Le premier Conseil des ministres du gouvernement Tebboune-Djerad s’est tenu, hier, sous le signe de l’installation officielle de leur équipe ministérielle et de celui de l’engagement à assumer toutes les promesses faites par le président de la République durant sa campagne d’aller vers les réformes nécessaires à la remise sur rail de l’Algérie.
Parmi les dossiers examinés et présentés comme les chantiers à établir pour réaliser les projets annoncés, il y en a un qui, s’il n’a pas été mentionné explicitement dans un passage du communiqué du Conseil des ministres où il est question de la situation «dans le voisinage», se présente déjà sous le sceau de l’immédiateté, voire de l’urgence, et ne manquera pas d’occuper sérieusement le dispositif diplomatique et sécuritaire du pays et de son gouvernement.
Ce chantier concerne la Libye voisine et l’évolution inquiétante que la situation de ce pays voisin connait depuis quelques jours d’une manière accélérée.
Ce pays était déjà pour l’Algérie un immense casse-tête politico-sécuritaire depuis l’effondrement en 2011 du régime de Kadhafi et un immense magasin d’armement à ciel ouvert d’où s’approvisionnaient les groupes djihadistes et autres actifs dans la bande sahélo-saharienne. Il devient aujourd’hui pour notre pays un véritable bourbier qui pose à sa diplomatie comme à son armée de sérieux défis de politique étrangère et de défense préventive, voire même offensive. En particulier, si la tendance au pourrissement observée depuis quelques semaines se confirme. Il est question, ici, de la confrontation militaire entre les deux gouvernements libyens rivaux, celui de Tripoli (reconnu par l’ONU) et de Benghazi (soutenu secrètement par plusieurs puissances étrangères dont arabes), et de l’acharnement de son homme fort, le maréchal autoproclamé Khalifa Haftar, à vouloir s’emparer de Tripoli. Il est question ici de l’échec de la Manul, la mission onusienne conduite par l’envoyé spécial du secrétaire de l’ONU Ghassan Salamé, à empêcher cette confrontation et à imposer son plan de sortie de crise en vigueur pratiquement depuis mars 2016 et l’installation du gouvernement d’entente ou d’union nationale, le GNA. Depuis, il n’y a eu ni entente ni union et les forces politiques regroupées derrière le maréchal Haftar cherchent toujours à s’emparer du pouvoir par la force, appuyées par Ryad et le Caire notamment.
Début du déploiement de soldats turcs en Libye
Il est, enfin question, de l’annonce de l’arrivée «progressive» depuis hier de soldats de l’armée turque pour soutenir le gouvernement de Fayez al-Sarraj à Tripoli. Hier soir, le président Recep Tayyip Erdogan a annoncé le début du déploiement de soldats turcs en Libye, conformément au feu vert donné par le Parlement turc la semaine dernière. «La mission de nos soldats là-bas est la coordination (…) Nos soldats sont en train d’être déployés progressivement», a-t-il déclaré sur la chaîne CNN Turk au cours d’une interview. L’arrivée de soldats turcs comme promis par le président Erdogan à la suite d’un accord militaire avec le gouvernement al-Sarraj augure d’une internationalisation ouverte de la crise libyenne qui se mue désormais en conflit opposant d’un côté la Turquie et le Qatar qui soutiennent le GNA et, d’un autre côté, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et l’Egypte sans compter tous les pays occidentaux et la Russie qui ont des «techniciens» sur place. Tous ces développements vont, par leur ampleur, au-delà de toutes les prévisions et craintes exprimées par l’Algérie depuis neuf ans maintenant. Dorénavant, on n’est plus dans la peur de la «multiplication des agendas» politiques et diplomatiques, un avertissement lancé plusieurs fois par d’anciens ministres des Affaires étrangères algériens dont Abdelkader Messahel qui avait consacré beaucoup d’énergie à faire valoir la solution onusienne appuyée par les pays du voisinage d’un règlement politique à la crise libyenne. On est dans un scénario d’ingérence manifeste et d’arrivée sur le territoire libyen de forces militaires étrangères, qui vont bouleverser la donne géo-sécuritaire en Afrique du Nord.
En ce sens, le président de la République a eu raison d’annoncer dès son investiture que la priorité de sa politique étrangère sera le dossier libyen. Son ministre des Affaires étrangères, Sabri Boukadoum, a déclaré il y a quelques jours que l’Algérie ne tolérerait aucune présence étrangère en Libye. Il semble bien que son avertissement n’a pas été pris en compte et que les «initiatives» qu’il a annoncées en vue d’un apaisement aient été largement débordées. Même si le président turc a déclaré que l’objectif de ses troupes «n’est pas de combattre» mais «soutenir le gouvernement légitime et d’éviter une tragédie humanitaire».