Propos recueillis par Jacqueline Brenot
Reporters : On dit que les destins fabuleux appartiennent au commun des mortels qui n’ont ni entrave, ni frontière, juste leur inspiration ambitieuse placée sous une bonne étoile. Qu’en est-il de celui de l’artiste algérien Chemsou Belarbi parti d’un faubourg pauvre de Mostaganem, arriver aux Etats-Unis et devenir la personne influente de l’année 2020, «Influential People» Magazine, trois décennies plus tard ? Chemsou Belarbi, votre histoire ressemble à un conte de fées, mais le cours emprunté ne fut pas un long fleuve tranquille. Pourriez-vous raconter aux lecteurs du quotidien«Reporters» votre Odyssée qui commence dans l’ouest algérien ?
Chemsou Belarbi : Je suis très heureux d’avoir une conversation avec vous Professeur Jacqueline Brenot, et de communiquer pour le journal «Reporters».
Au début, je dis que c’est Dieu qui m’a donné ce talent. Et c’est un honneur et un mandat en même temps… J’étais berger des moutons de mon oncle dans un petit village de la wilaya de Mostaganem, à Aïn Tedles, et alors que je pratiquais cet élevage à l’âge de cinq ans, des pages de journaux locaux et étrangers passaient entre mes mains. Très tôt, j’ai été attiré par les images artistiques des stars de cinéma des magazines qui y figuraient et leurs couleurs. Elles m’ont séduit et j’ai senti un besoin profond de dessiner leurs visages sur le sable avec mon bâton de berger, puis avec du charbon de bois. A l’école, dès mes cinq ans, les enseignants ont découvert mon talent. Plus tard, le jour de mon anniversaire, madame Grit, ma tante allemande, m’a fait la surprise de m’offrir un carnet de dessin, ce qui m’a beaucoup encouragé.
C’est alors que j’ai commencé à accorder plus d’importance au dessin qu’aux autres matières comme les mathématiques et la physique et j’ai dû doubler des classes.
Pour résumer ma vie artistique précoce, je dois préciser d’abord que je viens d’une famille très pauvre. J’ai arrêté d’étudier pour aider les miens, malgré l’avis contraire de mon grand-père. J’ai alors mis en pratique mes talents pour me lancer dans la peinture comme décorateur pour des magasins et boutiques de ma ville, des dessins muraux. J’ai enchaîné les petits boulots. Le travail était dur pour un enfant de mon âge surtout exposé à la dureté de l’espace de la rue. Et souvent, j’ai été exploité par des gens sans scrupules qui profitaient de mon énergie artistique. Il arrivait qu’après le travail réalisé, les gens qui m’employaient, au lieu de me payer, me menaçaient. Souvent, je travaillais sous un soleil de plomb et obligé de porter de lourdes charges. Il m’est arrivé de porter des escaliers en fer. Affaibli par le poids et le soleil qui chauffaient le métal, mes mains ont subi des brûlures. Pire, quand je voulais me plaindre de ces gens malhonnêtes auprès de la Police, celle-ci me menaçait à son tour. Heureusement, dans mes épreuves, j’ai aussi croisé de braves gens qui s’occupèrent de moi et m’aidèrent.
A cette époque, je passais fréquemment devant les salles de cinéma et regardais avec attention les affiches et les immenses photos de stars aux portes de la salle. Quand je rentrais chez moi, je les représentais à ma manière sur du papier à dessin, principalement les portraits.
Malgré l’exiguïté de notre maison où toute la famille s’entassait dans une seule pièce, je ne cessais de dessiner patiemment ces visages. A cette époque, le toit étant endommagé, nous souffrions beaucoup du froid durant l’hiver et beaucoup de mes dessins ont été détruits à cause de la pluie.
Plus tard, ayant été reconnu pour mes reproductions d’affiches, j’ai pensé envoyer mes réalisations à l’étranger à des sociétés de production, mais les réponses tardaient. Déterminé à sortir de la misère, j’ai envoyé tous les dessins aux sociétés de production de films par courrier. Les gens de mon entourage ont commencé à me traiter de fou, mais je comptais sur Dieu parce que, pour moi, c’était lui qui m’avait donné ce talent et je devais persévérer et travailler. Cependant, les années passaient et je ne recevais toujours aucune réponse. J’ai donc continué à travailler dans la rue, mais la dureté de la situation a affecté ma santé et je suis entré dans une période difficile. Puis, j’ai commencé à travailler dans des laboratoires de photographies pour des photos d’identité et des portraits artistiques dans mon village d’Aïn Tedles. Ma santé déjà affectée s’est aggravée et j’ai été hospitalisé pendant trois mois. Grâce au soutien de mon grand-père et ses principes islamiques qui me donnaient sagesse et force, j’ai réussi à sortir de cette crise dangereuse. Ses conseils m’ont aidé à mieux organiser mon temps et je suis retourné à nouveau dans la rue afin de continuer le combat pour atteindre mes rêves.

