Des milliers d’Irakiens ont conspué hier les Etats-Unis lors du cortège funéraire du général Qassim Souleimani, assassiné dans un raid américain en Irak, où une nouvelle attaque a encore visé un convoi du Hached al-Chaâbi, la coalition des paramilitaires intégrés. Cette escalade plonge déjà l’Irak dans une tension palpable, où la présence américaine dans ce pays est plus que jamais rejetée.
L’assassinat, dans une attaque de drone américaine vendredi à Baghdad, de l’architecte de la stratégie iranienne au Moyen-Orient, et Abou Mehdi al-Mouhandis, numéro deux du Hached près de l’aéroport, a plongé ce pays et la région dans l’incertitude et fait craindre une conflagration générale. Ces appels à la « vengeance » ont été repris par des milliers d’Irakiens et d’Iraniens en colère à Baghdad et à Téhéran. « Mort à l’Amérique », a scandé hier une foule dense dans le quartier de Kadhimiya à Baghdad, réunie autour des cercueils de Souleimani et de son lieutenant. Ces funérailles officielles et populaires se sont déroulées dans une grande tension. Les corps des 10 morts seront ensuite transportés de Kadhimiya à l’ultrasécurisée Zone verte de Baghdad, où siègent les plus hautes institutions de l’Etat irakien. Le Premier ministre démissionnaire irakien Adel Abdel Mahdi a participé aux obsèques. Etaient également présents Faleh al-Fayyadh, chef officiel du Hached al-Chaâbi. Qasim Souleimani sera enterré mardi dans sa ville natale de Kerman, en Iran, à l’issue de trois jours de cérémonies d’hommage à travers le pays. Mardi, c’est lors du cortège funéraire de 25 combattants d’une faction du Hached, tués dans des bombardements américains en Irak, que la foule avait pris d’assaut l’ambassade américaine, forçant sa première enceinte à coups de barres de fer et de béliers. Après cette escalade provoquée par les Etats-Unis, l’Irak dit redouter « une guerre dévastatrice » sur son sol. Avec cet acte aventureux, la présence américaine sur le sol irakien est sérieusement mise à mal. D’autant que l’assassinat est officiellement revendiqué. Trump avait déclaré avoir ordonné « l’élimination » de Souleimani pour «arrêter» une guerre et non pour en commencer une, affirmant qu’une attaque contre des Américains était alors « imminente ». Il reste toutefois inimaginable que les Etats-Unis n’aient pas mesuré les conséquences d’une telle opération dans la région. L’assassinat d’un personnage comme Souleimani ne pourrait être expliqué que par une disposition à aller à la guerre. Ce qui est sûr c’est que, désormais, la présence américaine en Irak est sérieusement compromise. En Iran, trois jours de deuil ont été décrétés en mémoire de Souleimani.
Une grave erreur
Les Etats-Unis ont commis leur «plus grave erreur» en tuant Souleimani, a averti le Conseil suprême de la sécurité nationale, plus haute instance sécuritaire d’Iran. « Ces criminels subiront une dure vengeance au bon endroit et au bon moment », dira-t-il. Cet assassinat pourrait renforcer l’Iran et son influence en Irak. Un acte qui a créé un consensus rare contre les Etats-Unis dans un Irak déchiré depuis plus de trois mois par une révolte populaire dénonçant le pouvoir actuel. Washington a « violé la souveraineté de l’Irak », selon les mots des plus hauts dirigeants de l’Etat, les commandants du Hached ont appelé leurs combattants à se «tenir prêts». La question de sortir les Américains d’Irak est dans toutes les bouches. Les députés irakiens doivent se réunir aujourd’hui et pourraient dénoncer l’accord irako-américain qui encadre la présence de 5 200 soldats américains sur le sol irakien. Et ce, au moment même où Washington annonce déployer 3 000 à
3 500 soldats supplémentaires au Koweït, voisin de l’Irak, selon un haut responsable du Pentagone, en plus de 750 déjà envoyés cette semaine. En attendant, l’Otan a suspendu ses opérations d’entraînement en Irak. Dans la région, les réactions se poursuivent. Le mouvement de résistance libanais Hezbollah a promis «un juste châtiment» aux «assassins». Et au Yémen, les Houthis ont appelé à des «représailles rapides». A Washington, le camp républicain acquiesce alors que son adversaire démocrate critiquait une décision jugée irréfléchie et porteuse de périls. Moscou et Paris expriment de l’inquiétude. Vladimir Poutine et Emmanuel Macron ont dit s’inquiéter du risque «d’aggraver sérieusement la situation» au Moyen-Orient. Pékin et Londres ont appelé à la «désescalade». Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov s’est entretenu au téléphone avec son homologue iranien Mohammad Javad Zarif. La Chine exhorte les Etats-Unis à « ne pas abuser de la force ». La guerre est déjà dans les esprits. Les Américains « ont entamé un conflit militaire en assassinant par un acte de terreur un de nos principaux généraux. Alors qu’est-ce que l’Iran peut faire ? Nous ne pouvons pas rester silencieux, nous devons agir et nous allons agir», a affirmé hier l’ambassadeur iranien à l’ONU Majid Takht Ravanchi. Cette action des Américains appelle désormais des représailles. L’assassinat a plongé irrémédiablement la région dans l’incertitude. Téhéran promet « une dure vengeance au bon endroit et au bon moment ».