Les incendies qui carbonisent nos forêts, particulièrement en Kabylie dévastée et meurtrie, ravagent le cœur du pays déjà lourdement éprouvé par la crise sanitaire. Le bilan provisoire est lourd : près de 70 morts et des blessés. La facture est exorbitante, les conséquences incalculables. En attendant d’identifier les responsabilités, d’établir les comptes et de tirer les leçons nécessaires, l’heure est à la douleur de la terre ravagée et au deuil des vies perdues.

Par Nadir Kadi
Le bilan des terribles incendies qui ravagent les zones boisées du nord du pays ne cesse de s’alourdir depuis lundi, faisant état hier en fin de journée d’au moins 69 morts – 41 civils et 28 militaires – et des dizaines de blessés. Un seul élément d’information est néanmoins certain, le pays doit faire face à l’une des plus graves catastrophes, et très certainement, l’un des pires crimes qu’il ait eu à affronter depuis de nombreuses années.
La présidence de la République, qui a décrété, un deuil national de trois jours à partir d’aujourd’hui, rend ainsi hommage aux disparus, civils et militaires, tout en saluant l’engagement des agents et des volontaires qui luttent actuellement sur le terrain : «Nos cœurs accompagnent les âmes qui contribuent à l’extinction des feux», a en ce sens écrit le Président Tebboune. Annonçant plus loin avoir «donné des instructions pour prendre toutes les mesures nécessaires à la maîtrise et au contrôle de la situation», notamment la mobilisation de «tous les moyens humains et matériels» pour l’extinction des feux.
Incendies qui restent, en effet, «actifs» à travers 17 wilayas ; 86 foyers, sur les 103 enregistrés depuis lundi, étaient en cours hier à la mi-journée, selon le Directeur général des forêts, Ali Mahmoudi. Le responsable, cité par l’APS, précise que la majorité des sinistres sont localisés dans la wilaya de Tizi Ouzou avec «30 foyers importants». En ce sens, le Colonel Farouk Achour, Directeur de l’information et des statistiques à la Protection civile, a pour sa part fait savoir : «A Tizi Ouzou, il reste 24 foyers d’incendies. Un seul a pu être éteint la nuit dernière.» Une déclaration qui démontre la violence et l’intensité des flammes que combattent les unités de la Protection civile de Tizi-Ouzou appuyés par «1 000 hommes en renfort (…) avec 200 engins de lutte contre les incendies et 2 hélicoptères du groupement aérien, mobilisés dès le début pour des opérations ciblées d’évacuation d’urgences. Ils ont permis le sauvetage de nombreuses personnes», selon le même responsable.
Et la situation est similaire dans d’autres wilayas du nord-est du pays, bien que l’intensité et le nombre de départs de feu semblent «moins» importants que dans la wilaya de Tizi-Ouzou. Les rapports de la DGF établissaient toutefois, hier en milieu de journée, un total de 55 des incendies «en cours» au niveau des wilayas de Jijel, Béjaïa, El Tarf, Skikda, Annaba, Blida, Guelma, Sétif, Médéa, Alger, Batna, Bouira, Chlef, Khenchela, Oum El Bouaghi, et Tébessa… Un calcul encore très provisoire fait état, selon la DGF, de plus de 25 000 hectares ravagés par les flammes. Une estimation qui s’ajoute aux plus de 10 000 hectares touchés depuis le début de la saison estivale, notamment à Khenchela.
Quant aux premiers bilans des pertes humaines, les informations recueillies hier restent provisoires, mais font notamment état 36 victimes civiles dans la wilaya de Tizi-Ouzou, un octogénaire, victime des premiers incendies dans la wilaya de Sétif, et 4 autres personnes enregistrées hier après-midi dans la localité de Barbacha (Béjaïa). Un bilan effroyable, particulièrement lourd, auquel s’ajoute encore la mort de 28 militaires «lors des interventions de lutte contre les feux pour protéger les populations», selon un communiqué du ministère de la Défense nationale.

25 000 hectares déjà ravagés par les flammes
Le ministère de la Défense, avait dans un premier communiqué, fait état de 25 militaires qui ont péri expliquant qu’il s’agit d’un gendarme et de 24 soldats du 57e Bataillon léger d’infanterie, stationné à Ichelladhen. Le texte ajoute par ailleurs que la mort de 7 militaires a été comptabilisée des suites de blessures. Huit militaires, relevant également du 4e Bataillon d’infanterie autonome, stationné à Tala Hamdoun (Béjaïa), sont blessés à des degrés divers de gravité. Leur intervention, ajoute le ministère, «a permis de sauver 110 citoyens, entre hommes, femmes et enfants, des flammes».
Evoquant par ailleurs la question des moyens engagés par la Protection civile, le colonel Farouk Achour a en substance précisé que les autorités avaient jusque-là privilégié l’acquisition de moyens terrestres de lutte contre les feux de forêt : «Nous sommes passés de 26 à 56 colonnes mobiles et chaque wilaya est dotée de sa propre colonne mobile. Les wilayas à vocation forestière ont au minimum deux colonnes mobiles. Nous avons également acquis six hélicoptères multi-mission que nous engageons à chaque fois dans la lutte contre les feux de forêt.» Une stratégie qui, de toute évidence, semble incomplète, le responsable indiquant lui-même, lors de son passage, hier matin, à la Chaîne III, qu’un «travail est en cours pour l’acquisition de moyens aériens adaptés à la topographie algérienne». Le Premier ministre avait en ce sens fait savoir que des négociations en vue «d’affréter» des avions bombardiers d’eau étaient en cours et même très «avancées» avec des pays européens. Pour rappel, le Directeur général des Forêts avait évoqué cette question dès la fin juin, parlant de contacts pour «acheter ou louer» de petits avions de lutte anti-incendie.
Quant à la «question» qui était hier sur toutes les lèvres, à savoir les causes et responsabilités d’une telle catastrophe, elle a en partie été évoquée par les responsables politiques et les autorités de protection du patrimoine forestier. Ainsi, le Premier ministre Aïmene Benabderrahmane fait savoir que «les premiers indices laissent penser qu’il s’agit d’incendies à caractère criminel (…) L’Etat sévira contre ces criminels qui seront poursuivis car ils sont les ennemis de la nature et de la patrie». Une piste «criminelle» qui s’appuie sur la simultanéité des départs de feux, mais également leur localisation dans des zones difficiles d’accès. C’est en tout cas le constat fait par le colonel Farouk Achour : «Lorsque vous avez une vingtaine de foyers qui se déclenchent, au même moment, dans un espace géographique assez limité, vous pouvez être sûrs à 100% que ce sont des actes prémédités. Ce qui s’est passé à Tizi Ouzou, des feux à proximité de zones humides mais qui prennent de l’ampleur, nous sommes plus que certains que ce sont des actes criminels.» Le même responsable a, par ailleurs, indiqué que les auteurs éventuels avaient choisi le lieu et le moment : «Ces gens-là connaissent la spécificité de la région, ils savent que ce sont des reliefs très accidentés, isolés mais où il y a aussi de l’activité humaine (…) Bien sûr, il y avait une température caniculaire qui n’enclenche pas, mais qui favorise et des vents assez importants qui permettent la propagation rapide et des espèces végétales très vulnérables (…) Tous les ingrédients étaient réunis, ces gens savaient ce qu’ils faisaient.»