Le bras de fer persiste entre l’entreprise Numilog, filiale du groupe Cevital implantée à Béjaïa, et ses employés. La crise qui marque les relations entre les deux parties semble avoir atteint son paroxysme depuis le licenciement de 196 travailleurs au sein de l’entreprise qui en compte 250.

Ce licenciement jugé «abusif» par les travailleurs a atterri dans les couloirs des tribunaux. Et si la justice a tranché en faveur de la réintégration des licenciés, les travailleurs et leurs représentants accusent la direction de l’entreprise de ne pas se conformer à la décision de justice. Comment en est-on arrivé à cette situation qui dure depuis plusieurs mois ?
L’histoire a commencé lorsque les employés de Numilog ont réclamé ce qu’ils considèrent comme leurs droits socioprofessionnels, tout en pointant du doigt leurs conditions de travail jugées pénibles. Ils citent, à ce titre, notamment le manque de récupération, l’absence des normes de sécurité, l’humiliation et les menaces de licenciement répétitives, des salaires minimes… Pour Laïd Khefach, employé et syndicaliste, «les chauffeurs travaillent 18 heures par jour. Ils n’ont même pas le droit de se reposer ou d’avoir une journée de récupération, malgré les longs voyages qu’ils parcourent». Le même interlocuteur poursuit son constat. «Nous travaillons sans arrêt, mais il n’y a que les administrateurs qui ont droit aux weekends ou aux jours fériés. Nous travaillons 24 jours consécutifs sans avoir le droit au repos. Malgré tout cela, l’entreprise déclare 22 jours ouvrables à la sécurité sociale», accuse-t-il. «Les conditions des travailleurs et le traitement que nous réserve la direction ne nous ont pas dissuadés, puisque nous avons décidé de créer notre syndicat comme cadre qui va nous permettre de mieux organiser nos actions», ajoute la même source
La goutte qui a fait déborder le vase dans cette affaire a été le licenciement «abusif» de trois membres fondateurs du syndicat, le 20 juin dernier, lorsqu’ils ont porté les revendications légitimes de leurs collègues afin d’améliorer les conditions de travail auprès des responsables, explique M. Khefach. Après cette décision de licenciement de trois collègues, le personnel, indigné, décide de se solidariser avec les expulsés en entamant une grève cyclique de trois jours. Quelques jours plus tard, l’administration prend la décision de licencier tout employé adhérant du syndicat créé récemment. «C’est cette décision qui coûtera leur poste à 196 travailleurs arbitrairement licenciés», dénonce notre interlocuteur, qui met à l’index le groupe Cevital qui «refuse l’exécution de la décision de justice».

Contestation dans la rue
Depuis juillet passé, plusieurs manifestations ont été organisées pour dénoncer «les décisions arbitraires et l’abus de pouvoir» de la direction de l’entreprise. Un sit-in permanent (jour et nuit) est observé par des travailleurs de Numilog devant la direction pour exiger l’application de la décision de justice portant sur la réintégration de tous les travailleurs licenciés et l’ouverture des portes de l’entreprise. Les protestataires reprochent également au patron de Cevital ce qu’ils qualifient d’ingratitude. «La majorité des travailleurs licenciés ont participé aux marches à Béjaïa l’an passé pour débloquer les investissements du groupe Cevital. Aujourd’hui, ils se retrouvent avec leurs familles dans la rue», font observer les travailleurs dépités de Numilog.
Pour avoir la version de la direction de Numilog, nous avons tenté de contacter le chargé de communication du groupe Cevital, Mouloud Ouali. Ce dernier n’a pas répondu à notre demande, se contentant de nous envoyer le communiqué du comité de participation.
Pour l’expert en questions sociales, Noureddine Bouderba, ce qui se passe à Numilog, aujourd’hui, est «un problème très profond qui dévoile la réalité des droits du travailleur en Algérie». Et d’ajouter que «chez nous, le privé algérien ou privé mixte n’admet pas le droit syndical. Plusieurs employés se retrouvent licenciés lorsqu’ils s’apprêtent à organiser des sections syndicales au sein de leur entreprise, un droit bel est bien garanti par la loi». Sur les violations et le non-respect des droits des travailleurs en Algérie, l’expert évoque ce qu’il considère comme «l’ineffectivité de la loi» dans un environnement marqué par l’impunité et l’absence de volonté politique pour exiger l’application des lois. M. Bouderba s’interroge par ailleurs sur le rôle de l’inspection du Travail dans des circonstances pareilles. «Pourquoi l’inspection du Travail n’intervient pas et poursuit en justice la partie qui refuse l’application des lois ?», s’est-il demandé.
Dans le bras de fer qui les oppose à leur direction, les travailleurs de Numilog bénéficient de la solidarité et du soutien de certaines formations politiques, notamment le Parti socialiste des travailleurs (PST). Kamel Aïssat, syndicaliste et militant au sein du PST Béjaïa, a accepté de nous faire part de son point de vue concernant les libertés syndicales et le cas Numilog en particulier. «L’affaire Numilog a dévoilé ce qui se passe dans les zones d’ombre dans le monde du travail. Elle nous apprend davantage que le droit syndical est interdit dans le secteur privé», nous déclare Kamel Aïssat, syndicaliste et militant du PST. «Le groupe Cevital est habitué à de telles pratiques. On a tendance à licencier les travailleurs qui veulent s’organiser pour demander leurs droits légitimes et garantis par la loi dans un cadre légal», a-t-il indiqué. «Au PST, nous étions et nous sommes toujours aux côtés de ces travailleurs qui se trouvent aujourd’hui dans la rue. Nous avons appelé à faire pression sur tout le patronat algérien, et non seulement sur le groupe Cevital, pour asseoir dans les faits le respect du droit syndical», a-t-il ajouté. Pour lui, il s’agit de maintenir et de multiplier les actions pour «imposer le droit syndical, interdire le licenciement et mettre fin à tout genre de harcèlement en milieu professionnel».