Est-il exact que conscient de votre talent de portraitiste et remarqué par quelques personnes de votre entourage, vous avez eu l’audace de poster vos affiches publicitaires à des producteurs des Etats-Unis et d’Amérique du Sud ?
Mon état s’améliorant, j’ai repris confiance. Jusqu’au jour où j’ai reçu une lettre d’un producteur argentin travaillant en partenariat avec Hollywood, Juan Manuel Olmedo. Il était informé de mon travail dans les cercles cinématographiques. Il m’a commandé le dessin de l’affiche du film «GarraMortal». Un peu plus tard, j’ai commencé à recevoir des demandes de réalisateurs et de producteurs. J’ai réalisé alors de nombreuses affiches pour des films d’action internationaux : «Honor», «The news», «Buks of America», « Out for vengeance», des affiches d’albums de troupes musicales, «Love Zombies», «Fugitive», «Ravancha»… L’acteur, George Hilton, considéré comme une légende hollywoodienne pour ses films, m’a invité et nous nous sommes mis d’accord sur un projet de travail. Puis, il y a aussi un projet avec l’acteur hollywoodien Grégory Blair. J’ai pu réaliser de nombreuses affiches pour une série de films américains. J’ai reçu des lettres de remerciements et d’encouragements : la star belge du film d’action Jean Claude Van Damme a posté une photo avec l’un de mes dessins. L’astronaute canadien Jeremy Hansen aussi. Sans oublier le célèbre footballeur canadien Mike Dopud, pour ne citer qu’eux… Une délégation d’experts du cinéma est même venue à Oran avec le grand manager Noureddine Mahla et le producteur Alexis Houtoundji, et le chef de la délégation était l’acteur célèbre international Kevin D. Benton, suite à quoi ils m’ont honoré lors d’une grande fête. On m’a nommé «le dessinateur arabe» du moment, car je suis le dernier à dessiner d’une façon traditionnelle mes portraits d’affiches cinématographiques.
Parmi les réalisations reconnues, mon nom a été enregistré dans le Dictionnaire international du cinéma international MDB. De même, l’histoire de ma vie aux côtés des géants du cinéma mondial a été consignée dans un livre édité par la «Hollywood International Foundation».

Quelles sont les réalisations dont vous êtes le plus satisfait ? Pour quelle raison votre travail est autant apprécié sur le plan international ?
Beaucoup de choses ont été accomplies… Mes affiches sont devenues célèbres dans les cercles artistiques internationaux, des producteurs et réalisateurs m’appellent pour leur en dessiner. En fait, pour expliquer mon succès aux Etats-Unis, les Américains vivent dans la numérisation alors que mon travail reste traditionnel. C’est magique pour eux !
J’ai été classé par le célèbre magazine américain Influencers comme une figure influente pour l’année 2020 et aussi l’histoire de ma carrière artistique a été enregistrée dans sept pages du magazine koweïtien (Al-Arabi), qui est publié par le Conseil National de la Culture et des Arts de l’État du Koweït, le plus célèbre magazine dans le Monde Arabe et beaucoup d’autres belles choses réalisées.

Après vos premiers succès à l’étranger dont l’un des Festivals de Cannes, ou d’autres festivals internationaux au Maroc, comment avez-vous été accueilli en Algérie ?
J’ai participé à de nombreux festivals à travers le monde et j’ai été apprécié par de nombreuses personnalités internationales, notamment des hommes politiques, des artistes, des sportifs et des scientifiques, car celui qui se respecte et a une forte personnalité est respecté par les autres… mais après mon retour en Algérie, personne ne m’a reçu. Jusqu’à ce jour je n’ai pas obtenu de carte d’artiste. Déçu, j’ai décidé d’arrêter définitivement l’activité artistique en Algérie. Cependant de nombreuses personnalités médiatiques et artistiques en Algérie se sont montrées solidaires à mon égard. Le Dr Mohamed Marouani de la wilaya de Mostaganem est venu chez moi et m’a honoré en me remettant un certificat de reconnaissance de la Direction de la Culture. Cependant, je n’ai pas encore reçu la reconnaissance du Ministère de la Culture en tant qu’artiste.

Depuis cette renommée internationale en tant qu’un des derniers affichistes «classiques», avez-vous été contacté pour réaliser des affiches de films tournés en Algérie ?
Ici en Algérie, la réalisatrice et productrice Samira Hadj Jilani m’a contacté pour réaliser l’affiche du film «Ahmed Bey», l’acteur principal.
Mais un film sera bientôt tourné sur ma carrière artistique ici en Algérie. Le film sera produit par Moustafa Obama, le frère de l’ancien président américain Barack Obama. Ce sera une grosse surprise.
A l’occasion de cette interview, je voudrais faire passer un message. Je dis que la liberté d’expression, c’est surtout s’exprimer librement pour le bonheur des autres. C’est une règle de l’Islam que j’ai apprise et qui m’a fait peindre avec beauté. J’essaie avec ma création artistique de faire connaître la culture arabo-musulmane à travers le monde. Cette culture artistique est très riche en ornementation, la calligraphie arabe me fascine, et bien d’autres choses merveilleuses qui nourrissent mon inspiration depuis toujours. Pour conclure, je suis très content de vous parler Professeur Jacqueline Brenot et vous remercie de cet entretien.