dans son rôle de gestion du corps de la magistrature (nomination à toutes les fonctions judiciaires et gestion de la carrière)
Consolidation de l’égalité des citoyens devant la loi
Il s’agira essentiellement de revoir la portée de l’immunité parlementaire en la circonscrivant à la sphère de l’activité parlementaire au sens strict du terme qui exclut tous les actes qui n’ont pas un rapport direct avec le mandat parlementaire.
Dans le prolongement de cette réflexion, la communauté nationale établie à l’étranger doit recouvrer sa pleine citoyenneté pour bénéficier des mêmes droits et être soumise aux mêmes devoirs que les citoyens résidants sur le territoire national. Aussi importera-t-il de revoir les dispositions constitutionnelles qui limitent l’accès des résidents nationaux à l’étranger à certaines hautes responsabilités de l’Etat et aux fonctions politiques.
Consécration constitutionnelle des mécanismes d’organisation des élections
Il s’agira d’abord de donner un ancrage constitutionnel à l’Autorité nationale indépendante des élections et de procéder, ensuite, à la suppression de la Haute instance indépendante de surveillance des élections dont la mission est devenue sans objet du fait que l’organisation des élections relève désormais d’une autorité indépendante, émanation exclusive de la société civile.