Il est l’un des trente-trois (33) joueurs ayant composé la glorieuse équipe du Front de Libération national (FLN). Le (très) discret Dahmane Defnoun (82 ans), invité par l’Agence nationale d’édition et de publicité (ANEP) à l’occasion de l’exposition de l’ouvrage « Ma vie, ma passion » de son ancien coéquipier Ahmed Zouba, nous a livré quelques croustillantes anecdotes sur cette historique sélection. Pour le natif de Saint-Eugène, du moins sur le plan personnel, l’unique intérêt était de «faire parvenir la cause algérienne au monde entier via le football».
Reporters : La nouvelle génération ne connaît pas vraiment monsieur Defnoun qui n’aime pas occuper les devants de la scène quand on parle de l’équipe du FLN. Quelle est votre histoire avec cette sélection militante ?
Dahmane Defnoune : Je suis né à Saint-Eugène à Alger. Quand la France a décidé de cesser l’activité des clubs algériens durant la période de guerre, j’ai décidé de plier bagages et d’aller tenter ma chance en France. Là-bas j’ai joué avec l’Olympique Alès entre 1956 et 1959 avec lequel on a réalisé une montée en première division où nous avions joué pendant deux années avant d’être relégués. Par la suite, j’ai rejoint l’Anger SCO en 1959. J’avais 23 ans à l’époque. Une année après, j’ai été approché pour rallier l’équipe du FLN.
Elle était comment votre aventure française ?
C’était très difficile de s’imposer là-bas. Il fallait être deux fois meilleur pour se faire une place dans l’équipe. Ce n’était pas facile de quitter le foyer familial aussi jeune, mais ça m’a aidé à devenir un homme meilleur et à mûrir rapidement. Mais, comme vous savez, il y avait aussi une cause à défendre et un devoir à accomplir. On a dû laisser un certain confort pour contribuer, à notre manière, dans la lutte contre le colonisateur.
On vous a senti un peu gêné tout à l’heure lors de votre intervention dans le débat. Peut-on savoir pourquoi ?
À vrai dire, je n’aime pas trop parler de moi. Je ne suis pas du genre à me montrer ou à vanter ce que j’ai accompli. Je n’ai fait que mon devoir envers mon pays. Je n’attendais rien en retour. J’étais très complice avec le président Ahmed Ben Bella. Il avait même insisté pour que je rentre au pays après l’Indépendance mais j’ai préféré continuer à faire ce que j’aimais : jouer au foot. Je suis d’ailleurs retourné au SCO d’Anger où j’ai joué jusqu’en 1964 avant d’évoluer pendant trois années en championnat d’Algérie avec le NA Hussein-Dey (1964-1966) et la JS Kabylie (1966-1967). Durant tout ce temps, j’ai pu compter sur le soutien de ma femme, qui est d’origine française.
Elle a été importante dans le combat que vous aviez mené ?
Bien sûr oui. Très importante même. A l’époque, il n’était pas vraiment conseillé d’être la femme d’un Algérien. Quand on a été à Tunis en 1958, elle était avec moi. C’est le cas des autres conjointes de mes coéquipiers de la « sélection ». Ça aussi, il faut le souligner car l’équipe du FLN, ce n’était pas seulement les joueurs.
Vous avez réagi comment en apprenant l’indépendance de l’Algérie ?
Lors des incidents de Paris en octobre 1960, année du « Cessez-le-feu », on était avec l’équipe du FLN à Plzen en Tchécoslovaquie. Il y avait des joueurs tchécoslovaques qui sont venus nous féliciter et nous dire « ça y est, vous êtes bientôt indépendants !», je m’en rappelle comme si c’était hier.
Vous avez l’air d’éprouver une certaine nostalgie, c’est palpable dans vos mots, n’est-ce pas ?
Un peu oui. On était jeunes à l’époque. On a fait ça pour l’Algérie et pour la jeunesse algérienne. À mon avis, c’est le moment de laisser la scène à une nouvelle génération pour reprendre le relais. Les hommages et les louanges, on en a eus assez je pense. Ce qu’on a fait n’était qu’un devoir. Personnellement, je n’attendais rien en retour. On a tous consenti des sacrifices. Je n’aime pas tirer la couverture vers moi. Je pars du principe que le foot est un sport collectif. Sans l’équipe on n’est rien. J’ai toujours pensé de la sorte.
Aujourd’hui, vous étiez présent avec messieurs Amara, Zouba, Kerroum et Ibrir, quatre de vos anciens compères et frères de combat avec l’équipe du FLN. Cette invitation de l’ANEP vous a-elle-réjoui ?
Bien-sûr. J’ai apprécié qu’on se rappelle de moi. C’est peut-être la 4e ou 5e fois seulement que je viens en Algérie pour assister à une rencontre du type. L’ANEP m’a invité et s’est occupé de m’héberger pour la durée du séjour. Figurez-vous que je n’ai même pas où passer mes nuits quand je viens ici. Il n’y a que la maison familiale à Saint-Eugène où je peux dormir quand il y a de la place pour moi (rires/un rire qui cachait une certaine tristesse et déception).
Parlons un peu du football algérien, vous pensez quoi de son état de santé après 56 ans d’indépendance ?
Je ne suis pas souvent ici pour faire un jugement sur la situation présente du foot en Algérien. J’ai juste une anecdote à livrer : quand j’ai arrêté ma carrière, on m’a confié un poste d’entraîneur. C’était une époque où l’on me demander d’entraîner les différentes catégories. On n’avait que 10 ou 15 ballons…
Que pensez-vous de l’équipe nationale actuelle ?
J’ai suivi le dernier match de la sélection au Bénin. Je ne vous cache que je n’ai pas aimé l’attitude et le rendement de certains joueurs qui sont brillants en clubs, mais qui n’arrivent pas à mettre le même impact quand ils jouent en sélection. Parfois, on a l’impression qu’ils marchent. Par exemple, si Mahrez joue de la même manière avec son club (Manchester City), je vous assure qu’on l’enverra jouer aux boules. Par contre, le petit qui jouait à Bordeaux là (Ounas) m’a impressionné. Je pense que c’est un joueur en devenir. Il mérite qu’on compte plus sur lui. Ça reste mon avis.
Vous avez cité deux joueurs binationaux, enfants d’expatriés. Il y a justement une certaine forme de « rejet » pour tout ce qui vient de la France chez le public algérien avec un débat « locaux – binationaux » qui revient sans cesse. Vous en pensez quoi ?
J’estime que ce problème n’a pas lieu d’être et ne trouve pas d’explication rationnelle. L’équipe du FLN était majoritairement composée de joueurs évoluant en championnat de France mais ses valeurs étaient 100% algériennes. C’est ce qui compte à la fin. Tout le monde a le droit de se sentir algérien là où il se trouve.