L’Algérie, naguère, avait certes la réputation de n’être réduite qu’à l’ardeur du soleil et à la magie de ses paysages. Et, du reste, quand bien même elle a toujours été appréciée pour l’abondance de ses ressources naturelles, pour la variété de ses gisements miniers, pour l’importance et la qualité de ses réserves en hydrocarbures, les écrivains et poètes qui l’ont visitée n’ont, le plus souvent, été sensibles qu’à la chaleur et à la lumière qui en émanent.
par Kamel Bouslama
Il a fallu la guerre d’Indépendance, avec son immense impact médiatique international, pour que notre pays se fasse connaître de façon plus nuancée. On voit donc bien que l’Algérie, parce qu’elle n’est pas seulement pittoresque, ne peut être réduite à l’une ou l’autre des dimensions citées plus haut. Elle ne le peut, car non seulement elle les intègre toutes, mais aussi parce qu’elle a bien davantage à offrir. Et, d’ailleurs, ne serait-ce qu’avec sa multitude de contrastes géographiques, climatiques et humains, c’est déjà là, une belle promesse d’étonnement !
Outre la beauté bouleversante de ses paysages et l’hospitalité proverbiale de ses habitants, c’est l’un de ces rares pays à avoir conservé des témoins prestigieux des grands courants de civilisation qui ont traversé, depuis l’aube de l’humanité, le Bassin occidental de la Méditerranée. Hé oui ! En Algérie l’art et l’histoire transparaissent à fleur de sol, indéfiniment. Ils y délivrent, avec force, un ineffable message… Il n’en est pour preuve que les outils lithiques en pierre taillée mis au jour, en 2018, dans le complexe d’Aïn Boucherit (commune de Guelta-Zerka, wilaya de Sétif).
Or, ces outils dits oldowayens, avec 2 millions 400 mille ans de datation, en font le plus ancien site paléolithique connu en Afrique du Nord et le deuxième berceau de l’humanité après celui de Kada Gona, dans la vallée de l’Awash, en Ethiopie (2 millions 600 mille ans)
Un immense musée à ciel ouvert
Quand on sait, par ailleurs, que les portes de l’immense territoire de notre pays – qui confine à la sous-continentalité – mènent directement à la connaissance des grands ensembles régionaux dont il fait naturellement partie, à savoir les ensembles nord-africain, méditerranéen et arabo-africain ; on ne peut s’empêcher de penser que l’Algérie est surtout une terre de jonctions civilisationnelles.
Pour avoir, en effet, si longtemps servi de transition entre des mondes si divers, c’est, aujourd’hui, une terre d’unité-diversité fondée sur une inter culturalité aussi pénétrante que brillante. Naturelle, authentique, flamboyante et somptueuse, elle l’est totalement dès qu’on se met à son écoute. C’est d’ailleurs ce pour quoi elle défie tous les clichés méditerranéens, africains et orientaux. C’est aussi ce pour quoi elle est à découvrir autrement que par un tourisme.de masse ravageur de la biodiversité qu’elle renferme, laquelle, soit dit en passant, est l’une des plus riches au monde. L’Algérie est, somme toute, aujourd’hui, un immense musée à ciel ouvert, unique au monde. On retiendra, en effet, que c’est grâce à ses ports naturels, vastes et abrités, que notre pays a, depuis l’Antiquité et l’aube de la navigation, occupé une position stratégique fort enviable, celle de sentinelle de la Méditerranée. Et c’est, de toute évidence, à quelques encablures à peine du Sud de l’Espagne, là où l’Europe se rapproche le plus du continent africain, qu’il a exercé à la fois une position et une fonction de contrôle. Position idéale qui, par là même, en a fait un tremplin géographique rêvé.
Pas étonnant, dès lors, que les puissances de l’Ancien Monde l’aient tour à tour conquis ou occupé et y aient laissé leur plus forte et plus évidente empreinte…Aux Phéniciens ont succédé ainsi les Carthaginois, puis les Romains, les Byzantins, les Arabes, les Ottomans et, en dernier, les Français qui resteront jusqu’en 1962, année à laquelle l’Algérie devient une République indépendante
Le tourisme, c’est toute l’année, pas seulement durant les saisons estivales et hivernales !
Notre pays, en définitive, offre non pas des itinéraires précis, lesquels sont plutôt le fait des agences de voyage et de tourisme, mais c’est surtout sa surface totale qui est itinéraire. Un formidable patrimoine archéologique, historique et culturel y affleure à même le sol, façonné sans doute depuis l’aube de l’humanité, souvent unique au monde, fascinant de mystère. Mais qui demeure encore vierge, méconnu, d’une authenticité troublante, sans pareille. Pour tout dire, l’Algérie est, selon les termes du défunt Mohamed-Salah Mentouri, ex-ministre du Tourisme, «une terre où l’on retrouve tous les âges de la Terre». Une raison, au moins, pour laquelle aujourd’hui, demain et même dans un lointain futur, c’est une destination touristique virtuellement viable, voire idéale. Et, qui plus est, se trouve être, de nos jours, la moins saturée de tout le Bassin méditerranéen. Une terre à découvrir donc sans trop tarder, autrement que comme un simple touriste. Sans trop se presser aussi. Car en attendant, même si les autorités se doivent enfin de libérer la délivrance des visas touristiques, elles ne doivent pas pour autant perdre de vue que le grand talon d’Achille de notre pays en matière de protection du patrimoine matériel et immatériel est l’insuffisance, voire le manque de rigueur quant à la protection de ce patrimoine. A ce titre, il nous faudra du temps, ne serait-ce que pour former et/ou perfectionner avec efficience gardes frontières, douaniers, guides touristiques et autres intervenants concernés par la défense et la protection de notre patrimoine. Cela dit, il ne faut pas s’attendre, pour l’heure, à débarquer dans un pays où le tourisme est déjà roi, où les devises ouvrent automatiquement toutes les portes : l’Algérie veut certes faire place -elle s’y attelle d’ores et déjà- à un tourisme normé, compétitif. Mais, à bien y regarder, ce sera un tourisme réfléchi, responsable. Loin de toute carte postale aseptisée et publicité aguichante pour touristes en mal d’aventures sexuelles. Bref, un tourisme qui serait à visage humain. Elle apparaîtra donc telle qu’elle est, dans sa vie de tous les jours, dans l’épreuve comme dans la joie, dans ses aspirations à un mieux-être, dans ses fêtes aussi, d’une tradition authentique.
L’Algérie, une destination sans clichés
Pourtant, le secteur en question accuse quelque retard à tout le moins dommageable, dans l’augmentation de ses capacités d’accueil et l’amélioration de la gestion des structures hôtelières existantes, dans la mise en œuvre et l’exploitation des patrimoines historique, culturel, civilisationnel qui, pourtant, constituent des richesses touristiques avérées.
Il est vrai que compte tenu de ses choix politiques, notre pays n’a pas développé son tourisme autant que nos voisins, tels le Maroc et la Tunisie. Ce qui, en dépit de réalisations infrastructurelles remarquables dans ce domaine, explique certes l’insuffisance en matière de gestion de ces infrastructures ; mais c’est ce qui, en même temps, favorise et oblige quelque peu à établir des contacts directs avec la population. Ce genre de tourisme s’adresse plutôt à une clientèle d’individuels et de petits groupes. Avec, pourquoi pas, des maisons d’hôte et l’hébergement chez le particulier. Une sorte de tourisme de niche, pour ainsi dire. Surtout dans les confins du Grand-Sud, où l’écosystème est considéré à juste titre comme ultra fragile. Il doit, de ce fait, être protégé de toute prédation humaine, volontaire ou non. Il faut dire, enfin, qu’au regard des impératifs de certains secteurs comme l’enseignement, l’Industrie ou l’agriculture, celui du tourisme ne pouvait, jusque-là, être une priorité dans notre pays. L’Algérie, il est vrai, n’entendait, dans un passé encore récent, ne promouvoir qu’un tourisme dit populaire, accessible principalement aux nationaux.
Toujours est-il qu’au plan du tourisme compétitif, autrement dit orienté vers une clientèle internationale, ce contretemps aura au moins permis que rien, ici, ne soit encore galvaudé. Les visiteurs d’aujourd’hui et de demain, nous l’espérons vivement, en oublieront bien vite les effets éventuels, d’autant que le peuple algérien sait être spontanément chaleureux et accueillant avec tous ceux qui n’emportent pas dans leurs bagages d’inutiles préjugés. Il faut dire, à l’appui de cette assertion, qu’il reste parfois encore des réticences, l’Algérien étant définitivement rebelle à toute forme de bradage, de servilité. Ainsi, peu à peu, procédant par méthode ou de manière fortuite, le visiteur, touriste ou non, pourrait être amené à découvrir, dessiné à grands traits quotidiens, le vrai visage de l’Algérie de toujours, pays serein et bouillonnant à la fois. Autrement dit, et au risque de se répéter, à découvrir une destination sans clichés. n